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Du pain, du vin...

Du blé dans les vignes pour un Beaujolais nouveau

Face à la crise viticole, Ludovic et Marie Gros ont choisi de rompre avec l’héritage du Beaujolais et les pratiques culturales du siècle dernier. Pour survivre, ils ont arraché une partie de leurs vignes, planté du blé et entamé la fabrication de leur propre pain.

Face à la crise viticole, Ludovic Gros n'a conservé qu'une partie de ses vignes. En face, il a planté du blé. ©Justine Knapp

Dans le Beaujolais, les vignes tapissent à perte de vue le paysage vallonné et les villages sont peuplés de vignerons. Le domaine des Terres vivantes, à Blacé, ne déroge pas à la règle. Les travailleurs viticoles ont jadis habité la bâtisse, comme Ludovic et Marie Gros, arrivés en 1995.

Aujourd’hui, les émanations de fermentations du chai se mêlent sous le même toit aux odeurs farinées du moulin, et une partie des ceps a laissé place aux épis de blé sur la parcelle voisine de celles de chardonnay et de gamay. Le couple a choisi de fabriquer son pain pour accompagner le vin.

Pourtant, le Beaujolais ne connaît plus les cultures diversifiées depuis la fin du XIXe siècle. Après les ravages du vignoble par le phylloxéra, les directives ont encouragé la replantation des vignes et leur culture intensive. La région devient alors championne de la monoculture. À partir des années 2000, la concurrence mondiale met en difficulté la viticulture de masse. Beaucoup ont arrêté à ce moment-là car les raisins ont commencé à être achetés une misère par les caves coopératives ou les négociants à qui le Beaujolais vend traditionnellement toute sa récolte, explique Ludovic. Même s’il vinifiait quelques bouteilles, le vigneron avait jusque-là suivi le schéma classique, privilégiant le rendement de l’appellation contrôlé pour vendre à un tiers avide de quantités énormes à moindre prix. La crise viticole pousse le domaine à changer de modèle.

Dans le Beaujolais, vinifier à domicile relevait d'une excentricité à laquelle on ne goûtait pas. ©Justine Knapp

Du pain et du vin

Pendant l’arrachage d’une partie des vignes pour réduire les quantités et vinifier de façon autonome, l’idée germe à contre-sens des us locaux : Si on mettait du blé à la place pour faire du pain à la ferme ? En 2003, on construisait le four et labourait pour semer des blés anciens, énonce Ludovic, et de mentionner l’inconscience de cette décision par rapport à leur manque de connaissances en la matière. L’option s’impose à eux pour surmonter les lourds investissements viticoles de départ : À notre arrivée, il n’y avait pas un tracteur et pas une cuve vu que les caves coopératives prenaient le relais après les vendanges. C’était l’an zéro.

Trancher avec les pratiques d'hier pour survivre demain.

Après une première vie professionnelle respectivement dans la sommellerie et la transformation de fruits et légumes, Ludovic et Marie, rencontrés au lycée agricole de Mâcon, s’étaient en effet raccrochés aux branches d’une partie de leur arbre généalogique. Elle, fille de paysans, n’avait toutefois pas repris la ferme familiale qui basculait sous le poids des quotas laitiers et des prix oscillants de la viande. Aucun de ses dix frères et sœurs non plus. Moins d’une décennie plus tard, le couple s’installait finalement sur l’exploitation appartenant à la grand-mère de Ludovic. Durant leurs premières années, ils y reproduisent le modèle de leurs aînés, parce que ça fonctionne. La chute financière qui s’ensuit les mène à trancher avec cet héritage.

Fille de paysans, Marie Gros ne s'enlise pas du côté de l'élevage et préfère se mettre au moulin quelques années plus tard. ©Justine Knapp

Dix ans pour ressusciter les sols

Peu à peu, ils réduisent l’étendue des terres à vigne, au même titre que la contenance des cuves pour privilégier les micro-cuvées. Sur nos quatorze hectares, tout le système racinaire des ceps se situait à la surface, biberonné aux pulvérisations d’herbicides et engrais de synthèse, se souvient-il en évoquant ses débuts vers la bio. Pas mieux pour plus de la moitié de la surface qu’il oriente pour la culture du blé : Quand on arrache une vigne, toute l’histoire de la parcelle ressort, du cuivre au désherbant. Pour redonner vie aux sols abattus par la chimie, le tassage et l’érosion, les trois années légales pour l’obtention du label bio ne suffisent pas. Au-delà du plan chimique, la structure doit être reconstituée. Dix années de patience et d’investissement végétal ont été nécessaires pour y parvenir.

La première réaction de la nature sur ce terrain nu et mort a été de faire pousser spontanément un tapis de chiendent rampant qui pompe l’eau. L’eau stagnait en surface à cause des passages des machines et la vie bactérienne n’existait plus. Il n’y a pas de hasard, le végétal s’inscrit là où il doit être. Ludovic prend le relais, plante des engrais verts entre les périodes fastes pour nourrir le sol, des haies et bientôt des arbres fruitiers pour favoriser la biodiversité et enraciner le terrain. D’année en année, dix-neuf variétés anciennes de blé sont ressemées ensemble, se croisant petit à petit vers une seule variété, propre au domaine.

La vente en Amap permet au pain de blés anciens de pousser lentement, donc sûrement. ©Justine Knapp

La vente directe pour gagner sa croûte

Une fois les premières graines en terre, il faut trouver son gagne-pain. Comment vendre l’intégralité du fruit de sa récolte en circuit-court ? Après trois années de galère, l’Amap (association pour le maintien de l’agriculture paysanne) sort Ludovic et Marie de l’ornière. En achetant notre production pour les six mois à venir, les engagés aident notre famille et les paysages du Beaujolais. Surtout, les contrats donnent la possibilité au duo de travailler lentement. Marie pétrit la veille pour le lendemain et laisse son pain pousser à son rythme. Les blés anciens offrent peu de rendements, les grains sont stockés longuement avant de passer sur la meule de pierre, qui tourne doucement pour préserver le germe hyper nutritif. Même pour vendre aux Biocoop, il faudrait produire plus et accélérer. On ne cherche pas à s’agrandir, on veut rester paysans.

Cet engagement entre le producteur et le consommateur mène à une autre communauté locale que celles des vignerons. Ça nous permet de voir du monde en dehors de nos vignes et de nos problématiques. Entre nous, on rabâche tous la même chose, la météo, les maladies, le vin qui ne se vend pas. Ça ne tire pas vers le haut, regrette Ludovic. Et pourtant une autre voie se révèle, loin de l’agriculture chimique mais plus non plus de l’ordre d’une dévotion esclavagiste à la terre, qui finit par payer financièrement et moralement. C’est presque insolent de le dire, reconnaît-il. Je ne parle pas à mes voisins du plaisir qu’on a tous les deux à se lever pour travailler. Entre agriculteurs, on n’affiche pas ce que l’on vit, c’est plus confortable de se plaindre du mildiou et de la crise viticole. Mais c’est une pudeur qui fait partie du XXe siècle, faut qu’on oublie.

2 commentaires

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  1. Quel bel article, merci pour ce travail et merci pour eux que je connais, je prends mon pain (entre autres) chez Marie et Ludovic et je n’en changerai pas !

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