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Pipi contemporain

Toilettes sèches : faire ses besoins au bon endroit

Les toilettes sèches ont conquis le compost des particuliers, celui de sites écolos et se sont installées dans l’espace public. Demain, notre urine et nos selles pourraient même finir dans les champs.

Voici les proportions à respecter pour utiliser l'urine comme engrais au jardin, en référence au livre de Renaud de Looze « L'urine, de l'or liquide au jardin ». © Louise Raguet

Notre urine est d’une richesse inestimable, en tout cas pour les plantes. Elle contient en effet la plupart des éléments nécessaires à la croissance des végétaux. Ceci est connu de longue date mais, dans un contexte où les engrais chimiques polluent et coûtent de plus en plus, des solutions pour l’utiliser en masse dans les champs sont à l’essai.

Pour pousser, la plupart des plantes ont un besoin essentiel : l’azote et le phosphore. Pour en apporter aux cultures, nos systèmes agro-industriels ont massivement recours à des engrais. Le problème, c’est que leur production et leur utilisation ont des impacts sociaux et environnementaux catastrophiques.

Il existe pourtant une source de phosphore et d’azote à la fois infinie et très proche de nous : notre caca et notre pipi, bien sûr ! Leur utilisation n’est pas révolutionnaire, puisqu’elle a été au cœur de la plupart des systèmes agricoles jusqu’à il y a encore quelques décennies. N’en jetez plus ! Comment faire pour que ces précieuses ressources ne terminent pas dans les eaux – souvent potables – de nos toilettes ?

Des techniques sont déjà connues à l’échelle domestique ou associative. On pense d’abord aux toilettes sèches installées chez des particuliers. Cet usage de plus en plus répandu est assez facile d’accès. Souvenez-vous, en 2016, Juliette avait opté chez elle pour le pipi dans la sciure. Celle-ci nous donnait même ses meilleurs conseils de fabricacation. On vous rappelle les règles : on utilise de la sciure à la place de l’eau, on peut construire sa cabane au fond du jardin, on vide son seau une fois par semaine dans un compost réservé à ces substances que l’on pourra utiliser au bout de deux ans.

Mais depuis une petite dizaine d’années, une seconde génération de projets est en marche. Des expériences sont en cours à échelle un peu plus grande dans l’habitat participatif, dans les friches et autres lieux d’urbanisme transitoire ou encore les écoquartiers. On peut citer par exemple le premier réseau urbain de collecte de toilettes sèches à Bordeaux, via des bidons de collecte d’urine et de la sciure pour les selles, installés directement au domicile des urbains. Une cinquantaine de foyers contribuent à cette expérimentation qui a permis en 2020 de collecter et valoriser 0,6 tonne de fèces et 2000 litres d’urine. Le test doit durer jusqu’à la fin 2022.

À Paris, la fondation pour le Progrès de l'Homme a installé deux toilettes sèches dans ses locaux pour réaliser des économies d'eau. Les matières organiques tombent dans un composteur de 300 litres qui « recrée un écosystème vivant proche de celui du sol forestier », indique le fabricant Clivus Multrum. © Fabien Esculier

Quel rapport au vivant ?

C’est pour accompagner et développer ce genre d’initiatives qu’est né le projet de recherche universitaire Ocapi. Il mobilise des chercheurs de nombreuses disciplines, dont l’anthropologue de l’environnement Marine Legrand. La chercheuse décrit un contexte favorable à des réflexions fertiles sur le sujet : L’idée d’utiliser de l’eau potable pour nettoyer nos matières fécales est devenue inacceptable pour beaucoup d’observateurs. Le facteur « beurk » commence à changer de camp.

Parmi les projets d’Ocapi, l’un repose sur des urinoirs équipés de dispositifs de collecte des urines, installés aux Grands Voisins, à Paris. L’urine, une fois traitée, est utilisée pour fertiliser des céréales et notamment du blé. Ce blé sert ensuite à fabriquer du pain et des biscuits au nom de Biscodor qui sont distribués lors de réunions et conférences organisées par Ocapi sur son domaine de recherche. Marine Legrand décrit : Ces biscuits sont un outil très utile pour ouvrir le débat. Le but est de mettre en situation le public des conférences, de confronter au sujet de façon très concrète. Et on remarque très peu de réactions de dégoût ou de rejet.

Sur cette fresque Aux Grands Voisins, une prévision fictive de ce à quoi pourraient servir les toilettes sèches. Là, l’urine collectée est allée rejoindre la filière expérimentale Agrocapi de l'INRAE, à l'origine des biscuits « Biscodor ». © Louise Raguet

Faire pipi pour les légumes

Ces manipulations de pipi et de caca peuvent bousculer bien plus encore les certitudes et l’ordre établi. La designeuse Louise Raguet – qui a collaboré à plusieurs reprises avec Marine Legrand – a conçu à la fin de ses études en 2019 un urinoir public destiné à la collecte et à la valorisation des urines. Elle l’a designé de façon à ce qu’il soit utilisable par les femmes, en position légèrement accroupie, de dos. L’urinoir a d’abord été testé dans des festivals pendant l’été 2019 (We Love Green, Château Perché, Macki Festival), avant de s’installer dans la cour des Grands Voisins, à Paris.

Ce projet contribue à lutter contre les inégalités d’accès aux toilettes publiques dont souffrent les femmes et œuvre à favoriser leur place dans l’espace public. Marine Legrand analyse : Cet urinoir est la preuve que regarder le monde social depuis les toilettes permet d’ouvrir sur des sujets contemporains. Cela invite à reconsidérer notre rapport à nos milieux de vie et à nos propres corps. Les toilettes sont un outil de réflexion très utile dans un contexte de crise écologique et de déconnexion du vivant.

 

L’urine collectée via l’urinoir Marcelle sert ensuite à fabriquer de l’engrais. Elle est ainsi acheminée vers des champs près de Fontainebleau, en Île-de-France. Paris & Métropole Aménagement finance cette première expérimentation afin d’étudier la possibilité de récolter l’urine dans le futur quartier St Vincent de Paul.

Les chercheurs d’Ocapi travaillent parallèlement aux côtés d’agriculteurs pour tenter de construire avec eux des filières de valorisation à plus grande échelle encore. Marine Legrand précise : Nous avons essayé de déterminer à quelles conditions les agriculteurs sont prêts à les utiliser. Cela pose des questions très concrètes. Par exemple, si l’urine est trop diluée, son utilisation demandera de trop nombreux passages au champ.

Il y a aussi évidemment de nombreuses précautions sanitaires à prendre. Pour détruire les pathogènes, l’urine doit notamment être stockée six mois, tandis que les matières fécales doivent être compostées dix-huit mois. Mais les recherches avancent et permettront sans doute bientôt de trouver les clés des champs fertilisés avec nos besoins.

4 commentaires

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  1. En fait, cela se passait ainsi, lorsque j’étais petite, il y a déjà 60 ans : le vidangeur vidait la fosse étanche à effet d’eau (1/5 litre d’eau à chaque tirette) et allait reprendre son contenu dans les champs ou dans les plantations de légumes… retour à la vie d’avant, avant la surconsommation de tout.

  2. Bonjour,

    je trouve ces projets très intéressants !!

    Par contre, qu’en est-il de la composition de l’urine chargée en médicaments, antibiotiques et autre qui se retrouve directement dans le champ ? Nous les consommons ensuite, du coup ?

    1. De ce que j’en sais c’est une des raisons qui fait qu’on doit attendre deux ans: pour que les médicaments s’estompent. Dans tous les cas avoir une bonne hygiène de vie: ces médicaments dans nos toilettes à eaux se retrouvent…dans notre eau…

  3. Quelle découverte!… cela se pratiquait largement au XXe siècle et avant et encore aujourd’hui dans de nombreux pays du monde.

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