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Sous le béton, la terre

Fontbarlettes, les jardins potagers font battre le cœur de la cité

Le quartier de Fontbarlettes à Valence, dans la Drôme, classé zone urbaine sensible, cache derrière ses tours un hectare et demi de jardins partagés. Bienvenue à l’Oasis Rigaud, melting-pot de cultures et d’agricultures. 

Bouquet de coriandre en main, Dalila savoure la douceur de cette fin de journée du mois de mai. La veille, elle obtenait le précieux sésame, une parcelle de l’hectare du jardin de l’Oasis Rigaud, poumon vert au milieu des tours HLM du quartier populaire de Fontbarlettes, à Valence. 

Assise sur un banc sous la tonnelle et le figuier, cette mère célibataire de six enfants aujourd’hui déjà grands se réjouit d’avance de la soupe chorba qu’elle va préparer pour le coucher du soleil, en ce deuxième jour du ramadan. Quelques mètres plus loin, Daniel attend sa femme Zora et sa belle-sœur, qui raffole des grosses mûres et des framboises du jardin. Habitant d’un quartier voisin, il vient relayer sa belle-mère qui ne s’en sort plus seule dans le potager. Bien qu’elle vienne encore traficoter et planter quelques graines de temps à autre. Daniel, 51 ans, est en invalidité après être tombé d’un toit. Malgré son mal de dos, il vient tous les jours bichonner son jardin dans lequel poussent fèves, petits pois, tomates, courgettes, patates, cardons, aubergines mais aussi des framboises par poignées. Les enfants de l’école primaire Rigaud dont la cour est attenante au jardin de Daniel le savent bien. Ils s’en régalent à chaque début d’été. 

Cultiver le pavé

On se promène dans les allées de l’Oasis Rigaud avec Meriem Fredj. Magicienne aux pouces verts, Meriem est aussi la tricoteuse de l’atelier Ardelaine dont nous vous avons parlé il y a quelques semaines. C’est elle qui s’est lancée dans la végétalisation du quartier. En 1988, l’atelier de confection des vêtements Ardelaine s’installe au rez-de-chaussée d’un bloc d’immeubles donnant sur la rue et sur une cour en mauvais état.

La terre donne si on s’y intéresse sans l’agresser, sans la retourner.

Meriem frappe aux portes, mobilise les étudiants des Beaux-Arts de Valence. La cour se transforme en jardin d’enfants. Elle se dote d’un potager et de ruches. Quelques années plus tard, Meriem convainc la municipalité de Valence et l’agence HLM de transformer la dalle centrale de ce quartier de 8000 habitants en jardin. Nous sommes en 2003, bien avant que les jardins urbains aient le vent en poupe. Les rodéos de voitures – quand ces dernières ne sont pas incendiées, laissent la place à une sorte de miracle de verdure et de culture.

Aujourd’hui, cinq jardins ont poussé à Fontbarlettes. L’association Le Mat pilote le projet, salarie un jardinier et produit ses propres cornichons, piments, sirops labellisés Nature et Progrès et étiquetés “made in Fontbarlettes”, puis vendus sur les marchés de la ville et à la Ruche qui dit Oui ! de Valence. Des formations à la taille, au maraîchage, à la transformation et même à la bonne posture à adopter dans son potager sont régulièrement proposées et accueillent chaque fois une dizaine de personnes. Les familles se réjouissent de mieux manger mais aussi d’acheter moins de légumes au supermarché, un réel gain financier quand on sait que le revenu moyen dépasse à peine les 700 euros par mois. L’Oasis est aussi une sorte de havre de paix. Le plus souvent, les gens ont envie d’être seuls. Quand on vit avec sept gamins dans un appartement, on a besoin de solitude, explique Meriem. 

Retrouver ses racines

Il n’y a pas plus noble que la terre, souffle d’une voix douce Mohamed-Ali Osman en admirant son jardin où le paillage recouvre chaque plantation. Membre historique de l’Oasis Rigaud, Ali, comme le surnomme ses amis, se passionne pour la permaculture. Il se souvient du jardin de ses parents au Liban et de l’importance de la terre, essentielle à l’équilibre du vivant. La terre donne si on s’y intéresse sans l’agresser, sans la retourner, en sachant économiser l’eau. Il a transmis son savoir-faire à ses quatre enfants devenus grands, le jardin s’est planté dans leurs têtes. À quelques mètres de son potager, la mare, les oliviers et les bancs de bois sont propices à la contemplation. 

Nous voulions démontrer que nous ne sommes pas que besoins mais aussi créateurs de richesse et de valeurs, ajoute Meriem Fredj. Il suffit de passer un peu de temps au jardin pour sentir battre le cœur des habitants, de dix-sept nationalités au total. Et de glisser sa main dans celle de Nevrez et de sa femme, un adorable couple septuagénaire d’origine turque, pour ne plus avoir envie de partir. De quoi tordre le cou aux clichés qui plombent encore plus la vie de ceux qui font grandir leurs enfants au milieu des tours. Il arrive parfois que des cabanes flambent, que quelques plantations soient abîmées, bien qu’une clé soit nécessaire pour pénétrer à l’intérieur de l’Oasis. Mais avec le temps, la terre a repris ses droits sur le béton…

Nevrez n’aime pas rester trop longtemps chez lui, même si son appartement donne sur les jardins. Avec sa femme, il a élevé six enfants, le petit dernier les appelle tous les jours. La grand-mère regrette de ne pas voir assez ses petits-enfants. Ils travaillent, ils ont leur vie, lui répond Nevrez. Arrivé en France en 1973, Nevrez a travaillé dans le bâtiment et n’a plus jamais cultivé la terre comme le faisaient ses parents en Turquie. Aujourd’hui, il partage avec ses voisins le fruit de ses cultures. Fier, il caresse une feuille de vigne, ingrédient central de son plat préféré, le sarma, farcie à la viande mélangée avec du riz ou du boulghour. Le tout accompagné d’un thé à la menthe et du traditionnel tsatsiki : Le concombre coupé en petits morceaux, des gousses d’ail, du yaourt et c’est parfait, sourit Nevrez. 

La fin de journée s’écoule, on se salue chaleureusement, promettant de se revoir lors de la journée Rendez-vous au jardin, autour d’un repas partagé. En quittant l’allée centrale bordée de cabanes de jardin en bois, l’œil est attiré par ces quelques mots : Espace Guiseppe Pino. En souvenir de notre ami, qui a construit ce bâtiment pour les jardiniers en herbe. Le 16 avril 2010.

Ce monsieur était Sicilien, il a droit à sa stèle du jardinier disparu. 

3 commentaires

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  1. j adore!! j’ai grandi dans un appartement dans un quartier d’immeubles! Mon père avait loué à la ville un petit lopin de terre pour garder un lien avec cette terre et nous initier au respect et à la création du Vivant! Je ne serais pas aujourd’hui propriétaire d’une maison avec un grand jardin rempli de fleurs, légumes et fruits, pour nourrir mes enfants, si je n’avais pas connu petite ce lien à la Terre!
    Alors BRAVO à ce genre d’initiative! Ces jardins font grandir et réfléchir aux sens et au respect de la vie! Continuez ainsi les Communautés de Communes à créer des Jardins Partagés!

  2. C’est une sacré belle histoire. Des espaces comme celui là devraient être imposés dans le cahier des charges des promoteurs immobilier.

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