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Six pieds sous terre

À Bourgueil, la coopération chevillée au terroir

Franc comme son cabernet, Jean-Marie Amirault a l’entraide dans les gènes. Rencontre avec un pur produit de Bourgueil, enraciné dans le calcaire.

À peine le temps de faire les présentations que l’invitation fuse. On boit un coup de rosé pour se mettre en jambes, assène Jean-Marie Amirault en prenant la direction du caveau de dégustation. Il n’est pas encore 11 h du matin, mais à quoi bon refuser, le bonhomme est chaleureux, l’œil pétillant, la parole droite et fière. 

Le rosé, c’est le vin d’apéro, explique doctement Jean-Marie en servant le premier canon de la journée. Il est fait avec le cépage cabernet franc, comme le rouge. Mais ici, on l’appelle le breton. Et ici, ce n’est pas n’importe où. Les vignes, tournées vers le Sud, descendent en pente douce vers la Loire. Au milieu, un village : Bourgueil. Son vin, rugueux et généreux, est un peu à l’image de notre vigneron. Une fleur extraite de la rocaille, un feu réconfortant dans le froid crachin tourangeau.

L’accueil tourangeau se fait au cabernet franc. Franchement appréciable. ©Solenne Mutez

Gel tardif, moins de pif

Il en faut, de la chaleur humaine, pour faire du vin ici. Les fraîches bourrasques du début de printemps viennent refroidir les mains du vigneron, qui a posé son verre de rosé pour prendre les sécateurs. La taille est faite le plus tard possible pour retarder l’apparition de bourgeons et éviter que le gel ne viennent cueillir les fleurs de la vigne. Les deux dernières années ont été catastrophiques : En 2006, on a perdu 80 % de la récolte, raconte Jean-Marie. Finalement, en 2017, avec 30 % de raisin en moins, on ne se plaint pas. Pourtant, le domaine ne roule pas sur l’or, le Bourgeuil n’étant pas très coté, même en bio. Quand j’ai engagé la conversion en 2005, mes coûts de production ont augmenté, avec beaucoup de main d’œuvre. Mais je n’ai pas augmenté mes prix en proportion, parce que j’ai déjà une clientèle habituée à des cuvées bon marché.

Le visage même des vignes de Bourgeuil témoigne d’une histoire de petits producteurs vivant sans grands moyens : les domaines sont enchevêtrés les uns dans les autres, les parcelles parfois minuscules. J’ai 11 hectares et demi, morcelés en une trentaine de parcelles sur deux communes, explique Jean-Marie. C’est plein de petits carrés dans tous les sens. Un hectare, c’est une belle parcelle chez nous. Comme ailleurs, il a fallu se serrer les coudes, et les vignerons de Bourgueil ont créé leur coopérative en 1931. Lobtention de l’appellation a suivi en 1937. Les gens se sont groupés pour être plus forts face au négoce, raconte l’enfant du pays, dont le père a rejoint la cave en 1954. Lui-même y est resté à la reprise du domaine familial, en 1984. Tout en développant un vin avec sa propre identité, car la coopérative a un fonctionnement particulier : les raisins y sont vinifiés séparément, domaine par domaine, avant de retourner en bouteilles chez leurs propriétaires.

Protégés par des gaines jaunes : les jeunes pieds plantés l’an dernier. « Une vigne, c’est comme un bonhomme, ça peut vivre 100 ans, mais c’est pas courant. » ©Solenne Mutez

Troglouglou

La coopération est le quotidien du vigneron de Bourgueil : les trois quarts du matériel utilisé par le domaine sont partagés en Cuma (Coopératives d’utilisation de matériel agricole) et un groupement d’employeurs permet de mutualiser deux employés agricoles. Mais la plus grande réalisation collective est à quelques kilomètres de là, dans les hauteurs du vignoble. Jean-Marie tient absolument à faire découvrir cette curiosité locale. On monte dans le camion, direction les Perrières de Grand-Mont. De part et d’autre de la route, des panneaux indiquent des lieux-dits, mais aucune maison à l’horizon.

Tout ça c’est des hameaux de caves, explique le vigneron. Creusées dans le calcaire, elles s’étendent sur des kilomètres. Quand j’étais môme, le commerce se faisait dans ces caves. Le week-end, il y avait plus de monde ici qu’au village. Maintenant la plupart sont abandonnées, ça me fait de la peine de voir ça comme ça. On arrive dans la plus grande de toutes, rachetée en 2004 avec une dizaine d’autres vignerons. C’est pour le patrimoine, assure Jean-Marie. C’est nos anciens qui ont creusé ici. On a tous des ancêtres qui étaient carriers.

Traditionnellement, les vignerons de Bourgeuil faisaient déguster leur vin sous leurs parcelles, comme ici au hameau de Grand-Mont. Jean-Marie Amirault relance la pratique avec quelques copains. ©Solenne Mutez

Le camion roule plusieurs minutes sous terre et s’arrête devant une grille. Jean-Marie ouvre les portes de son jardin secret. On en viendrait presque à se dire que le patrimoine a bon dos, tant cette cave est LE caveau de dégustation ultime. Des murs de barriques et de bouteilles, à douze mètres sous terre, dans des conditions de conservation parfaites. Côté pédagogique, c’est irréel : nous sommes littéralement dans du tuffeau, cette pierre calcaire dont sont bâties les maisons de Loire et qui donne au Bourgueil ses tanins puissants.

L’apreté, le côté austère, rugueux, c’est la signature du vin de Bourgueil. Mais après 2-3 ans de bouteille, c’est du velours. Démonstration, au coin d’une table faiblement éclairée : 1990, 1985, 1976, les dégustations s’enchaînent et l’on remonte le temps, frappés par les qualités de conservation du jaja local. On essaie de faire un vin populaire, avance humblement le vigneron. Le vin, c’est fait pour être bu, pas pour être regardé. En retournant au village un peu grisés et éblouis par la lumière extérieure, on passe un jeune verger pédagogique communal, à l’initiative de notre vigneron, bien évidemment. Il tente de réenraciner les variétés anciennes du pays. Ça tombe bien, on a vérifié : il reste encore un peu de place pour elles dans le sous-sol de Bourgueil.

©Solenne Mutez

3 commentaires

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  1. Reportage très intéressant qui permet de faire plus ample connaissance avec un vigneron qui a fait le choix du Bio, dont j’ apprécie la production, en particulier un excellent Bourgueil rouge dont la qualité plus que constante, s’élève au fil des années.

  2. Hello, merci Solenne Mutez pour ce gentil reportage. Un bon moment partagé avec l’équipe de la Ruche Qui Dit Oui. Encore désolé pour la charcuterie Tourangelle pas trop végane (hormis les oignons) 😉 promis la prochaine fois je remplace la Rillette de Tours par des Rillettes de poireaux (pas poivrots) 😉 Amicalement, jm.

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