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Par amour du glou

Cuvées en bande organisée

Les bio ont pris le pouvoir ! À Latour-de-France, entre Pyrénées et Méditerranée, une vague d’installations sans précédent a transformé le village en repaire de néo-vignerons à l’esprit nature. Achat groupé de matériel, vendanges et ventes communes : tous les bons coups sont permis.

Latour-de-France, 1000 habitants, une quinzaine de vignerons bio, près de 100 cuvées. Et un caviste heureux. ©Thomas Louapre

Tassées sur trois étagères, les bouteilles rivalisent de couleurs, d’excentricité et de jeux de mots bon enfant : « Pink is not Red », « Le Bon, la Brute et le Carignan »… Oh, et celle-là ne manque pas de franchise : « Le Fruit du hasard » ! En petit, sur la bouteille à côté, on peut lire « Contient des sulfites, mais le moins possible ». C’est sûr, on est encore tombés sur des originaux. Au Coq à l’Âne, le seul bar à vin de Latour-de-France (Pyrénées-Orientales), ces quilles farfelues ont une place de choix : ce sont celles du village, réputé pour être un repaire de vignerons bio et nature.

À Latour, pour mille habitants, il y a une quinzaine de vignerons, dont treize en bio ! précise Virginie, la jeune patronne. Soit l’équivalent d’au moins une cuvée pour dix habitants : il n’y a pas embouteillage, là ? Ce sont des vins d’auteur, il y a beaucoup de différences de l’un à l’autre, assure Morgan, son compagnon. Pourtant, ces vignerons travaillent les mêmes cépages. Surtout, ils travaillent main dans la main : chacun a son petit domaine mais un pressoir collectif tourne chez les uns et les autres. Et tous les ans à l’automne, la Bande de Latour, montée en association depuis 2012, ouvre ses caves au public, dans une grande débauche de musique, d’expositions et de vin « vivant ».

Jean-Louis Tribouley, un des pionniers de la Bande, surveille l'évolution de son « pét' nat' », un effervescent vinifié naturellement. ©Thomas Louapre

D’un naturel solidaire

C’est la simultanéité des installations qui rend ça possible, explique Jean-Louis Tribouley dans sa cave, à quelques pas du bistrot. On est tous arrivés en 5-6 ans, à partir de 2001, et on avait les mêmes besoins. Jean-Louis, ancien chaudronnier puis travailleur associatif, vient d’érafler la récolte du matin. La cave embaume le raisin en fermentation, les barriques sont lourdes, la vendange tire déjà à sa fin. Le vigneron se souvient de son arrivée en 2002. Il était le deuxième de cette génération de néo-paysans, dont aucun ne vient du monde agricole, et il était le premier en bio. On est très vite passés à 4, 8, 12, 16 ! Au bout d’un moment, on se rend compte qu’on est un groupe. T’as des feux qui prennent, tu sais pas pourquoi. Et quand on fait la journée caves ouvertes, on sent ce feu, cette bienveillance, ce sentiment d’appartenir à quelque chose de cohérent.

Loïc Roure a investi cette ancienne cave coopérative en 2003 pour y créer son Domaine du Possible. ©Thomas Louapre

Au pays des caves coopératives (celle de Latour date de 1920), la Bande veut dépasser la simple mise en commun des moyens de production. L’économie d’échelle est facile à réaliser, ce n’est pas ma principale motivation, explique Jean-Louis. Attention, ce n’est pas parce que tu fais ensemble que tu fais collectif ! Le collectif, c’est un projet de société. Le collectif, il doit avoir un cœur qui tape et une tête qui pense. Illustration l’hiver dernier lorsque la Bande a assuré la taille de la vigne d’un de ses membres, qui venait de perdre son père.

Coopération plutôt que compétition

Dès qu’une merde arrive à la vigne, tu appelles et c’est bon, pas besoin de revenir à la maison. T’as dix numéros de téléphone avant ta femme ! Et la concurrence ? Elle existe naturellement, concède Jean-Louis, mais on est assez intelligents pour ne pas se gauler des clients ! On fait beaucoup d’expéditions communes, et puis il y a une émulation, le niveau augmente chez tout le monde. La Bande fait même une cuvée commune, vendue à prix cassé à des associations : « La Couillade » (on ne rit pas). Le raisin est vendangé dans une vigne réservée de 5000 mètres carrés (moitié grenache, moitié cépages anciens), puis vinifié à tour de rôle. Cette année, ce sont Sylvain Respaut et Olivier Cros, de la Cave Apicole, qui s’y collent. Ils devraient sortir près de 600 bouteilles.

Édouard Laffitte a acheté la moitié de la cave de Loïc pour y installer son propre domaine. Ainsi est né le « Jajakistan », royaume du vin nature. ©Thomas Louapre

Preuve que la nouvelle génération a pris le pouvoir, deux membres de la Bande ont investi une cave coopérative abandonnée, à quelques kilomètres de Latour en remontant la vallée de l’Agly. À Lansac, un joli bourg désert balayé par la tramontane, il est 14 heures bien tassées quand la camionnette de Loïc Roure se gare devant la cave pour décharger la récolte du matin. Les caisses passent de main en main. Dans la chaîne, entre deux saisonniers, Edouard Laffitte a déserté quelques minutes sa partie du bâtiment pour donner la main. La limite des deux domaines est une porte coulissante, au milieu de la gigantesque bâtisse, et elle est toujours ouverte.

On est chacun propriétaire d’une partie, explique Edouard. Quand Loïc m’a invité en 2003, il y avait de la place pour deux. Il m’a dit « des vignes, t’en trouveras sans problème. On a partagé le chariot élévateur et l’étiqueteuse, ça y fait. Je venais pas d’un milieu agricole, et au début, c’est beaucoup d’investissements.

Grossir les rangs

Depuis, l’autoproclamé « Jajakistan » héberge le Domaine du Possible, qui rassemble les cuvées de Loïc, et le Bout du Monde, qui désigne celles d’Edouard. L’équipe de vendangeurs est aussi partagée : quand l’un des deux compères est à la vigne, l’autre prépare le déjeuner pour tout le monde et carafe quelques vins pour l’incontournable dégustation à l’aveugle. Autour de la table, on trouve Yadaf, Eliyas et Abdelhadi, trois jeunes réfugiés politiques qui ont quitté l’Éthiopie et sont passés par la jungle de Calais. L’association qui leur trouve du travail a aussi placé trois personnes chez Jean-Louis Tribouley, qui commente sobrement : La question de les embaucher ne se pose même pas. Si tu fais pas ça, tu fais rien.

L'équipe de vendangeurs est partagée entre les deux vignerons. Quand l'un est à la vigne, l'autre prépare le déjeuner. ©Thomas Louapre

L’après-midi, au milieu du ballet du chariot élévateur, qui passe de main en main pour porter ici les caisses d’Édouard, là celles de Loïc, un des employés, Alex, prend le temps d’inspecter une petite cuve. C’est sa propre récolte qui est ici en train de fermenter. Il se forme sur le tas, avec l’aide des copains. Entre deux « encuvages », un autre saisonnier, Luc, dégaine fièrement une bouteille de sa première cuvée, Amb Amics, (« Avec les amis » en catalan). Sans même y songer, l’auguste bâtisse voit renaître l’idéal coopératif, celui des potes qui se serrent les coudes.

©Thomas Louapre

Pour découvrir plus d’images sur la Bande de Latour, c’est par ici.

3 commentaires

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  1. je découvre cette « bande » de Latour de France grâce au magazine alors que j’aime le bon vin, uniquement bio, et que j’habite dans les Aspres ?? cherchez l’erreur ?
    je trouve ce partage et cette réussite absolument extraordinaires ! bravo et re bravo !!
    Gin

  2. MAGNIFIQUE!!!!! Franchement ça sent bon la douceur de vivre et les petits bonheurs! Merci et surtout longue continuation jusqu’à…TOUJOURS!!!

  3. Superbe esprit coopératif qui ressurgit ! Bravo , gardez le surtout , il est trés précieux et vite mis à mal par la cupidité !!

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