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Positive altitude

Les Moustaches : l’art de créer une ferme collective

Huit jeunes des quatre coins du monde partagent une bergerie à trois quarts d’heure de piste du premier village (et à 60 kilomètres de Menton). Les Moustaches, c’est un peu le Loft Story du terroir, les caméras en moins, le poulailler en plus.

Trois heures d'arrosage par jour : la ferme ne connaît pas la sécheresse. ©Thomas Louapre

Les premiers rayons du soleil se hissent enfin au dessus des crêtes pour venir réchauffer le potager. Il est 6h30, Erika arrose abondamment les courges. L’eau ne manque pas ici. Dans le silence des Alpes, uniquement troublé par le chuintement de l’arrosage automatique des pommes de terre, la jeune américaine explique à sa collègue Clarisse les tâches à effectuer lorsqu’elle partira pour une semaine de congés : L’ail a besoin d’être désherbé. En même temps, on peut décompacter la terre pour qu’il puisse grandir. Et tu sais, les tomates n’ont pas besoin de tant d’eau, ce sont les graines de carottes qui ont besoin d’humidité. De toute façon, dans le carnet vert, j’ai expliqué quoi arroser quand.

Les deux jeunes femmes conversent en anglais, la langue quotidienne, et omniprésente, du collectif Les Moustaches. Ici, tout est compilé dans des carnets, écrit sur les murs, dessiné s’il le faut : travaux agricoles, ménage, cuisine, vaisselle… La signalétique au service de l’aventure collective. C’est qu’il faut de l’ingéniosité pour faire fonctionner une équipe internationale sur une ferme à 1200 mètres d’altitude, à 45 minutes de piste de Tende, le village le plus proche.

©Thomas Louapre

La bande cosmopolite (quatre français, trois allemands, deux américains, un roumain) s’est installée en 2016 aux portes du Mercantour, 10 hectares idéalement exposés et alimentés par une source, acquis grâce à une levée de fonds. L’association Les Moustaches a carte blanche pour exploiter le terrain qui appartient à une SCI réunissant 65 contributeurs, curieux de voir ce qui sortira de l’expérimentation. Au programme : comment construire de toutes pièces une ferme autonome et pluridisciplinaire ? Entre la réhabilitation des deux bergeries à l’état douteux, l’installation d’un atelier, le lancement de l’activité maraîchage, l’accueil d’artistes en résidence, la production d’électricité renouvelable, l’animation d’un blog pour documenter la démarche, le travail n’a pas manqué les premiers mois.

L'association Les Moustaches a carte blanche pour exploiter le terrain qui appartient à une SCI réunissant 65 contributeurs, curieux de voir ce qui sortira de l'expérimentation.

Au début, tout prend tant de temps, raconte Erika. On a commencé en même temps les projets économique, individuel et collectif. Tensions personnelles, accidents, récolte dévastée par les sangliers, la première année est riche en émotions et en enseignements. Au premier rang desquels l’importance de travailler sur la communication et la répartition des tâches, les nouvelles priorités du collectif.

« L'année dernière on a planté des centaines et des centaines de salades et on s'est retrouvés avec tout en même temps, explique Clarisse. Cette année, c'est juste pour nous, et on en fait en continu dans la pépinière ». ©Thomas Louapre

Agriculture non violente

D’abord, on essaie de distinguer le chez-nous du travail, parce que si tu bosses beaucoup un jour, ça ne te dédouane pas de tes obligations sur le lieu de vie ! On a donc séparé les tâches quotidiennes du travail de la ferme, qui est affiché ici, dans le Lab, explique Géraldine, dans une petite pièce reconvertie en bureau. Électricité solaire, Internet et téléphone par satellite, tableaux blancs aux murs, et le petit plus : un paysage à couper le souffle de l’autre côté de la fenêtre. Un nouveau tableau, sorti de l’atelier bois, a fait son apparition ce matin. C’est tout neuf ! Il y a plein de choses nouvelles, c’est ça quand on communique ! » s’enthousiasme Géraldine, qui suit un MOOC des Colibris sur la gouvernance partagée. J’impulse ces questions dans le collectif, il n’est jamais trop tard. On fait régulièrement des cercles de ressenti. Et puis ceux qui ont des réticences avec la communication non violente, on ne leur dit pas qu’on l’utilise !

Buttage des pommes de terres. Un boulot ingrat qui passe mieux en groupe. ©Thomas Louapre

Côté lieu de vie, les murs sont remplis de mots et semblent dicter un fonctionnement immuable. Dans la cuisine, une « Roue de la fortune » confie à des binômes les différentes tâches, à tour de rôle. Les wwoofeurs n’ont qu’à ouvrir les yeux pour s’informer, puis ajouter leur nom au tableau et prendre le train en marche. En dehors du petit déjeuner, les repas sont pris tous ensemble. Une caisse commune, alimentée à hauteur de trois euros par jour et par personne, permet d’acheter à l’épicerie associative de la vallée ce qui n’est pas produit sur place.

Les tâches quotidiennes, c’était un gros morceau, mais on est arrivés à un point où c’est bien calé, assure Clarisse. À tel point que l’organisation peut maintenant s’éclipser derrière la convivialité : L’idée du carnet vert, c’est de noter les infos importantes sans avoir besoin d’en parler quand on voit les autres, et de pouvoir axer les moments de repas sur le vivre-ensemble. C’est important de réserver des moments un peu « out ». Un grand sifflement parcourt la ferme : le repas est prêt ! Les garçons se font attendre ; Erika, Clarisse et Judith sortent les guitares. L’attente, c’est une des joies du collectif, commente Géraldine.

Avant de passer à table, le temps d'attente est rentabilisé. ©Thomas Louapre

Ferme globale

Chacun trouve petit à petit sa place sur la ferme. On a resserré les projets sur l’agriculture et l’hébergement, explique Erika, référente fruits et légumes. Les marchés locaux étant saturés, le collectif vend cette année directement à Nice, à deux heures de route, des légumes de garde : pommes de terre, ail, oignons, courges. Comme l’on est jamais mieux servi que par soi-même, c’est le fondateur des Moustaches, Eliott, qui a lancé ce magasin de producteurs. C’est une sorte d’extension de la ferme, parce que ce n’est pas facile de venir chez nous ! s’amuse le porteur de projets en série, qui passe désormais plus de temps à Nice que dans la vallée de la Roya.

On a besoin de personnes qui font le lien à l’extérieur mais aussi d’autres qui restent ici, résume Erika. D’un côté Adrian, le graphiste, qui met en forme le site Internet et crée les flyers depuis sa chambre d’étudiant à Londres. De l’autre Andy, le bricoleur, qui vient de terminer l’installation de la clôture électrique pour sauver la production annuelle des attaques de sangliers.

« On a pas du tout la sensation d'être isolés », explique Géraldine. Internet a même été installé avant les toilettes sèches... ©Thomas Louapre

Géraldine, qui alimente régulièrement le blog du collectif,  mise sur l’accueil à la ferme : la chambre louée avec AirBnB est déjà bookée tous les week-ends et assure une entrée fixe d’argent bienvenue. À venir, dès septembre : des stages de danse et d’écriture, lorsque la petite bergerie sera entièrement restaurée. Il y a aussi le projet de loger des groupes qui voudraient faire comme nous, explique Clarisse. Comme une pépinière de projets. Avant d’en arriver là, Les Moustaches savent qu’il faut du temps pour que l’expérience se transforme en savoir-faire. En fait, c’est ça est intéressant, relève Erika. Faire grandir et vendre des légumes, ce n’est qu’une petite partie du projet. Depuis le début, le vrai but est de tester et d’inspirer. Peut-être qu’un jour des gens comme nous vont venir ici. Mais avant d’enseigner, il faut déjà qu’on apprenne. 

©Thomas Louapre

Envie de plus d’images sur le collectif Les Moustaches ? C’est par ici.

5 commentaires

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  1. bravo pour ce beau site : Une ferme qui cultive pleins d’aspects de la vie. C’est vous les CHAMPIONS du quotidien et de l’avenir !

  2. Des locations avec AirBnB… ceux qui donnent à leurs adhérents les infos pour ne pas payer d’impôts, qui permettent de rapporter de l’argent à ceux qui en ont déjà et confisquent les logements aux touristes plutôt que les louer à ceux qui ont besoin… de se loger tous les jours? Voir les articles de Basta sur le sujet.

    1. Payer moins d’impôt en utilisant les lois votées pour aider à la construction de logements pour des personnes qui ne peuvent se permettre d’être propriétaire n’est pas un crime. Et tout le monde peut améliorer la rentabilité de ses placements avec autre chose qu’un Livret A à 0,75 % 😉 Ce ne sont pas les plus riches qui ont besoin de conseils, mais au contraire, tout le reste de la population !
      En tout cas, c’est une très belle initiative cette bergerie internationale ! Bravo

  3. Superbe expérience, une bonne inspiration qui montre que le temps est un facteur important dans un projet…Eco-gîte 1001nuitsenberry en sud Berry organisateurs de chantiers participatif sur mon lieu de vie avis au amateur pour découvrir les lieux saisir 1001nuitsenberry David

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