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Nourrir sans perdre un radis

En bord de Rance, l’art du compromis maraîcher

Mieux que la permaculture : la permaculture adaptée. Pour rendre leur micro-ferme nourricière, les Jardins maraîchers de Plouër-sur-Rance piochent parmi plusieurs techniques maraîchères, loin des utopies. Face à la réalité de l’agriculture bio, l’affaire n’est pas encore rentable.

Vue des serres des Jardins maraîchers. © Géraud Bosman-Delzons

La première caractéristique d’un jardin en permaculture, c’est la culture sur butte, pose Hervé Jouet, en charge de la logistique aux Jardins maraîchers. Il y a différents styles de buttes, explique-t-il, comme celui en lasagnes : une superposition de couches de carton, de feuilles, de bois décomposé, de pelouse tondue, puis de compost, voire de déchets végétaux. Mais ici, on a fait au plus simple : une petite surélévation de la terre, amendée régulièrement, cultivée sur 25 m de long pour 80 cm de large. Cette courte largeur est faite pour enjamber la butte si on veut effectuer la récolte en restant debout, reprend le cultivateur avant de mimer le geste.

Les intérêts d’une butte sont divers : un meilleur drainage des eaux de pluie, un développement propice des racines, un sol peu ou pas travaillé ou encore une délimitation visible de la zone de culture qui ne sera pas compactée. Certaines sont abritées sous serre, d’autres restent en plein air, bordées par des arbres fruitiers. Le tout s’étend sur 1 000 m² de culture sur lesquelles poussent une variété de 30 à 40 légumes des plus classiques.

Lydia est stagiaire aux Jardins maraîchers des Bords de Rance, elle prépare un brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole en maraîchage biologique. © Géraud Bosman-Delzons

Voilà pour le décor planté depuis 2015 à La Matz, dans une boucle bucolique de la Rance, juste avant que la rivière ne devienne estuaire, puis mer, à Saint-Malo. Les metteurs en scène sont un couple de Parisiens, Jérôme et Hélène de Ségogne. Lui est gestionnaire de fonds immobiliers. A priori, deux mondes… Mais, explique-t-il, la terre est aussi un actif, finalement. Or, ce sujet de l’écologie est devenu très prégnant au fil des années dans mon secteur, dit-il. Les investisseurs sont sensibles aux activités socialement responsables.

Se sentant à leur tour questionnés, souhaitant participer à leur petite échelle à la transformation de la société, les Ségogne dénichent non sans mal un lopin de terre. La condition : acheter la vieille bâtisse comprise dans le lot, à rénover. Celle-ci abrite aujourd’hui cinq chambres pour des hôtes de passage qui peuvent mettre la main dans la terre. Hervé Jouet les rejoint dès le début de l’aventure. Deux ans plus tard, ils recrutent un couple de Bretons : Stéphane et Bérénice Couture, deux maraîchers professionnels souhaitant approfondir leur pratique de la permaculture.

Rangée de choux sur butte. © Géraud Bosman-Delzons

Du rendement naturellement

Sous la serre, un long serpent de plastique noir zigue-zague entre les plants de pommes de terre et de courgettes. Il est percé de petits trous. On pratique l’arrosage au goutte-à-goutte, reprend Hervé Jouet. D’abord pour éviter les pertes en eau avec un arrosage aérien. Ensuite, pour éviter d’abîmer le feuillage et la survenue du mildiou. Enfin pour que la plante fasse son travail en allant puiser l’eau avec ses racines. Certains légumes ont de longues racines et vont aller se nourrir en profondeur, comme le panais ou le radis daïkon. Mais il n’y a pas de science exacte pour l’arrosage, c’est beaucoup d’observation.

Un principe clé de la permaculture est d’obtenir un rendement (naturellement, bien sûr) le plus élevé possible. Donc une butte ne doit jamais rester inactive, poursuit l’agriculteur. Derrière une récolte, on replante. Et si l’on ne replante pas, on lui apporte du fumier pour l’enrichir. Elle ne produit pas, mais n’est pas non plus tout à fait inactive car elle travaille en sous-sol. Puis on la bâche pour éviter la pousse d’adventices.

Stéphane Couture est le chef des cultures. © Géraud Bosman-Delzons

Au cours des saisons, la rotation mais aussi l’association des cultures permettent également de maximiser le rendement. Sur une planche (composée ici de six buttes, NDLR), on plantera trois rangs de carottes et trois autres de radis, puis on les intervertira. Leurs racines n’ont pas la même longueur donc ne puisent pas leurs nutriments au même endroit. Cette technique évite l’épuisement du sol. Mais parfois, il faut savoir renoncer. L’association de cultures sur une même butte a ainsi été mise au ban pour le moment. On a constaté par exemple que le haricot, avec ses grandes feuilles, étouffait les salades, remarque le maraîcher.

Parfois encore, il suffit de s’adapter. Comme pour le mizuna : cette variété de chou japonais au goût de moutarde qui se déguste cuit ou cru en salade est la proie de l’altise, un petit coléoptère qui ravage les jeunes pousses aux beaux jours. Alors il sera relégué sous tunnel pendant l’hiver. C’est sûr, le fait d’être en bio nous fait perdre des productions, reconnaît Jérôme de Ségogne. Cet hiver, un champignon a décimé les petits pois et les épinards. La faune du secteur y ajoute son grain de sel : Les mulots, les chevreuils, les rats des champs. Il faut faire avec.

Pour faire de la permaculture quelque chose de rentable et générateur d'emplois, il faut mettre un peu de rationalité dans tout ça.
Hervé Jouet est responsable de la logistique maraîchère et de la commercialisation des produits. © Géraud Bosman-Delzons

Rester rationnel pour gagner des radis

Les maraîchers de La Matz se veulent donc modestes face à ce concept de permaculture aux contours à la fois flous, exigeants et souples. La permaculture est un principe général d’organisation qui prône de vivre dans une forme de mimétisme de l’ordre naturel des choses. Il s’agit d’accompagner la nature plutôt que de la forcer, définit Jérôme de Ségogne. Mais pour en faire quelque chose de rentable et générateur d’emplois, il faut mettre un peu de rationalité dans tout ça, ne pas tomber dans l’utopie. Donc installer des bâches trouées pour planter des salades, ce n’est certes pas de la permaculture, mais c’est un peu inévitable. Inévitable, car le désherbage manuel est très chronophage, donc coûteux. La bâche, certes plastique, empêche tout simplement aux « mauvaises herbes » de pousser autour des pieds de cultures, plus efficacement que le paillage organique qui laisse passer les vivaces.

Exemple avec un autre critère de la permaculture : le travail manuel. Ici, on s’autorise un petit motoculteur, un outil polyvalent qui permet d’aérer la terre sur 20 cm, de sortir les pommes de terre du sol, etc. C’est ce que l’agronome Kévin Morel (AgroParisTech/Inrae), auteur d’une thèse sur la Viabilité des micro-fermes maraîchères biologiques (2016), appelle un compromis. Il n’y a pas de diktat, insiste Jérôme de Ségogne. Pour nous en tout cas, le projet était d’avoir une production saine, naturelle et respectueuse de l’environnement, de ne pas épuiser le sol, de participer à l’économie circulaire en démontrant que ce genre de micro-ferme d’un hectare est capable de nourrir 400 familles avec des légumes de qualité et de créer de l’emploi. On y est.

La marge réalisée dans nos jardins est négative parce que le besoin de main d'œuvre est énorme.
Le petit motoculteur, le compromis pour adapter la méthode permacole à la réalité économique. © Géraud Bosman-Delzons

Reste que l’affaire n’est pas rentable. L’équipe compte aujourd’hui 3,5 salariés pour les jardins et 1 pour les chambres d’hôtes. Et ce dernier poste s’avère essentiel puisque, dans le chiffre d’affaires de 100 000 € de la petite entreprise, c’est bien l’activité hôtelière qui permet d’équilibrer les comptes. La vérité, c’est que l’équilibre est précaire, admet Jérôme de Ségogne. La marge réalisée dans nos Jardins est négative parce que le besoin de main d’œuvre est énorme. En agriculture conventionnelle, il faut 2 emplois pour 150 hectares. En permaculture, il faut 6 temps plein pour 1 ha. En maraîchage sur sol vivant, on a un retour sur investissement à partir de 20 €/m² de production contre 2 € en conventionnel.

Pour ne rien arranger, ces micro-fermes ne bénéficient pas des aides publiques, de la PAC notamment, qui subventionnent au prorata de l’hectare ou de la production. Un système aujourd’hui contesté à Bruxelles. Enfin, le bien fait à la planète n’est pas rémunéré (externalité positive). Pourquoi ces gardiens des écosystèmes ne sont-ils pas reconnus ?, s’interroge placidement Jérôme de Ségogne. Là encore, cette question reste l’un des points d’achoppement de la réforme européenne toujours en cours de discussion.

S’inspirer des terres au-delà des mers

Pour les puristes, il ne doit même pas y avoir de dimension lucrative dans la permaculture, précise de son côté Stéphane Couture, une binette sur l’épaule. Mais ce n’est pas possible dès lors que l’on veut salarier, faire vivre des gens. Nous sommes donc au croisement de plusieurs méthodes. L’inspiration, ils la puisent chez deux références américaines de la permaculture et du maraîchage biologique sur petite surface : Eliot Coleman et, de quarante ans son cadet et disciple, le Canadien Jean-Martin Fortier. Enfin, plus proches de nous, les Guyader, fondateurs de la ferme du Bec Helouin en Normandie, où Hervé Jouet est parti se former, ont également pu servir de modèles aux Jardins maraîchers.

Les Jardins de la Matz sont le pendant hôtelier des Jardins maraîchers. Une activité financièrement indispensable à l'équilibre économique. Des tables d'hôte et des ateliers de transformation sont en projet. © Géraud Bosman-Delzons

On accumule des acquis, se réjouit Stéphane, la terre s’améliore, on le voit bien à la couleur, au tassement, aux bestioles que l’on trouve à l’intérieur. On s’organise de mieux en mieux. On pourrait toujours agrandir le terrain, mais on préfère bien gérer ce que l’on fait déjà. Parce qu’il n’y a pas que la récolte, il y a la plantation, la gestion des plannings de culture… Par exemple, on évite de planter six buttes de fenouil en même temps, car ils arriveront à maturité simultanément, et on ne pourra pas les vendre massivement d’un coup. Les besoins des clients sont réguliers. Les clients ? Un tiers en restauration, un tiers en vente directe sur les marchés et en paniers (sur le site), en épicerie spécialisée. Toute la marchandise est écoulée à quelques dizaines de kilomètres à la ronde.

La permaculture, écrit Kévin Morel, fournit un grand nombre d’outils concrets, de concepts et de méthodes qui sont souvent méconnus et réduits de manière caricaturale et simpliste à quelques techniques miracles de jardinage. Des travaux scientifiques aux États-Unis et en France montrent que la permaculture peut permettre de créer des fermes viables. Cependant, la permaculture ne fait pas de miracles ! Les permaculteurs expérimentés sont les premiers à reconnaître que la conception et la gestion d’une ferme demeurent des tâches complexes qui demandent de l’humilité, de l’observation, de l’énergie et de la patience.

3 commentaires

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  1. Bonjour, Je lis assidûment vos articles dont j’apprécie pour la qualité, la fraîcheur et le dynamisme. Un grand merci pour votre travail de qualité donc. Cependant, cet article sur les maraîchers de la Rance me pose question. Car certains propos donnent une interprétation très byzantine de ce système de culture qu’est la permaculture et contribue à réduire sa philosophie à une caricature trop souvent simplifiée et grossière. Je me permets donc de relever certains points :
    1-« La première caractéristique d’un jardin en permaculture, c’est la culture sur butte ». Permaculture ń’est pas synonyme de butte. La butte est une technique ancienne de culture (de même que la rotation des cultures) que certains permaculteurs utilisent dans des contextes particuliers, car elle y est pertinente, mais pas dans toutes. Il existe beaucoup, beaucoup et beaucoup de design permacoles sans butte.
    2- « Exemple avec un autre critère de la permaculture : le travail manuel ». Aucun des 12 principes de la permaculture établis par Holmgren (l’un de deux concepteurs de cette technique) n’exclue (ou d’ailleurs ne cite explicitement) l’utilisation d’engins mécanisés et ne fait du travail manuel de la norme unique. Il s’agit bien sûr d’utiliser le minimum d’intrant possible et de limiter son effort, selon une équation simple qui veut que l’énergie dépensée (ratio temps passé , travail physique déployé, pétrole brûlé, etc.) pour produite une calorie de nourriture doit être au moins égale au rendement obtenu. Dans certain cas donc, rien ne sert de s’user inutilement le dos, son temps et sa bonne volonté quand un engin facilite la donne (pour aller dans ce sens, il suffit de voir le travail de Seb Holzer au Tyrol et n’oublions pas que souvent dans un sytème en permaculture type le Bec Hellouin, on aime bien avoir plein de stagiaires motivés, qui remplacent parfois bien la machine ?). En outre, tout design en permaculture en cours création demande énormément d’efforts avant d’être auto-productif ! (Les modestes jardiniers qui s’esquintent le dos à la grelinette le savent bien)
    3- « Pour les puristes, il ne doit même pas y avoir de dimension lucrative dans la permaculture ». La permaculture, à son origine n’avait pas été pensée en terme d’entreprise économique viable, elle était pensée dans le but de créer une autonomie alimentaire pour des groupe d’individus placés dans des conditions climatiques et territoriales peu propices à leur subsistance (le désert australien par exemple). Mais est-ce parce qu’elle n’a pas été pensée en ce sens qu’on doit s’interdire d’enrichir le concept de base en l’utilisant dans d’autres contextes ? D’autant, que la permaculture n’est pas une religion mais juste un système de conception très utile. Or donc, avant de devenir autonome, résilient et abondant, un système designé en permaculture prend beaucoup de temps pour se penser, se mettre en place, et se développer. Quand on a besoin d’être rentable rapidement et de dégager des salaires, cette dimension du long terme est intenable, faire des compromis semble donc relever du bon sens (Xavier Mathias en parle souvent quant à l’exploitation maraîchère de Montlouis).
    Personnellement, Je trouve ça plutôt positif qu’on se serve des principes de permaculture pour enrichir les pratiques maraîchères traditionnelles. Et si l’on devait garder une seule chose de la permaculture, ce sont ses trois principes fondamentaux : « prendre soin de la terre, prendre soin de l’humain, et partager équitablement ». Tout le reste n’est que salamecs et guéguerre d’école. Voila désolé pour ce long commentaire discursif, merci encore pour votre chouette travail.
    Bon vent aux maraîchers de la Rance et à bientôt de vous lire!

    1. Bonjour, j’ai beaucoup de retard, mais je tenais à vous remercier beaucoup pour vos compliments et pour ce commentaire constructif et enrichissant. Si j’ai tardé, c’est que je pensais rebondir sur le fond. Mais à la relecture, je ne trouve plus rien à y redire !- si ce n’est que l’article ne visait pas tant à définir la permaculture qu’à entendre comment ces maraichers définissent leur expérience par rapport à ce concept (qu’ils veulent justement souple, « il n’y a pas de diktat », dit bien J. de Ségogne, rejoignant ce que vous dites). Merci donc d’avoir contribué à en définir plus précisément le périmètre, finalement plus inclusif qu’on ne le pense. Pour la butte et le travail manuel, cela pourrait se discuter mais ce serait byzantin comme vous dites. Merci pour votre fidélité et bonnes lectures!

  2. J’admire et approuve la franchise, l’objectivité et le réalisme de ce couple de Parisiens nous faisant part des obstacles rencontrés au cours de cette périlleuse expérience.
    Trop nombreux sont les bisounours qui s’émerveillent un peu trop hâtivement de la beauté de la nature et de la générosité humaine.

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