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Discussion de comptoir

Dans le verre de Michel Tolmer

Michel Tolmer, peintre et graphiste, balade ses crayons parmi les vignerons libres et natures. Il partage la même passion immodérée pour le vin que les personnages Mimi, Fifi et Glouglou qu’il croque en bande-dessinée depuis 2013. Dans son verre, de l’Aveyronnais sans dogmatisme.

Pourquoi aimez-vous le vin ?

Parce que c’est magique. La transformation d’un fruit en une boisson illimitée dans ses goûts. On peut distinguer un grand nombre d’éléments dans un même jus. Et aussi parce que le vin saoule gentiment, qu’il facilite le contact avec l’autre.

Quel a été le déclic ?

C’est un livre très classique, mais je me souviens encore de la librairie où je l’ai acheté. La dégustation de Steven Spurrier et Michel Dovaz de 1984. Les notes de dégustation qu’il contient m’ont fasciné. Chaque vin y est appréhendé selon l’œil, le nez, la bouche. Je découvrais qu’on pouvait percevoir tant de choses. Il y a des livres capitaux qui font une impression vive et auxquels on se réfère ensuite. Il a fait partie de ces rencontres-là.

Comment vous êtes-vous épris du vin ?

Mes parents buvaient à table un litre étoilé de chez Nicolas, un truc de base avec la capsule, autour de 10,5 °. J’avais une culture du vin proche de zéro. J’ai commencé au comptoir avec du tout-venant dont le seul intérêt tenait à la légère ivresse qu’il procurait. Mais j’ai hérité d’une certaine sensibilité grâce à la bonne cuisine de ma mère ou à la musique classique. Développer une curiosité pour le vin peut venir d’ailleurs. Après il y a plein de jalons au cours de la vie, qu’on situe d’ailleurs a posteriori. Un jour quelqu’un m’a fait goûter un bourgogne passetoutgrain, un autre j’ai rencontré un vieux monsieur de Jasnières… Ces petits rendez-vous m’ont mené progressivement au fait que, décidément, le vin me plaisait beaucoup.

© Michel Tolmer

Quel rapport entretenez-vous avec lui ?

Obsessionnel et prudent, le second découlant justement du premier. Je passe ma journée à travailler autour du vin. Parfois il y a saturation. Mais face à tellement de merveilles, si tu ne décides pas de te restreindre, ça peut mal finir. Par exemple, je bois rarement le midi, ça me fatigue. Même si un coteaux-champenois à 11 h 30, c’est terriblement délicieux.

Quel type de vin préférez-vous boire ?

Un vin léger, désaltérant, pas trop chargé en alcool et qui a conservé de l’acidité. Avec l’inventivité de ces jeunes vignerons qui bossent dans toutes les couleurs, j’adore les rosés foncés et les rouges légers, les macérations de blanc qui apportent de la fraîcheur sur certains cépages. J’aime le Beaujolais et la Champagne. Aussi Nicolas Carmarans dans l’Aveyron qui fait des vins très digestes et frais. Ses cuvées de fer servadou (l’un des plus anciens cépages du Sud-Ouest, NDLR), c’est une évidence.

Une bouteille qui vous a marqué ?

Dans les années 1980, j’ai un vieux souvenir en Anjou, à la fête du vin et des escargots ou quelque chose de cet ordre. Un layon, de 1947 ou 1959, je ne suis plus sûr. J’ai mis le nez au-dessus du verre et j’aurais pu y passer trois jours. C’était paradisiaque.

Que commandez-vous quand vous n’avez pas d’idées ?

Étant obsessionnel, la situation est rare. Je me pose toujours trop de questions sur ce que je vais boire. C’est bien ce qui me rend ridicule.

Quel vin n’est pas votre tasse de thé ?

J’aime la fraîcheur, donc peut-être un blanc lourd du Sud – les blancs du Sud n’étant pas fatalement lourds. C’est à ce moment de l’interview que j’appuie la bénédiction de la diversité des goûts. Quel délice quand quelqu’un te prouve que ce que tu n’aimais pas était en fait un a priori. Le je-bois-que-du-Sancerre peut même devenir préjudiciable pour les vignerons en les engluant à une réputation. Mieux vaut ne pas se mettre d’œillères.

Avez-vous des tics ou des rituels malgré vous ?

Après avoir ouvert la bouteille, je me dis que j’aurais pu en choisir une autre. J’ai ce blanc en main, mais j’aurais pu déboucher un rouge.

Vous risquez-vous au vieillissement en cave ?

Un box me permet d’en stocker quelques-unes. Sauf que je suis un maniaque de la température, j’ai toujours l’impression qu’elles vont avoir trop chaud. Je suis davantage aux petits soins avec mes bouteilles que je pourrais l’être avec un animal.

© Michel Tolmer

Y a-t-il une hiérarchie entre les vins que vous buvez ?

Une distinction un peu binaire entre les vins désaltérants et les grands vins de terroir. Ceux-là font ralentir. Tu les sirotes presque. Un banyuls de Vincent Cantié, tu le bois à minuit, en été, avec deux amis. C’est un vin de méditation. T’ouvres pas une bouteille comme ça tous les jours, ni avec une tablée qui s’en fiche. Dernièrement, je sors une bouteille de Léon Barral, qu’on doit traiter selon moi avec un peu d’égard. Mon neveu et ma nièce, qui ont la trentaine, s’en servent goulument. Mais je vois qu’ils remarquent vraiment que c’est trop bon. Donc je leur ai pardonné de l’avoir vidé sans vergogne devant moi.

Êtes-vous un habitué de la dégustation comme Mimi, Fifi et Glouglou ?

Non et je suis nul de toute façon. Ce n’est pas de la fausse modestie, je confondrais un muscadet avec un porto. La dégustation à l’aveugle pousse au désir de briller, quitte à ne plus faire vraiment attention à ce qu’il y a dans le verre. Justement, je base là-dessus les histoires de Mimi, Fifi, Glouglou parce que ce côté concours entraîne des situations un peu grotesques et donc drôles.

Quelle place accordez-vous au vin naturel ?

Large. Mais si « naturel » est ton premier et unique critère, tu vas boire des trucs qui ne sont ni faits ni à faire. On devrait juste parler de bon vin. L’idéologie a été un outil à un moment et je trouve qu’elle devient un obstacle qui fragmente socialement et politiquement quand le débat s’invite. Marcel Lapierre ou Pierre Overnoy (vignerons pionniers du vin naturel dans les années 1980, NDLR) s’en sont servis pour se battre dans un environnement hostile en vue d’un changement – mais sans véhiculer de diktats sévères cela dit. Le dogmatisme est un virus dont je suis également porteur, ça m’est arrivé d’être très péremptoire concernant ce que je buvais. Mais il faut veiller à ce qu’il ne devienne pas une arme lourde.

Comment a évolué votre goût au fil des années ?

L’irruption du nature a été pour moi un chamboulement majeur, dans les années 1990. L’aspect du vin nu et dépouillé de tout artifice, si tant est que la saveur soit relativement précise, m’a déstabilisé. Sans cet attirail que je pensais inhérent au vin, à l’instar d’un boisé un peu excessif, j’ai trouvé au départ qu’il manquait quelque chose. Au fur et à mesure, c’est plutôt l’inverse qui m’a paru encombrant.

© Michel Tolmer

Y a-t-il quelque chose qui vous agace quand il s’agit de vin ?

D’y penser un peu trop.

Un plaisir coupable ?

Ouvrir une bouteille seul. C’est très mal vu, mais j’aime bien ce moment de solitude avec le vin. Voilà, un vrai plaisir coupable comme réponse à cette question trop souvent cantonnée aux pirouettes.

La dernière bouteille bue ?

Sans tricher… *les bouteilles tintent*. Je retombe sur Nicolas Carmarans, Minimus, un rosé équilibré parfait. Décidément…

Qu’est-ce que vous aimez boire en dehors du vin ?

Un jus de pomme frais qui étanche la soif. Qualité désaltérante que j’apprécie de retrouver dans un vin. Et du thé. Une boisson fermentée, avec des tanins aussi. C’est vrai qu’il y a encore quelque chose…

Pour approfondir

Références

Ça n’est pas tellement qu’ils boivent trop, mais qu’ils boivent tout le temps. La dégustation, Mimi, Fifi et Glouglou ne pensent qu’à ça, ils en rêvent la nuit, c’est une passion qui l’emporte sur tout. Troisième volume autour des plaisirs de la table.

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