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La vie de château des sols

À Courances, un labo à ciel ouvert pour nourrir les Franciliens

Des plaines céréalières, du maraîchage et un château. Voici le tableau de la ferme expérimentale du domaine de Courances. Les paysans contemporains y pratiquent une agriculture basée sur la conservation des sols, l’agroforesterie et le pastoralisme.

Valentine de Ganay devant la boutique du domaine Les jardins de Courances. © Mathilde Golla

Nourrir Paris avec des produits bio et locaux, l’ambition du domaine de Courances et de son château est d’actualité. Dans l’Essonne, à moins de 50 kilomètres de la capitale, au cœur du Gâtinais, la ferme expérimentale de 500 hectares de plaines céréalières et 7 hectares de maraîchage veut assouvir l’appétit grandissant des Franciliens pour des produits sains et locaux.

La vraie démonstration que nous souhaitons faire est que nous pouvons nourrir le monde avec des produits bio et pas seulement en maraîchage. On veut aussi sensibiliser à l’enjeu des grandes cultures et à leur conversion à l’agriculture biologique, défend Valentine de Ganay, l’une des propriétaires du domaine à l’initiative du projet. Bien entourée, l’agricultrice au nom à particule s’est affranchie des codes agronomiques classiques pour initier une autre agriculture faite d’agroforesterie, de pastoralisme, de conservation des sols et d’un profond respect des paysages et des hommes.

Le potager, 7 hectares pour les fruits et légumes. © Domaine de Courances

À la recherche du savoir paysan perdu

Pour rendre ses terres fertiles, la néo-paysanne sait alors qu’elle ne veut pas utiliser de produits chimiques mais il n’existe pas un modèle que l’on peut dupliquer, chacun doit se réapproprier ses contraintes. Il faut avoir les pieds sur terre et faire preuve de pragmatisme ! La complexité était de retrouver ce savoir paysan que l’on a perdu, de refaire connaissance avec son territoire sans a priori, ni posture doctrinaire, martèle-t-elle.

Dans ce laboratoire à ciel ouvert, de nombreuses expériences grandeur nature sont ainsi menées : les sols sont peu ou pas labourés, couverts avec des intercultures, sans utilisation de produits chimiques et un recours à l’agroforesterie grâce aux haies et aux nombreux arbres. En dix ans, 1 900 arbres de diverses variétés ont été plantés sur 70 hectares. Des moutons viennent également paître sur les vastes étendues de culture céréalière. On souhaite combiner les savoirs anciens à la science des sols et mettre en place un suivi scientifique de l’impact des nouvelles pratiques, indique encore la propriétaire.

Côté plaines céréalières, les agriculteurs pratiquent l’agroforesterie : 1 900 arbres de diverses variétés ont été plantés sur le domaine. © Mathilde Golla

Celle qui a su convaincre ses cousins de se lancer dans cette folle aventure agricole et gastronomique précise que la propriété est familiale. Mes 10 cousins ont accepté de convertir le domaine à l’agriculture biologique mais nous devons faire nos preuves économiquement, souligne l’aristocrate aujourd’hui installée à Londres et régulièrement de retour sur ses terres. Tout commence en 2010 lorsque les héritiers récupèrent le domaine, occupé par une ferme en conventionnel. Au départ, les moyens étaient limités : le matériel d’occasion était en mauvais état et un seul emprunt de 225 000 euros était prévu pour équiper la nouvelle exploitation. Nous ne possédions même pas une brouette !, ironise Valentine de Ganay.

Qu’importe, cette romancière de profession imagine déjà la métamorphose de la plaine. De l’imagination, il en fallait car les sols étaient compactés, déstructurés, sans matière organique et envahis de mauvaises herbes. Il a aussi fallu recruter un chef des cultures expert en agriculture biologique pour convertir les plaines céréalières après des décennies d’agriculture conventionnelle. Je pensais que je n’aurais aucune difficulté mais ce ne fut pas du tout le cas, se souvient Valentine de Ganay.

Bruno Saillet, chef des culture du domaine, expérimente l’association de plantes comme les lentilles et le blé © Mathilde Golla

Comme pour toute expérience, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. La récolte a été catastrophique l’an passé donc nous avons décidé d’ajuster certains choix, reconnaît Bruno Saillet, chef des grandes cultures du domaine, qui vit la semaine dans la ferme de Chalmont, corps de ferme familial au cœur du domaine. Il évoque notamment la décision initiale d’abandonner complètement le labour : combiné à la spécificité de leur sol sablonneux et aux températures records de l’été dernier, cela a contribué à décimer les récoltes. Ils ont ainsi choisi de refaire un labour léger et se laissent la possibilité de retravailler légèrement la terre si besoin.

Nous expérimentons et prenons la liberté de dire ce qui fonctionne ou pas, s’enorgueillit le paysan dans un milieu où les échecs sont souvent bien gardés. Nous adaptons nos techniques en fonction de nos sols et des contraintes que nous avons définies, comme la consommation de 30 à 40 litres de gasoil par hectare au maximum, tout en limitant l’utilisation d’intrants, en respectant aussi nos sols, la biodiversité, les mesures sociales puisque les paysans sont salariés (ils travaillent 35 heures et prennent des vacances ce qui est rarement le cas des agriculteurs, NDLR), et en préservant la santé humaine. Avec cet ensemble de contraintes, nous établissons notre modèle agronomique, précise l’ancien enseignant en lycée agricole.

Des arbres fruitiers au milieu côtoient les autres cultures maraîchères, © Mathilde Golla

Nous faisons des essais, on a par exemple semé des céréales en même temps que du trèfle ou des pois avec des légumineuses, des lentilles et du blé… poursuit-il. Cela permet une couverture permanente des sols pour mieux les fertiliser et pour limiter la prolifération de végétaux indésirables, de maladies ou de nuisibles. Et la récolte est facilitée avec un seul passage des machines pour plusieurs plantes.

Mais cela dit, il ne faut pas omettre que le rendement est moins prévisible qu’en conventionnel, précise Béranger Dauthieux, chef des cultures et maraîcher. On a parfois de bonnes surprises mais aussi l’inverse : par exemple j’ai planté 49 arbres fruitiers et un tiers d’entre eux a été dévoré par les mulots, en raison d’un paillage mal calibré, se désole cet amoureux de la nature, en nettoyant des rangs de fraisiers à la main.

Béranger Dauthieux, maraîcher, et sa chienne dans les plants de fraises. © Mathilde Golla

Une volonté de transmettre cet autre modèle

Le choix a été fait de cultiver une grande diversité de fruits et légumes. On a beaucoup de petits fruits : des fraises, framboises, cassis et autres fruits rouges, de la rhubarbe et on fait aussi beaucoup de légumes comme des poireaux, des tomates de variétés anciennes, des courges, des choux, des artichauts, quelques légumineuses comme des fèves, des petits pois…, détaille Béranger Dauthieux.

De cultiver ainsi beaucoup de variétés permet une rotation importante sur les parcelles : les légumes ne se retrouvent jamais deux années de suite à la même place, ce qui évite l’appauvrissement des sols et réduit surtout la prolifération des insectes nuisibles et maladies. Les variétés en question sont locales le plus possible, comme la carotte marché de Paris dont les chefs raffolent !, assure le passionné accompagné de sa chienne qui se régale aussi des fruits et légumes du domaine.

Des poireaux cultivés sur sol vivant, © Mathilde Golla

Le maraîcher se délecte déjà des projets à venir comme l’utilisation de jus de compost de forêt ou encore la traction animale. De nouvelles expériences guidées par une volonté de limiter la pollution de l’air et de l’eau tout en produisant pour nourrir la ville, indique Bruno Saillet. Nous pensons aussi à l’après et comment transmettre notre modèle, dans un contexte de changement climatique, enchérit celui qui prendra sa retraite dans quelques années.

Le modèle ainsi testé permet aujourd’hui à la ferme d’être à l’équilibre, grâce à une importante baisse des charges, précise Valentine de Ganay avant d’ajouter que la partie maraîchage est bénéficiaire depuis trois ans. Je veux montrer qu’on peut bien vivre de l’agriculture bio. Si ça ne marche pas, j’arrêterai, je ne suis pas maso, précisait-elle déjà six ans plus tôt. Elle ajoutait alors : C’est que j’imagine, pardonnez ma prétention, que cette propriété de famille, grâce à sa dimension agricole, pourrait rencontrer son époque en répondant à certains besoins de la terre et des hommes. L’économie viable de la ferme lui promet désormais un ancrage durable dans le temps, pour nourrir les Franciliens autrement.

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