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Sabots salés

Maurice, 61 ans, jeune berger des marais salants

Le sel de la vie à Guérande, épisode 1. Après une vie les mains dans les machines agricoles, Maurice en a choisi une seconde les pieds dans les marais salants. Retraité manqué, il est le premier à faire pâturer des brebis parmi les paludiers de Mesquer.

Depuis 2015, Maurice a choisi le rôle de berger plutôt que le statut de retraité, dans les marais de Mesquer. © Thomas Louapre

Le soleil paillette la surface de la mer. Soufflées par le vent, les plantes halophiles résistantes au sel se balancent. Une danse à laquelle les brebis qui pâturent ne résistent pas bien longtemps. Leurs sabots ne trempent pas dans les flots, mais ces bêtes ont bien le pied marin, à un détail près : dans les marais salants de Mesquer, sur la presqu’île de Guérande, l’océan est contenu dans un quadrillage d’argile sculpté par les paludiers. Le troupeau de Maurice Brosseau avance groupé sur les arêtes des bassins et en anime l’organisation géométrique. De petits ponts en bois ont été installés spécialement par l’éleveur pour que ses bêtes puissent naviguer dans cette étendue végétale malgré les étiers, sortes de petits canaux par lesquels pénètre l’eau de mer. Les 200 ovins ont ainsi tout le loisir de grignoter et entretenir près de 400 hectares de marais.

L'hiver, les 200 bêtes restent à la bergerie. Dès mars, Maurice les fait pâturer au grand air dans le marais jusqu'en octobre. © Thomas Louapre

Maurice est le premier berger contemporain de la zone. Avant son arrivée en 2015, les friches étouffaient une partie du marais. On ne voyait pas la salorge là-bas, pointe-t-il au loin, fier d’avoir gagné la bataille. Ses brebis évitent la pousse d’arbustes qui peuvent atteindre la taille de jeunes pommiers et elles luttent surtout contre le baccharis, une plante invasive qui colonise toutes les autres espèces. En prime, elles se régalent à moindre frais une partie de l’année.

Les brebis qui agnellent en avril-mai sortent dans les marais quand les agneaux ont 1 mois. © Thomas Louapre

C’est une amie paludière qui fait naître l’idée chez l’éleveur : éco-pâturage, souffle-t-elle, sans faire mouche au départ. Je n’aime pas être rattaché à un groupe ou à un stéréotype, justifie Maurice. Et puis, je suis revenu la voir ensuite. Après l’étude du projet, la communauté d’agglomération et les professionnels du marais disent oui au pâturage en terrain salé, le réseau Natura 2000 et le département aident au financement.

Retraité manqué

À 61 ans, Maurice pourrait être retraité. Les moutons lui ont finalement donné des ailes. En venant du conventionnel, jamais je n’aurais imaginé en mettre un jour ici, dit-il face au marais, pas encore tout à fait sûr du spectacle. Sa vie a été consacrée en partie à l’entretien du matériel agricole dans un groupement d’agriculteurs et d’éleveurs, duquel il s’est finalement détaché. Ça fait drôle, hein, de se retrouver sans rien à 55 ans. Du jour au lendemain, t’as plus rien, répète-t-il. La fraîcheur d’un nouveau projet, qui roule de surcroît, lui offre plus qu’un job : Je vis une deuxième vie, ça donne la pêche !

Sur son téléphone, Maurice a installé une application qui permet de suivre virtuellement chaque bête et d’en connaître l’âge en scannant leur numéro accroché à l’oreille. © Thomas Louapre

En guise de retraite améliorée, Maurice enfourche chaque jour son vélo électrique pour prendre le pouls de ses brebis, réparties en lots à six endroits différents. Le matin, quand il n’y pas de bruit. Je me suis mis à découvrir le chant des oiseaux, s’étonne-t-il. Sauf que pour l’heure, il dit ça dans son camion tonitruant dont le moteur capricieux le force à tourner la clé de contact en roulant, machinalement. La saison à l’extérieur, qui s’étend de mars à octobre, débute tout juste. S’ensuit un ballet d’allers-retours pour amener une partie des bêtes depuis l’exploitation jusqu’au site et pour y installer des tonnes à eau qui resteront sur place toute la belle saison. Un itinéraire casse-tête, le marais préservé des routes ne laissant pas d’autre choix que d’en faire le tour au moindre déplacement.

Pour avoir toujours de l’herbe tendre, les brebis tournent sur la zone : elles sont laissées dans un coin un moment puis on les passe au suivant, et ainsi de suite jusqu’au point de départ, comme un pâturage tournant dans une prairie classique. Sauf que Maurice tient plus du vacher en alpage qui fond son activité dans les espaces naturels que de l’agriculteur au parc fixe. Sur son camion, l’inscription élevage pastoral donne la couleur : Je suis un paysan sans terres, nomme-t-il. Si demain, politiquement, on décide qu’on ne peut plus mettre les moutons sur le marais, je n’ai plus qu’à tout vendre. Mais l’intérêt du public me conforte dans la durabilité du projet. Si j’étais payé à la photo, je serais coté en bourse.

Un lot de brebis pâturait sur ce terrain appartenant à la Mairie de Mesquer, lui évitant ainsi un passage de débroussailleuse. Après ce repas, Maurice les déplace pour les amener sur le marais. © Thomas Louapre

Paludiers comblés

Les paludiers ne boudent pas leur plaisir non plus face à ce qui n’est finalement qu’un regain des pratiques locales : Les anciens, ceux qui ont arrêté dans les années 1950-1960, étaient tous en polyculture-élevage. Ils avaient essentiellement des vaches et des moutons, les talus étaient nickel. La génération suivante a voulu faire du sel et point, rappelle le paludier Michel Coquard, pendant que dans son dos les moutons descendent du camion en file indienne. Avant l’arrivée de Maurice, il débroussaillait une fois par an, les accès aux salines seulement. S’engager individuellement et mécaniquement sur de plus grandes surfaces n’est pas envisageable. Or les friches coupent le vent, précieux aux paludiers pour l’évaporation de l’eau, et enfantent des graines volantes qui se glissent parmi la fleur de sel au moment de la récolte.

J’ai découvert que dans le marais, il y a ceux de gauche, de droite, les écolos, les productivistes… Ça demande un niveau de diplomatie que je n'aurais certainement pas eu à 30 ans.
L'une des spécificités des Vendéennes, race rustique, c'est qu'elles se déplacent sans cesse et grignotent sur leur passage. © Thomas Louapre

Au départ, je ne pensais pas que les paludiers seraient partants, surtout à cause des fils, en place pour décourager les brebis de descendre dans l’eau, s’étonne Maurice. Je laisse ceux que ça intéresse venir me demander pour que je mette les bêtes près de leurs salines, parce qu’il faut qu’ils soient intégrés dans le projet. Si t’imposes un truc aux gens, ça marche jamais. J’ai découvert que dans le marais, il y a ceux de gauche, de droite, les écolos, les productivistes… Ça demande un niveau de diplomatie que je n’aurais certainement pas eu à 30 ans.

Les brebis ne pâturent pas pendant la pleine récolte estivale et ne détériorent pas l’espace sous leur poids. Pas de saccage en vue. Cependant, la crainte numéro un liée au mouton, ce sont les parasites. Pour répondre à un risque de pollution des eaux, des prélèvements réguliers sont effectués par la communauté des communes. L’œil de l’éleveur cher à Maurice ne suffit pas toujours à prévenir les risques et rester technique en vermifugeant trois fois par an assure une cohabitation saine. Autre levier de prévention, la race choisie a la bougeotte et se promène en permanence, ce qui contribue à éviter le surpâturage qui favorise les maladies. Ce sont des Vendéennes, rustiques. Mais productives hein !, précise-t-il. C’est un ami qui les avait vues sur les marais là-bas et me les avait conseillées. On a besoin de conseils dans la vie, si tu sais tout d’avance, t’es flambé.

À leurs pieds, les bassins d'argile des paludiers qu'elles contournent. Quatre ponts en bois leur permettent spécialement de traverser les étiers. © Thomas Louapre

Précautions prises, le pâturage porte ses fruits : Au final, l’herbe est de meilleure qualité, des légumineuses comme le trèfle ressortent car les graminés n’envahissent plus tout le reste. L’écologie, ce n’est pas laisser la nature faire ce qu’elle veut. Un chêne non élagué se fera emporter par la première tempête. Serait-ce un éloge de l’éco-pâturage qu’il décriait au départ ? Regarde, c’est pas marqué éco-pâturage sur mon camion. Je suis pas payé pour, plaisante cette tête dure, qui cependant débroussaille ou arrache lui-même à la main les ronces et les chardons boudés par le troupeau.

150 agneaux sont envoyés à l’abattoir par an, quand ils sont déjà âgés de 4 à 5 mois, comme ici. © Thomas Louapre

Éleveur regonflé

Ses bêtes ne sont pas que des tondeuses, Maurice y tient. Et ses 300 clients ne s’y trompent pas : il y a quatre mois sur liste d’attente pour goûter à la viande. Mais les choses sont claires, ce n’est pas de l’agneau de prés salés soumis à une appellation. Les petits qui naissent en décembre ne voient même jamais le marais. Ça je le dis aux gens, faut pas raconter de bêtises, un jour où l’autre tu le paies, si tu mens, prophète l’éleveur. L’hiver, le foin qu’il parvient à faire lui-même (selon les années, sur un bout de terrain prêté), du maïs en grain et des tourteaux de colza alimentent les brebis. Elles nourrissent pendant deux mois et demi leurs agneaux, qui sont complémentés sans OGM. Dans un coin de la bergerie, du gros sel de Guérande assaisonne le tout. À l’entrée, le label bio ne verdit pas de pancarte : Je suis en rien, je casse les codes, défie Maurice, avant de préciser : Je n’ai pas honte de ce que je donne à mes moutons. Je ne vends pas par le biais d’un magasin, je vends chez moi. Ça implique de l’honnêteté.

« Je suis un paysan né au moment du productivisme. Je suis attaché à faire de la qualité, de la quantité et pas cher. » Sauf que maintenant, Maurice a du temps, qu'il passe avec ses bêtes. © Thomas Louapre

La reconnaissance est à la hauteur, humaine comme financière. Maurice visait un Smic au début du projet, largement surpassé depuis : Je pensais pas que ça aurait pris aussi bien que ça. Il doit cette opération gagnante aux charges faibles, au chèque de l’entreprise quittée qui a permis de payer le cheptel, mais surtout à la vente directe. Une brebis de réforme de 5-6 ans, sur ma précédente exploitation, dans le conventionnel, on la donnait. Maintenant je la vends presque au même prix que l’agneau.

S’activer dans une activité qui ne dégage pas d’argent pèse à la longue, sur le compte-bancaire comme pour l’estime de soi. On avait oublié le plaisir dans le métier de paysan, généralise-t-il avec un on pudique. Je passe du temps à regarder mes bêtes maintenant. L’hiver, j’aime le bruit du frottement des sabots quand je viens de remettre de la paille. Ça, j’avais pas le temps de le faire avant. Au détour d’une phrase mâchonnée, un furtif inespéré viendra se confondre dans le bruit du moteur fou, à la fin de sa tournée du jour. À quand la retraite ? Pas prévue au programme, fait-il comprendre. Et puis, qu’est-ce que je ferais de mes journées ? Je fais du piano mais bon, au bout d’une demi-heure, ça y est, je vais pas en faire toute la journée non plus.

Au total, 400 hectares sont pâturés, sans départ à la retraite prévu. © Thomas Louapre

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