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Rencontre de plante sauvage

Marinchère en terre salée

Le sel de la vie à Guérande, épisode 2. Dans des bassins réservés à l’origine à la culture du sel, Corinne Lucas tente d’apprivoiser les plantes sauvages des marais salants. À force d’essais, elle tente de reproduire le fruit de sa cueillette au goût iodé.

Parmi les paludiers, Corinne Lucas s'est installée comme maraîchère pour la culture de plantes sauvages. © Thomas Louapre

Marée, marais, maraîchère. Le décor est planté dans ce qui sonne comme un exercice de diction. Dans les marais salants de Guérande, Corinne Lucas articule sur 4 hectares la pousse de plantes halophiles, c’est-à-dire capables de s’épanouir en milieu salé. À la place des serres et des parcelles, 18 bassins y sont consacrés, les mêmes qui servent à la culture du sel des paludiers qui prospèrent autour.

La ferme était une saline jusque dans les années 1970 puis elle a été exploitée par des ostréiculteurs, introduit-elle. Contrairement à eux, j’ai dû demander une dérogation en préfecture pour avoir le droit de prélever l’eau de la mer. Cette autorisation n’a pas été facile à dégoter, car je ne rentre dans aucune case listée par la Chambre d’agriculture. Désormais, cette quadragénaire se présente comme maraîchère, par souci d’intelligibilité. Et l’intitulé n’est pas tellement éloigné de la vérité, le dessein de Corinne étant d’apprivoiser les plantes sauvages du marais.

Salicorne, bette maritime ou maceron apprivoisés poussent parmi les 18 bassins en arrière-plan. Juste dans son dos, une ancienne claire ostréicole permet désormais à son fils d'apprendre à pêcher. © Thomas Louapre

La salicorne s’impose en ambassadrice de la diversité locale. La saveur iodée de ce haricot vert de mer infuse en cuisson et claque en version crue. Si elle se pointe à ce moment de l’année sous la forme d’un bébé cactus dans le creux des bassins de la maraîchère, il a fallu déjà en récupérer les graines puis lui offrir un environnement propice. Les gens me disent “ah la salicorne ça pousse tout seul, y en a partout”. Mais ce n’est pas si simple de produire de la belle salicorne tendre et bien développée. Ce n’est pas si simple de reproduire la Nature finalement.

Quelle densité de plantation est idéale ? Combien de graines faut-il semer pour optimiser cet espace de 30 mètres sur 15 sans étouffer la pousse par une surpopulation ? Que faire en cas de froid qui incite la salicorne à fabriquer du bêta-carotène et qui lui donne une couleur rouge ? Il n’y a pas de bouquin de maraîchage sur les plantes halophiles. J’ai potassé toutes les thèses que j’ai pu trouver. Vu leur nombre, c’était rapide ! À tel point que la salicorne cultivée de Guérande vendue à Guérande est une première. D’autres l’ont domestiquée en Charente mais les infos concernant sa production ne circulent pas. Une micro-niche pour Corinne qui de fait ne survivrait pas à la concurrence.

Au total, sept plantes sont cultivées ici. Certaines poussent naturellement, d'autres sont semées plein champ et quelques semis viennent compléter le tout. © Thomas Louapre

Domestication salée

Chez elle, sept autres plantes profitent des embruns sur les ponts et les tours d’eau, entretenus par les moutons qui pâturent. L’obione, une chips naturellement salée si on la plonge deux minutes dans l’huile chaude, y est d’emblée présente. Les autres ont été des butins de cueillette avant de rejoindre progressivement l’exploitation : la roquette et le fenouil sauvages (sans bulbe), l’arroche à déguster en mesclun, la moutarde des champs qu’on peut hacher pour un wasabi du coin, la bette maritime qui se cuisine comme des épinards, le maceron dont la racine, les feuilles et les fleurs parfument les plats d’une touche mentholée voire agrumée – les graines font office de poivre et la tige se fait confire comme l’angélique. Il n’y a que la criste marine, sorte d’herbe aromatique au goût carotte-citron-anis, que je cueille encore sauvage. Je n’ai pas réussi à la dompter.

La salicorne prend une teinte rouge après un coup de froid, car elle fabrique du bêta-carotène, sans que son goût n'en soit affecté. © Thomas Louapre

Au fond des bassins, seul un autre spécimen que la salicorne pousse le pied dans l’eau salée : l’aster maritime, qui ressemble à une mini feuille d’ail des ours. Elle sent l’artichaut quand je la plonge dans le vinaigre. Blanchie et recuite dans le beurre, c’est un délice. Pour moi, elle est encore meilleure que la salicorne. La Salicornia Ramosissima reste pour autant la star, avec 1,5 tonne par saison. Il y a une trentaine de variétés différentes qui poussent partout sur la planète. J’ai récupéré les graines de la variété d’ici pour éviter un phénomène d’hybridation ou de supplantation. J’essaye de rester logique dans mes choix. Certains voulaient que je fasse de la Mertensia Maritima, la plante au goût d’huître, mais pour moi ça n’a pas de sens car il n’y en a pas naturellement dans le marais.

Grâce à son écluse, Corinne ouvre ou ferme l'entrée d'eau de mer, par anticipation, deux heures avant la marée haute ou basse. © Thomas Louapre

Apprivoiser la marée

Formée en biologie cellulaire et physiologie, Corinne a retrouvé en 2015 son terrain de jeu d’enfance : la pointe de Pen-Bron, un cordon sablonneux abrité des pins qui s’avance dans la mer comme un coup de langue. Mais intégrer le marais comme exploitante a été une autre paire de manches. Retrousser les siennes n’a pas suffi, pour la simple raison que Corinne ne fait pas de sel. Chaque jour depuis son arrivée, les demi-tours (au pluriel) d’une voiture devant chez elle lui rappelle qu’elle n’est pas la bienvenue. Dans le marais régi traditionnellement de manière filiale, le poids de l’or blanc fait parfois la loi.

Dans son étier qui mène à ses bassins, la cultivatrice peut faire en sorte de couper la liaison quand elle a besoin d'assécher les cultures. Pendant la récolte par exemple. © Thomas Louapre

Pourtant, la maraîchère partage une partie de ses gestes avec le paludier. Tous deux travaillent naturellement, sans intrant. Au détail près que Corinne ajoute des algues dans ses bassins pour amender la terre quand les paludiers cherchent à se débarrasser des leurs qui souillent le sel. Tous deux jouent de l’écluse en fonction des coefficients de marée. Ils ajustent les niveaux d’eau de mer en la faisant pénétrer ou non dans leur propre étier, petit canal relié aux bassins. Pour germer et se développer, la salicorne et l’aster doivent ponctuellement freiner sur l’eau de mer. En temps de récolte, on assèche complètement les bassins. Finalement, la différence notable entre les deux métiers est météorologique. En ce qui me concerne, j’aimerais bien qu’il pleuve un peu la nuit, avoue Corinne, l’eau de pluie signant la désalinisation des bassins et l’arrêt momentané de la production pour les paludiers.

Corinne sème sa salicorne prégermée en plein champ. Une demande lui a été adressée pour une vente de semis, qu'elle a réalisée exceptionnellement. © Thomas Louapre

L’un comme l’autre fait en tout cas son beurre – salé – en quelques mois et constitue les stocks de l’année d’un coup d’un seul. Au coude-à-coude avec le sel, la plupart des plantes de Corinne surgissent massivement à partir de juin. Pendant cette période, dans le labo avec vue sur les bassins, la moutarde sauvage passe par kilos sous la lame du cutter de boucher, sorte de mixeur géant. En conserve ou en marinade, salicorne et criste marine finissent en bocaux vendus localement ou par correspondance via Poiscaille, qui fonctionne avec un système de panier de la mer.

Je pense aussi à proposer un sel végétal, plus léger que le sel classique, en réduisant l’obione et la salicorne séchée en poudre, imagine Corinne dont les idées manquent moins que la charge de travail. Mais le conditionnement, ce n’est pas autant mon truc que de regarder les plantes pousser, concède-t-elle. Ce qui n’implique ni de s’asseoir en tailleur ni de semer en dansant, mais d’assumer les longues heures de travail à quatre pattes, faucille en main pour récolter dans des gestes répétitifs, sacs de trente kilos à transporter sur le dos.

Pour la criste marine, je n’ai pas encore trouvé ce que la Nature fait et que je ne fais pas.
Semer la salicorne est une tâche habituellement réservée au mois de novembre. Là, en mars, Corinne tente l'opération tardivement après que les canards ont mangé les graines, sans en connaître la finalité. © Thomas Louapre

Avis de tempête

Cela dit, le temps d’observation est un impératif. Pour la fameuse criste marine inapprivoisable, les recherches continuent à tâtons face à un problème de germination. Je n’ai pas encore trouvé ce que la Nature fait et que je ne fais pas, accepte Corinne. La bette non plus ne germe pas facilement. Il m’a fallu deux hivers pour comprendre. Mais quand on trouve, c’est comme découvrir un mot de passe secret !

Même la clé enfin en main, le parcours de la combattante ne s’arrête pas là. La tendreté de la bette victorieuse régale désormais les chevreuils chapardeurs ; les moutons ont englouti cette année la récolte de maceron ; les canards se sont régalés des graines de salicorne qui doivent être ressemées à nouveau ; et les chenilles raffolent de son cœur juteux quand elle parvient à maturité. Naturellement il n’y a pas de vide, lance celle dont la nature avec un grand N balise le champ lexical.

Deuxième essai face aux canards : un voile pour protéger une partie de la future récolte de salicorne 2021, estimée à 1,5 tonne. © Thomas Louapre

Une autre menace ne se mesure pas au nombre de ses pattes. Même si on n’en perçoit pas l’horizon depuis chez Corinne, l’Atlantique est voué à galoper sur ses terres. Les digues tiendront-elles face à la montée des eaux ? Le marais n’a pas de réponse qui pourrait percer entre ses dents serrées. À plus grande échelle, la maraîchère dédie trois de ses bassins à des tests dans le cadre d’un projet de recherche européen de cinq ans sur la culture des plantes halophiles. Le but à long terme consiste à pallier l’immersion des champs de blé, orge et maïs dont la production deviendra obsolète à l’avenir.

Comprendre les réactions de la salicorne selon différents taux de salinité permettrait d’en maîtriser la culture, notamment dans des pays en voie de développement, pour un apport de nourriture relativement simple sans eau douce. À défaut de pouvoir contrer la mer, Corine défriche le terrain à coup d’échantillons envoyés dans un labo qui n’est pas le sien. De l’observation, activement.

D'ici juin, Corinne s'activera davantage sur sa ferme, presque encore endormie à ce stade par rapport à la fougue végétale qui fait battre la pleine saison estivale. © Thomas Louapre

Un commentaire

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  1. Superbe idée !!
    N’y a-t-il pas une possibilité d’aider cette exploitation financièrement si besoin ?
    Par des sites comme Zeste ou autres ou directement…
    Je vous souhaite une belle réussite.

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