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Élan fertile

Femmes en fin de peine : « La ferme, c’est l’anti-prison »

En fin d’année 2020, un centre d’insertion pour femmes en fin de peine a vu le jour dans le sud des Landes, à Tarnos. L’objectif : proposer, à travers le maraîchage, un accompagnement global et faciliter ainsi l’insertion des résidentes au moment de leur sortie de détention.

Alexandre, le maraîcher, et Osijana, préparent le compost pour nourrir la terre. © Isabelle Miquelestorena

Les fleurs semées ont bien poussé sur l’exploitation maraîchère Emmaüs-Baudonne, à Tarnos. Elles lui donnent un air champêtre, et attireront les insectes qui feront fuir les ravageurs. Devant le tas de compost placé à l’entrée de l’exploitation, une pelle à la main, Osijana remplit minutieusement plusieurs seaux de ce précieux élixir.

Pendant ce temps, Nathalie et Alexandre, munis chacun d’une brouette, effectuent des allers-retours entre cet emplacement et celui qui accueillera les prochaines cultures en plein champ afin d’y déposer de petits tas de compost pour nourrir la terre. Osijana est ici depuis le mois d’avril 2021. Elle compte ainsi parmi les six, bientôt sept, résidentes de ce centre d’accueil pour femmes sous main de la justice et en fin de peine.

Gabi Mouesca est le directeur de la ferme Emmaüs Baudonne. © Isabelle Miquelestorena

Donner le droit à l’erreur

Cette structure innovante, qui a ouvert ses portes en fin d’année 2020, est la première structure en Europe qui accueille des femmes détenues, explique le directeur, Gabi Mouesca. Il avait à cœur en créant cette structure de répondre à un réel besoin qui lui avait été soufflé par Christiane Taubira lorsqu’elle était ministre de la Justice : celui de faciliter l’insertion des femmes détenues « qui n’ont pas de sas pour les aider à retourner à la vie civile. » La ferme a également reçu un agrément afin de recevoir des femmes transgenres. C’est ce qui lui a permis d’accueillir, parmi les six premières résidentes, une femme transgenre guyanaise. C’est important, souligne Gabi. Ces personnes qui sont une quarantaine en France vivent dans des conditions de détention exécrables, souvent en isolement, car elles sont maintenues dans le quartier hommes. Ici, on démontre qu’elles vivent avec les autres femmes une relation paisible, pleine de sororité.

L’objectif est de faire économiser quelques mois, voire jusqu’à deux ans de prison à des femmes. On démontre qu’on peut sanctionner non pas en brisant et en humiliant, mais en partageant de l’énergie de vie.
Les résidentes sont logées sur place dans des chambres individuelles. © Isabelle Miquelestorena

Cet ancien prisonnier politique, détenu pendant 17 ans, devenu ensuite président de l’Observatoire international des prisons durant 5 ans, a toujours en ligne de mire de faire évoluer les conditions de détention, à défaut de voir la prison disparaître totalement. L’objectif est de faire économiser quelques mois, voire jusqu’à deux ans de prison à des femmes. On démontre qu’on peut sanctionner non pas en brisant et en humiliant, mais en partageant de l’énergie de vie, en donnant envie aux détenues d’être vivantes, souligne-t-il. Notre objectif, un Himalaya, est de créer les conditions pour que ces personnes puissent devenir autonomes.

L’une des valeurs d’Emmaüs est le droit à l’erreur, ajoute Gabi en rappelant que la rencontre de l’Abbé Pierre avec Georges Legay, un ancien bagnard, n’est pas pour rien dans la création du mouvement Emmaüs, il y a 71 ans. Dans l’ADN du mouvement, il y a le bagne. Selon nous, l’équilibre de la société passe par l’intégration des personnes mises au ban. Si on leur tend la main, tous les détenus sont des Georges potentiels.

Reprendre confiance

À Tarnos, cela passe par l’apprentissage de la vie en communauté, toutes les femmes étant logées sur place dans des chambres individuelles, ainsi que par du maraîchage. Les légumes produits par la ferme biologique serviront en premier lieu à l’autoconsommation, puis le surplus sera mis en vente. Sous les trois chapelles de serres installées en fin d’année dernière, 1200 m² de terre accueillent pour le moment des plants de courgettes jaunes et vertes, de tomates, de poivrons, de concombres, de piments, d’aubergines, de basilic vert, pourpre et petit feuille ou encore de melons, pastèques et kiwanos, plantés au printemps. Ils devraient être récoltés au cours du mois de juillet.

Alexandre, le maraîcher, ouvre l’une des serres pour procéder à l’irrigation des cultures. © Isabelle Miquelestorena

Cet apprentissage est une porte ouverte pour trouver un travail dans le champ du maraîchage, mais pas que. Voir les légumes plantés sortir de terre, puis les cuisiner ; certaines n’ont jamais vécu quelque chose d’aussi positif, abonde Gabi. Le témoignage de Céline, l’une des premières femmes à avoir intégré la ferme-prison en toute fin d’année dernière, confirme ce propos : C’est gratifiant de planter quelque chose qui va nous nourrir et d’avoir participé à la construction des serres. Je pense aussi à toutes les personnes qui vont pouvoir y travailler par la suite, sourit-elle.

Osijana est arrivée à la ferme-prison en avril 2021 et devrait y rester jusqu’au mois de novembre. © Isabelle Miquelestorena

Aujourd’hui, elles ne sont que deux à assister Alexandre, le maraîcher salarié, qui structure et supervise les opérations sur l’exploitation agricole. L’une des résidentes est en train de peindre les pièces du bâtiment adjacent au principal, avec deux des bénévoles de l’association, et Clément, le menuisier. Quatre nouvelles chambres sont en cours de préparation, afin de pouvoir accueillir 12 détenues au total d’ici la fin de l’année. Une autre femme est en congés et Céline, à son grand désarroi, est en arrêt de travail, après s’être blessée au pied.

Ici on voit le ciel, tout est ouvert, c’est immense.
Des bénévoles et l'une des détenues peignent les murs des chambres qui accueilleront de nouvelles résidentes. © Isabelle Miquelestorena

Bien que détenues, les femmes présentes au centre bénéficient d’un contrat de travail de droit commun. « Nous sommes payées au SMIC pour 26 heures de travail hebdomadaire et payons un loyer participatif, permettant de faire tourner la structure », explique Céline. Ce salaire lui a permis de préparer sa sortie, prévue pour le mois de juillet. J’ai pu mettre de l’argent de côté, acheter une voiture et trouver un studio à Hasparren, se réjouit-elle. Céline a même passé un premier entretien pour travailler dans le social. Même si ça n’a pas abouti, je n’en retire que du positif. Cela m’a donné confiance en moi. Elle s’estime chanceuse de terminer ses deux années d’incarcération par ce passage à Tarnos. Ici, c’est l’anti-prison. On réapprend les liens sociaux et la bienveillance envers les autres.

Voir plus loin

Il est déjà 11 heures. Nathalie quitte le champ et file en cuisine. Elle est en charge aujourd’hui du repas du midi, une responsabilité que chacune prend à tour de rôle. Véronique, qui est stagiaire depuis un mois, ainsi que Céline, l’assistent pour éplucher et cuire les carottes qui feront la poêlée de ce midi.

Les résidentes, assistées de stagiaires ou bénévoles, sont en charge à tour de rôle de la préparation du repas du midi. © Isabelle Miquelestorena

L’après-midi est généralement libre, et des activités sont parfois proposées. Cet après-midi, un atelier de sophrologie aura lieu dans la salle d’activités. Les vingt-six heures de travail des détenues salariées comprennent ainsi trois heures hebdomadaires de tâches collectives mais aussi trois heures d’accompagnement avec la travailleuse sociale de la structure, Maude Candolini. C’est une structure sociale avant tout, rappelle Maude. On n’est pas là pour faire des légumes coûte que coûte. La production maraîchère est un moyen et non une fin. Un moyen peut-être de voir plus loin. Ici on voit le ciel, tout est ouvert, c’est immense, glisse Nathalie. On n’entend plus ces bruits de clé, ces pas, ces œilletons qui se referment. Les portes sont ouvertes, on respire. On est encore détenues, mais on est libres, ça nous aide à aller de l’avant.

2 commentaires

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  1. Cette expérience individuelle et collective est fondée sur le respect et l’autonomie. Le fait de participer à la vie quotidienne (maraîchage, peinture et cuisine) donne un sens à des femmes « perdues » dans la société néo-libérale.
    Il faudrait faire une émission à la télévision aux heures de grande écoute. Pour ma part, je vais noter le nom du directeur et le lieu pour en parler autour de moi.

  2. Un projet très intéressant et constructif pour ces femmes.
    Un horizon s’ouvre à elle, ce qui participe à leur développement positif.
    Dommage que cela ne soit pas rendu visible à grande échelle.
    Bravo à vous tous et bonne continuation à ces femmes.

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