fbpx

Biquettes en goguette

En montagne, les chèvres prennent la clé des champs

Des chèvres retournées à la vie sauvage s’installent dans les reliefs français. Dans les Bouches-du-Rhône, une association cherche à inventer une manière de cohabiter avec elles.

Dans plusieurs départements français, des chèvres ont inventé un nouveau conte pour enfants. Ou plutôt, elles ont réécrit l’histoire de la chèvre de Monsieur Seguin, en modifiant la fin du récit. Au lieu d’être dévorées par un prédateur, les chèvres ayant repris leur liberté s’installent pour de bon dans les montagnes et prospèrent peu à peu en véritables troupeaux sauvages. Sauf que ce n’est pas un conte mais une histoire vraie : des troupeaux de ce genre sont connus et répertoriés dans l’Orne, dans l’Hérault, dans le Tarn ou au Pays basque.

Dans les Bouches-du-Rhône, entre Marseille et l’étang de Berre, la retraitée Sylvie Vidal assure avoir vu depuis une trentaine d’années des chèvres en liberté installées sur les plusieurs centaines d’hectares du massif de la Nerthe. Bien que vivant dans les mêmes collines que les chèvres, elle s’y intéressait assez peu jusqu’à ce qu’elle découvre qu’un projet d’abattage se tramait : En 2013, j’ai appris en lisant le journal que la préfecture voulait abattre ces chèvres, sous prétexte qu’elles risquent de transmettre des maladies, de manger les vignes ou de provoquer des accidents de voiture. Je n’ai pas supporté l’idée qu’on abatte des animaux en bonne santé. Je suis allé voir le maire, le député, le sous-préfet, j’ai voulu faire le plus de démarches possibles. Moi je suis persuadée que la solution n’est pas toujours d’éradiquer les animaux qui peuvent poser problème. On peut faire autrement, la planète n’appartient pas aux humains.

Sylvie cherche donc à faire autrement, en l’occurrence en apprenant à cohabiter avec ces animaux domestiqués redevenus sauvages. Aujourd’hui âgée de 77 ans, elle a créé l’association « Chèvres de notre colline », qui compte 200 adhérentes. Dès 2015, un compromis a été trouvé avec les autorités locales permettant de laisser la vie sauve aux chèvres et boucs sauvages du massif, tout en limitant les éventuelles nuisances. Elle détaille : On a installé un enclos loin des routes où l’on donne accès à de l’eau, du sel et du maïs aux animaux. Cela les encourage à y venir tous les jours. On leur pose des boucles pour l’identification, on castre les boucs, on fait des contrôles sanitaires.

Fourmillement

Alors que la plupart des mâles présents sont castrés, le nombre d’animaux semble en constante augmentation, si bien qu’on en compterait plusieurs centaines dans les collines. D’où viennent ces nouveaux individus ? Un indice : selon Sylvie Vidal, il y a 80 % de mâles pour 20 % de chèvres dans les montagnes. Or on sait que les élevages conservent à la naissance les jeunes chèvres, dont ils tirent le lait, et cherchent à abattre ou à céder les jeunes cabris, dont la viande est peu commercialisée en France. Certains éleveurs peu regardants en abandonneraient dans la nature. Autre hypothèse : des particuliers achètent de jeunes cabris très mignons, mais peinent à les assumer une fois qu’ils deviennent de gros boucs. Certains choisiraient de les envoyer discrètement à la montagne.

Face au nombre important d’individus en liberté, certains riverains aimeraient en tout cas se débarrasser définitivement du problème, à coups de fusil. Sylvie Vidal le regrette : Pour certaines personnes, les animaux sont là pour servir les humains. En dehors de ça, ils n’ont pas le droit de vivre. Sauf que les faire disparaître pourrait être aujourd’hui regrettable, à plus d’un titre. La défenseuse des animaux avance : Les chèvres mangent beaucoup. Elles peuvent diminuer la masse de broussailles, de quoi réduire les incendies. Et comme il y a moins de broussailles, certaines zones sont plus accessibles pour les pompiers et leurs engins. On pourrait même imaginer que la collectivité finance un ou deux bergers, pour guider les chèvres et faire du débroussaillage dirigés contre les incendies ».

Réensauvagement

Ni sauvages ni domestiquées, les chèvres sont dites « férales » : des espèces qui, après s’être échappées des parcs ou des cages où elles avaient été introduites, se sont acclimatées et se reproduisent sur leur nouveau territoire. Les dingos en Australie, les chevaux mustang aux États-Unis, les pigeons de nos villes ou certains sangliers font partie de cette catégorie.

Retournée au sauvage, ces animaux adoptent des comportements inattendus et constituent une ressource précieuse pour les spécialistes de l’éthologie. Anna Tsing a par exemple consacré un Atlas à l’observation de chevaux retournés à l’état sauvage qui a permis de remettre en cause ce que l’on pensait établi en matière de structure sociale et leadership chez les chevaux.

Ces animaux ont le mérite de remettre en question une distinction trop souvent simpliste, qui verrait d’un côté des animaux domestiqués par l’humain et de l’autre des animaux sauvages. Le philosophe et pisteur de loups Baptiste Morizot rappelait à ce titre dans une interview donnée à Télérama : Pour reprendre une formule amérindienne : avant que les colons blancs ne débarquent, le sauvage n’existait pas. Le sauvage s’appelait le vivant. C’est en effet le chef sioux Luther Standing Bear qui écrivait au début du siècle dernier : Les vastes plaines ouvertes, les belles collines qui ondulent et les ruisseaux qui serpentent n’étaient pas sauvages à nos yeux. C’est seulement pour l’homme blanc que la terre était « infestée » d’animaux sauvages et de peuplades « barbares ». En dehors des étiquettes, il existe une foultitude d’attitudes, d’interactions et de cohabitations possibles entre les espèces en général. Les chèvres en liberté nous invitent à en inventer avec elles.

2 commentaires

Close

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  1. Bonjour,
    habitante des Bouches du Rhône et connaissant l’existence de ces chèvres, j’aimerai apporter un autre éclairage.
    Des chèvres ont effectivement été retrouvées à plusieurs reprises divagant sur l’autoroute, au risque de créer des accidents (autoroute qui dessert plusieurs sites industriels et également plusieurs plages très touristiques du département, donc très fréquentées. Vous imaginez circuler à 110km/h et apercevoir 5 ou 6 chèvres sur les voies ? Le danger était réel.). Certaines ont causé des dégâts sur des cultures. Or l’endroit où elles sont installées est très sensible au risque incendie et ces cultures, outre l’aspect économique pour les agriculteurs, ont un rôle important dans la défense incendie.
    Les chèvres aussi peuvent jouer un rôle très important dans la défense incendie, si elles sont gardées par un berger et guidées pour parcourir aux endroits stratégiques, tout en évitant le surpaturage pour ne pas épuiser les ressources et préserver la biodiversité. Encore faut-il arriver à suffisamment apprivoiser ces chèvres sauvages pour les mener en troupeau…

    L’existence de l’association dont vous parlez est une bonne chose, en ce qu’elle permet d’identifier les chèvres, de réguler le troupeau et d’effectuer des contrôles sanitaires. Mais on peut comprendre aussi que cette situation ait avivé énormément de tension dans la région.

    1. Oui, chez vous, ce sont des chèvres en bord de route, chez moi dans le nord, ce sont des chevreuils, des biches, des sangliers, des blaireaux… qui sont tout autant possibles de créer des accidents sur la route. On ne se sert pas de cette excuse pour demander leur extermination… Et d’accord avec vous, elles ont un rôle d’entretien des forêts non négligeable pour votre secteur menacé sans cesse par les incendies… 🙂

Recevoir le magazine

1 newsletter par quinzaine.
No pubs, Pas de partage de donnée personnelle

Oui ?

Recevoir le magazine

1 newsletter par quinzaine.
No pubs, Pas de partage de donnée personnelle