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Irouléguy, herbes folles et fortes têtes

Le vin basque revient à l’état de nature

Accrochée au terroir et à ses traditions, bercée par la langue basque, la famille Espil du domaine Ilarria a pourtant creusé son propre sillon, celui du non-agir et du vin vivant, à contre-courant des méthodes conventionnelles.

Les spectaculaires terrasses d’Irouléguy, sur des pentes à 40 degrés, font face aux Pyrénées. ©Thomas Louapre

C’est le dernier coup de sécateur, déjà. La récolte n’a pas été faramineuse, cette année. Il a plu lors de la floraison de la vigne, explique Patxi, qui finit de vider les comportes dans la benne du petit tracteur. Mais la qualité est bonne, ça va être concentré dans le peu de raisin qu’il reste. Parmi la petite troupe de vendangeurs qui entreprend la redescente du coteau, ça parle aussi bien basque que français.

Tout autour s’étend le vignoble d’Irouléguy, la seule AOC de la région, et l’une des plus petites de France. Ici, la culture de la vigne est millénaire, lancée dès le XIe siècle par les moines de l’abbaye de Roncevaux pour désaltérer les pèlerins sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Tout est réuni pour faire du bon vin : des coteaux ensoleillés, escarpés et pleins de cailloux, et des gens assez fous pour les travailler.

Peio Espil, qui emploie Patxi au domaine Ilarria, est peut-être le plus fou d’entre eux. Le premier à s’être lancé tout seul, hors de la cave coopérative que son père avait créée avec quelques copains, au pays de la solidarité paysanne. Le seul à s’être accroché aux terrains les plus en pente, gorgés de pierres et abandonnés depuis longtemps, quitte à devoir tailler la colline à grands frais pour en sortir des terrasses, quand les autres cherchaient des terres plus riches et accessibles. S’il n’a pas ses cailloux, il n’est pas content, commente Lutxi, qui veille sur l’administration du domaine de 8 hectares, constitué des plus hautes parcelles au dessus du village d’Irouléguy, en lisière de forêt. C’est un pari un peu fada…

Des herbes folles, une terre souple et pleine d’insectes : les vignes d’Ilarria débordent de vie. ©Thomas Louapre

Culture du non-agir

Il y a plus fou encore : au domaine Ilarria, on ne travaille pas la terre. Pas de charrue, pas d’engrais, la vie du sol est livrée à elle-même. Je crois en la capacité du sol et de la vigne à gérer les temps difficiles, explique Peio. C’est la culture du non-agir telle que l’a définie Manasobu Fukuoka, et je l’applique depuis 1986. Depuis trente ans, on ne touche pas le sol, surtout pas au réseau mycorhizien qui est à la fois son régulateur et son moyen de communication. Il faut aussi éviter de trop rouler dessus pour ne pas le tasser.

Les apports de matière organique se limitent au passage des brebis – seul désherbant employé –, aux rafles après l’égrappage de la récolte, et aux morceaux de sarments laissés sur place après la taille. Petit à petit, les champs de pierre sont devenus une terre souple, couverte d’herbes et de fleurs. Les vignes sont aujourd’hui équilibrées, assure le vigneron. Au printemps, ça grouille de vie : insectes, rongeurs, papillons… Une espèce nuisible à la vigne ne peut pas se développer au milieu d’autant de biodiversité.

Peio, tête pensant du domaine, est intransigeant avec le non-travail du sol, qu’il pratique depuis trente ans. ©Thomas Louapre

Les rendements sont faibles, mais Peio ne se résout pas à apporter de la fumure, pour ne pas déranger la vie microbienne du sol. On laisse faire la nature, lâche-t-il encore. Certes, mais à quoi un adepte du « non-agir » peut-il alors occuper son temps ? On étudie les relations entre les plantes, je passe beaucoup de temps à l’observation, à la contemplation. Et évidemment, à la cave. Là aussi, le domaine Ilarria s’est fait remarquer en élaborant une cuvée sans sulfites. Scandale au comité de dégustation de l’AOC ! L’ovni a pourtant fini par avoir l’appellation (comme les autres bouteilles du domaine). Il faut dire qu’il n’est élaboré qu’avec des raisins exceptionnels, élevés deux ans en barrique et surveillés comme le lait sur le feu. Cette année, nous n’en ferons pas, explique Guilhem, le fils. Il faut des qualités excellentes de raisins, récoltés dans les meilleures parcelles.

Les rouges, bio ou sans sulfites, sont passés deux ans en barriques de chêne, au creux de la grande bâtisse familiale. ©Thomas Louapre

Tradition du non-ajout

Même assurance dans la voix, même feu au fond des yeux, et une connaissance du vin impressionnante pour ses 14 ans. Guilhem laisse derrière lui les vendangeurs attablés pour célébrer la fin de la saison et plonge dans les souterrains du chai où reposent les barriques de sans-sulfites. Il connaît sur le bout des doigts l’histoire familiale, gravée dans les murs de la cave à coup d’agrandissements successifs, de langue basque, qu’il utilise au quotidien avec son père, et de terroir qu’il rêve à son tour de faire fructifier après ses études.

Avec la même intransigeance que Peio : Il y a des gens qui font du vin sans sulfites comme du Coca-Cola, en remplaçant par d’autres produits, s’emporte-t-il. Le nôtre, sans aucun ajout, peut se garder quinze ans. Alors que Peio a déjà fait des émules dans le village, où tous les particuliers sont désormais en bio, la nouvelle génération Espil compte bien reprendre le flambeau et poursuivre la folie du vin vivant.

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Retrouvez tout l’album photos ici.

2 commentaires

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  1. Bonjour,

    Superbe article, comme toujours sur le blog de la Ruche 🙂 Tout cela m’a donné envie de goûter leur vin, et surtout d’en offrir à mon père, amateur de vins originaux, écologiques et sans sulfites. Je suis allée sur le site du domaine, mais les pages « contact » et « la boutique » ne sont pas remplies. Savez-vous comment je pourrais les contacter ?

    Merci beaucoup !

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