Dans les années 60, celui qu’on appelle le Prince des gruyères, a frôlé la disparition. Après une période de vaches maigres, ses producteurs ont su lui faire remonter la pente, sans rien renier des traditions et en affinant la qualité. C’est l’histoire collective d’un fromage, fruit d’un système coopératif. Une belle histoire savoyarde à méditer, en ces temps d’individualisme échevelé…
Décor : extérieur, jour
Le soleil brille, les crêtes montagnardes grises tranchent avec le bleu du ciel, et des fleurs colorées bordent la route dont les lacets sont si tortueux qu’ils donnent mal au cœur, même au conducteur : bienvenue à Beaufort, Savoie, en été. Aux abords de la petite cité fromagère isolée, de luxueux chalets neufs ou réhabilités. En son centre, une coopérative taillée pour une affluence que l’on devine intense à la saison de ski…
Un distributeur extérieur permet même d’acheter son morceau de fromage 24 heures sur 24, en cas de manque. Autant de signes extérieurs de richesses pour l’entreprise Beaufort, florissante.
Chapitre 1 : La gagne (Success story savoyarde)
C’est un fait : la production et la commercialisation de ce fromage participe à la dynamique économie savoyarde, tout comme les sports d’hiver : les troupeaux entretiennent d’ailleurs à merveille l’herbage des pistes de ski durant l’été, et de nombreux producteurs travaillent dans le fromage l’été, et dans le ski l’hiver. Un millier d’emplois sont directement liés la fabrication des quelques 5 340 tonnes (en 2016) de fromage Beaufort chaque année. Une production stable, qui reste une goutte de lait dans l’océan de la production fromagère hexagonale.
En comparaison, le comté du Jura, c’est près de 12 fois plus de meules produites et consommées chaque année. Qu’importe. Les producteurs de Beaufort ne visent pas la quantité, mais la qualité, et sont de toute façon contraints par une géographie tout simplement incompatible avec une exploitation industrielle à grande échelle. Mais si ce caractère montagnard fait leur force aujourd’hui, il a bien failli causer leur disparition par le passé.
En fondue, en dégustation gastronomique, en dés à l’apéro… Connus des amateurs et des connaisseurs des Alpes, où il est fabriqué, le Beaufort est un délice à pâte cuite servi sur un plateau.
Chapitre 2 : Des sixties en pleine descente (flash back)
Car la fabrication du Beaufort ne date pas d’hier. S’il prend son nom actuel au milieu XIXe siècle, l’élevage et la production fromagère sont pratiqués dans ces vallées savoyardes depuis le Moyen-Âge, en symbiose avec un milieu naturel riche, mais exigeant. Habitants et troupeaux ont d’ailleurs façonné le paysage alpin tel qu’on peut l’admirer aujourd’hui, en créant notamment les alpages, ces pâturages de haute altitude où s’installent les cheptels l’été, pris sur une partie des forêts qui recouvraient les flancs des montagnes.
Pourtant, dans les années 1960, la production tombe au plus bas – 600 tonnes annuelles, autant dire rien. Conséquence d’un exode rural massif qui frappe durement la région et de la mécanisation galopante de l’agriculture nationale, inapplicable en montagne, les producteurs se trouvent isolés, et subissent une crise sans précédent. Et avec la possible disparition de la production de Beaufort, c’est tout un équilibre économique et environnemental qui se trouve en danger.
Chapitre 3 : Un sauvetage collectif (Tous ensemble, tous ensemble…)
Quelques producteurs décidés à sauver ce patrimoine (et leur gagne pain) prennent alors la Tarine par les cornes. Ils conçoivent et portent une vision collective, a contrario du credo agricole de l’époque : produire plus et plus vite, tout en augmentant la taille des exploitations. Et défendent l’idée d’un produit de qualité en quantité limitée. Mettant en commun les ressources, les moyens de production, l’affinage et au bout de la chaîne, la commercialisation, ils collectivisent et mutualisent, avec comme pierre angulaire la première coopérative laitière du Beaufortain, qui ouvre en 1961. Malgré des débuts difficiles, ils parviennent à se relever et le nombre de producteurs adhérents au projet augmente.
Quelques années plus tard, une coopération avec des chercheurs agronomes les aident à améliorer les conditions de productions en altitude, sans rien renier de leurs traditions et en respectant les normes sanitaires en vigueur. Pour faire leur place dans un monde agricole rompu aux productions XXL, les quelques 600 petits producteurs laitiers forment l’Union des Producteurs, dont le fruit du travail est activement promu depuis 1975 par le… Syndicat de Défense du Beaufort. Un organe chargé (entre autres) de faire connaître les produits, très actif sur les lieux de production qui sont aussi ceux des grandes stations de ski. Le succès est là, vendu en direct dans huit coopératives laitières en Savoie.
Chapitre 4 : Un colporteur pour trois produits
Savez-vous reconnaître une Tarine d’une Abondance ? Les deux sont des vaches locales adaptées à la pente et aux conditions montagnardes, mais les Tarines ont les yeux comme maquillés de noir, et sont plus petites que leurs copines à la robe acajou et blanche… Au son déglingué des cloches portées par les troupeaux environnants, un petit groupe de randonneurs suit le Colporteur des Alpages.
Chaque année des dizaines de balades et des visites sur site (principalement dans les alpages et chez les producteurs) sont organisés par le Syndicat de défense du beaufort. Les visiteurs apprendront plus tard que la production de lait est limitée à 5000 litres par an et par vache, dont les troupeaux doivent paître dans une zone limitée aux vallées savoyardes du Beaufortain, de la Tarentaise, de la Maurienne et à une partie du Val d’Arly. Puis ils dégusteront en plein air les trois Beauforts : au lait d’été, d’hiver et – crème de la crème – l’Alpage – fruit d’un seul troupeau trait sur site à plus de 1500 mètres entre juin et octobre. Un délice descendu tout droit du haut des cîmes, qui représente moins de 10% de la production. La qualité, on vous dit.
A la lecture de cet article, le délicieux Beaufort gagne encore en saveur et et en caractère
Merci