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Anti-embourbement

Et la bouse fut !

La crotte pourrait-elle nous sortir du merdier climatique ? Alors que les projections des experts du GIEC nous plongent au fond du trou, les perspectives de produire de plus en plus d’énergie durable avec de la bouse nous font remonter à la surface. Démonstration aussi éclairante qu’un ver luisant avec Patrick Lombric, célèbre reporter au cœur de la terre.

Patrick Lombric est prêt pour son exposé dans la salle de traite. Il a mis une petite musique d’ambiance — I’ve got the bouse — a sorti le tableau noir, la craie et attend que Miss Caloway, Blondie et Marguerite se tiennent correctement. Arrêtez de mâchonner et concentrez-vous, j’ai une super nouvelle pour vous. Patrick redresse son col, se chauffe la voix et se lance. Voilà des années que le monde entier souffre de vos impolitesses et que vos rots viennent réchauffer la planète. Avec vos bouses, vous avez désormais une chance inédite de vous rattraper. Entre de bonnes mains, elles peuvent produire de l’énergie durable et faire de vous les sauveuses du climat.

Blondie est toute jouasse, elle s’imagine enfin en une du journal local. Mais à bien y réfléchir, elle ne comprend pas vraiment le rapport entre les 40 kilos de bouse dont elle se délaisse chaque jour (une vache pose sa pêche en moyenne 12 fois par jour avec chaque fois un butin de plus de 3 kilos) et le radiateur sur lequel son éleveur fait sécher son bonnet et ses gants après la traite de 5 h 30.

Méthaniseurs sur pattes

Pour faire comprendre la magie de la fée électricité à la ferme, Patrick invite son assistance à se regarder le nombril et se lance dans une séance de méditation. Portez votre attention sur votre ventre, susurre-t-il avec une voix presque aussi suave que celle de Fanny Ardant. Inspirez en rentrant votre bedaine, expirez en relâchant tous vos muscles. Fermez les yeux, entrez en vous, installez-vous dans l’un de vos 4 estomacs…

Patrick poursuit avec douceur, la torpeur s’installe dans l’étable. Observez dans votre panse tous les brins d’herbe que vous avez ingurgités. Voyez comme ils sont en train de se faire attaquer par des micro-organismes pour passer de glucides complexes à sucres simples. Inspirez, soufflez. Vous voilà devant votre mini usine de fermentation. En se décomposant, les brins d’herbe produisent de quoi vous donner de l’énergie (des acides gras volatils, AGV) mais aussi du dioxyde de carbone et du méthane, celui-là même que vous éructez toute la journée. Prenez une grande inspiration… Votre organisme relargue jusqu’à 500 grammes de méthane quotidiennement, le gaz 25 fois plus réchauffant que le CO2 qui fait fondre la banquise. Imaginez qu’on puisse le récupérer pour en faire de l’énergie.

Miss Caloway remonte sur ses pattes, paniquée à l’idée de se voir équipée d’un dispositif récupérateur de rots, comme ceux utilisés expérimentalement par les écoles d’agronomie il y a quelques années. Nous aussi on va devoir vivre masquées ? s’affole-t-elle. Laissez votre ventre là où il est, reprenez votre respiration normale, ouvrez les yeux, reprend Patrick. Cette petite digression digestive est terminée. Dans 10 minutes, retrouvons-nous devant le méthaniseur au bout du pré.

Cocotte énergétique

Ni une ni deux, le troupeau se presse devant la nouvelle acquisition de la ferme, le méthaniseur dont les formes empruntent à la soucoupe volante et au chapiteau de cirque. Patrick Lombric est monté sur un piquet pour être à la hauteur de son auditoire et reprendre son exposé scatologique. Voilà le théâtre de vos bouses mesdames, c’est ici qu’elles commencent leur mue énergétique selon le même procédé que votre estomac. On les mélange avec des fientes de poule, des crottes de bique, des crottins de cheval, on les agrémente de déchets végétaux, pailles, restes de cultures, tontes et surtout on les prive d’oxygène pendant 40 à 200 jours, c’est ce qu’on appelle une fermentation anaérobie. C’est horrible, elles vont mourir, s’insurge Marguerite, la plus fleur bleue de tout le troupeau. Disons qu’elles vont connaître une deuxième vie, poursuit Patrick qui ne souhaite pas lancer le débat « les bouses ont-elles une âme » ?

En se décomposant grâce à l’action des bactéries, 90 % de la matière organique va se transformer en biogaz, principalement composé de CH4, le fameux méthane qui pourra peut être utilisé sous forme combustive pour la production d’électricité et de chaleur, mais pourra aussi servir à la production de carburant (le bioGNV), ou être injecté dans le réseau de gaz naturel après épuration. Le reste, qu’on appelle le digestat, sert d’engrais histoire de boucler la boucle.

Pour produire 100 kilowatts, il faut méthaniser 672 hectares de pailles, les effluents de 32 865 porcs ou ceux de
362 vaches, cocorico !

Vous savez quoi ? claironne Patrick Lombric qui souhaite reprendre le contrôle de son assistance. Nos bouses sont particulièrement performantes niveau production d’énergie. Selon l’Ademe, pour produire 100 kilowatts électriques, il faut méthaniser 672 hectares de menues pailles, les effluents de 32 865 porcs ou ceux de 362 vaches laitières, cocorico ! Y’a largement de quoi se la péter quand on y pense. Devant ces excellentes nouvelles, tout le monde rentre au bercail, parsemant l’itinéraire de quelques belles bouses en guise de victoire.

Watts à la ferme

Pour terminer sa démonstration, Patrick Lombric donne rendez-vous au troupeau à 20 h pétantes devant le poste de télévision du bureau de la ferme. Son collègue Norbert, maire de terre, doit y tenir une allocution officielle. Chut, ça commence, préviennent Miss Caloway, Blondie et Marguerite au premier rang. Mes chers compatriotes, nous sommes en guerre, commence Norbert sur un air de déjà entendu.

Nous sommes en guerre contre le réchauffement climatique dont les conséquences pourraient être bien plus graves que la covid-19. Mais nous avons les armes pour infléchir la courbe. La loi énergie-climat votée en 2019 prévoit la neutralité énergétique de notre pays en 2050. Pour cela, nous devons diviser les émissions de gaz à effet de serre par six au moins d’ici cette date et réduire de 40 % la consommation d’énergies fossiles. La méthanisation fait partie des alternatives durables et nous sommes fiers de compter plus de 500 installations agricoles, qui constituent les trois quarts des installations de méthanisation existantes. La consommation actuelle de gaz issu des élevages représente 0,25 % de la consommation totale de gaz en France et nous souhaitons la faire grimper à 10 % d’ici 2030 alors je n’ai qu’une chose à vous demander : mangez, bousez ! Vive la République, vive Patrick Lombric !

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Texte de Hélène Binet
Illustrations de Corentin Perrichot

8 commentaires

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  1. Bonjour,
    Je ne comprends pas : y a-t-il encore des gens parmi ceux, intelligents comme vous, je le suppose, qui ne doutent pas des conclusions du GIEC ?

  2. les méthaniseurs installés a grands coups de subventions ,le sont surtout dans les très grosses exploitations (grosses productrice d’effluents ,mais qui ne suffissent pas a alimenté la machine ) ,il faut donc alimenté la machine avec des végétaux (en général plusieurs centaines,voire milliers d’hectares) produits avec les digestats de cette même machine ; ce qui génère des transport de matière très importants tant en intrant qu’en sortie (digestats) . je trouve que c’est un serpent qui se mange la queue pour grandir ,avec pour déconvenue: de bouffer l’argent public, de ne pas résoudre les pollutions agricoles , de générer des transports supplémentaires; et de trouver une excuse a l’agrandissement d’exploitation sous prétexte de résoudre le problème des déchets vert des déchèterie( part minime des intrant des méthaniseurs ); et de crée des risque de pollution des eaux ( voir accident de déversement à Chateaulin(29150) en 2020), et d’occuper des terres a d’autres destinations que leur destination première ( nourrir les hommes) et on ne parle pas non plus des pollution olfactives que doivent subir les riverains à proximités des terres ou sont épandus ces digestats.beaucoups de désagréement pour une production bien minimes d’électricité ou de gaz en finalité.

  3. Avec la loi RE2020, il ne sera plus possible à partir de juillet de nouvelles maisons uniquement chauffées au gaz et leschaudieres au gaz seront t progressivement t interdites donc quid des 1100 projets de sites de méthanisation?

  4. Et plus les élevages sont importants et meilleur est le rendement (il vaut mieux faire tourner un gros moteur qu’un petit). Le retour sur investissement n’en sera que plus rapide !
    Et donc un système de production d’électricité qui favorise et incite à l’élevage intensif (cf. fermeS des « mille vaches »), aux cultures « énergétiques » plutôt que vivrières etc…
    Thomas

  5. Mouais… Une fausse solution – d’ailleurs encouragée par le lobby agricole productiviste – pour éviter de remettre en cause la nécessaire réduction de la consommation de produits animaux et donc de la taille des cheptels et des élevages industriels. Un objectif autrement plus efficace en termes sanitaires, écologiques et climatiques que la méthanisation des excréments dont l’apport énergétique resterait marginal.

  6. Bravo et merci pour la rédaction et les illustrations de cet article d[étonnant], très imaginatif, le ton léger et drôle est un vrai réconfort en cette période et en plus c’est pour de bonnes nouvelles. Ravie de voir que les principes de la permaculture (zéro déchet, plusieurs usages pour un produit) dessinent une issue durable à la crise climatique – au moment où les champs de photovoltaïque commencent (enfin) à poser question… L’eau du toit abreuvant la végétation productive grimpant sur ses murs, ce bâtiment pourrait-il approcher le bilan C02 d’un bosquet de la même surface ? ?… tout ça soutenu par l’Etat avec une fiscalité orientée vers les efforts carbone et en faveur de la biodiversité… Ah vous me faites rêver !

  7. Vous devriez lire l’article de Que choisir du mois de février,la méthanisation y est montrée sous un autre jour.
    Rien d’écologique dans tout ça, juste du profit pour les vendeurs de projets
    Les agriculteurs vont devenir des energiculteurs qui auront besoin de cultiver pour « nourrir » le méthaniseur au détriment de leur métier premier nourrir la population.
    Et en plus, bruits, odeurs, impact sur la vie des riverains !!

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