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Investigation en sol majeur

Le sol, c’est quoi en fait ? Enquête exclusive de Patrick Lombric

Patrick, y’a quoi dans le sol ? Dans cette terre où poussent nos carottes, tu rencontres beaucoup de monde ? Vous êtes combien ? Qui fait quoi ? Ce matin, on m’a bombardé de questions. Le mieux, j’ai dit, c’est d’aller y faire un tour tous ensemble. Nous voilà donc aujourd’hui prêts à plonger dans le sol pour rencontrer les ouvriers de la terre. Vous me suivez ?

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Qu’est-ce qui vous est arrivé ma belle ? Il y a deux jours, il a plu, sanglote la feuille de chêne toute défigurée. Alors hier ils ont attaqué. Qui ça ? Les champignons. Avec leurs filaments, ils sont entrés dans mes pores et ont balancé leur potion de la mort : un mélange d’enzymes. C’est pire que de l’acide ce truc, ça vous bouffe de l’intérieur. Évidemment personne n’est venu me défendre. Tu penses, une fois que les champignons sont passés par là, je deviens parfaitement consommable. Tout le monde peut me manger. Bouhouh, ma vie est foutue.

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Ça va, on ne vous gêne pas ? Attend, se défend le mulot. D’abord tu pourrais frapper. Ensuite, mon transit intestinal fait partie de l’écosystème. Je mange, je digère et je restitue à la terre des aliments déjà transformés. Tu crois quoi, que les carottes elles mangent des végétaux direct ? Que nenni, il leur faut des minéraux. Moi j’assure la première étape, je mange les jeunes pousses des plantes et je les restitue déjà un peu plus décomposées. Tu sais comment on m’appelle ? Un décomposeur ou même un détritivore. Allez file, j’ai pas fini.

Illus3Tut tut, allez on dégage le caillou, vous me bouchez le passage. Doucement doucement, moi on me respecte monsieur. Je vous rappelle qu’il y a des centaines de millions d’années, il n’y avait que nous, de beaux blocs de granite. Notre roche pure, compacte et uniforme régnait en maître. On nous appelait même la roche-mère. C’était beau, c’était net. Puis il a plu, le soleil a brillé, quelques plantes ont commencé à s’installer. En quelques années, nous autres roches on s’est effritées, fragmentées, altérées. De nouveaux végétaux se sont mis à pousser dans nos fissures, des animaux sont venus les goûter, ont laissé leur petite commission. Tout ça nous a modifiées. On s’est transformées en grains de sable ou en argiles. Et regardez où j’en suis, moi hier solide comme un roc, réduit au XXIᵉ siècle à la taille d’une tomate cerise. Quelle misère.

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Vous buvez quoi Mister Petit Pois ? Je me nourris des 78 % d’azote qui composent l’air. C’est bon ? Pas mal. Ensuite, je le restitue dans le sol quand je trépasse. Franchement, c’est un bel exploit, peu de plantes peuvent fixer l’azote gazeux. En fait à part les légumineuses, quelques arbustes américains et moi, je ne connais personne capable d’une telle prouesse. Bon d’accord, tout ça c’est grâce à mes nodosités, des petits sacs accrochés à mes racines dans lesquels se lovent des bactéries du genre rhizobium. En vérité, ce sont elles qui captent l’azote de l’air. Moi, sans mes sacoches je ne suis pas grand chose. M’enfin ne vous attachez pas, dans quelques mois, je ne suis plus là. Je ne suis qu’une culture de passage. Un engrais vert comme ils disent par ici.

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Oh la pauvrette ! Et dire que la taupinette n’a jamais vu le soleil. En même temps, tout n’est pas perdu pour tout le monde. On devrait bien trouver un peu de phosphore, de potassium et quelques micro-doses de minéraux là-dedans.

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Hi guys ! Alors, ça touille ? Tu l’as dit, répliquent en chœur les lombrics. Nous ici on nous appelle les mélangeurs. On plonge dans le sol, on déplace les argiles vers le haut et on enfouit les matières organiques vers le bas. Comment ? Bah en creusant parce qu’on est nés pour ça. Darwin disait même qu’on était plus indispensables qu’une charrue ou un truc du genre. Un jour on se nourrit en haut et on se soulage en bas, le lendemain c’est l’inverse. En tous cas, nous aussi on assure une fragmentation de plus en plus poussée de la litière, cette couche de végétaux qui recouvre le sol.

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Ben décidément c’est une manie. Vous êtes tous coprophages ici ou quoi ? Gros dégueulasses, va ! Vous devriez savoir cher Patrick que c’est une spécialité de nous autres collemboles, habitants du sol. Et notre travail est très noble. En faisant passer la litière d’un tube digestif à l’autre, on la dégrade, on la fragmente jusqu’à ce que les bactéries puissent jouer leur rôle, celui de transformer la matière organique en matière minérale. Si on n’était pas là, les plantes ne pourraient jamais passer à table. Alors vos petites leçons sur les bonnes manières, vous pouvez repartir avec.

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Vous êtes nombreuses là-dessous ! Tu m’étonnes, répond la bactérie. Dans un gramme de sol on est entre 10 millions et un milliard. Et vous faites quoi là toutes serrées ? On joue aux apprentis chimistes. Ammonisation, nitrosation, nitratation, on enchaîne les formules chimiques en maniant du N, du H, du O2. Notre boulot c’est de passer la matière organique déjà bien fragmentée à la matière minérale. Une fois qu’on est passées par là, le sol se trouve chargé en nitrates, parfaitement assimilable par les plantes.

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Oh là, c’est quoi ce rassemblement ? C’est une manifestation de tous les travailleurs de la terre, les consommateurs primaires, les secondaires, les décomposeurs, les faiseurs d’humus et les mangeurs de déchets. Glomeris, cloportes, oribates, larves, diploures, géophiles (les mille-pattes quoi), opilions, acariens, staphulins, pseudoscorpions…. On est un paquet sous vos pieds et si l’un de nous vient à manquer, c’est toute la machine qui se détraque. Maillons essentiels de la chaîne alimentaire, surtout n’essayez jamais de nous détacher.

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Ben voilà, on a vu tout le monde. Franchement, ils ont bien bossé les p’tits gars du sol. Grâce à eux, les plantes vont pouvoir pousser, pousser, pousser... Allez, on remonte ?

Merci à Gisèle pour ses leçons de sciences naturelles sur un coin de table et à Corentin pour ses illustrations originales.

 

13 commentaires

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  1. Excellente initiative et adorables dessins. Bravo. Pouvez-vous mettre cet article sous forme imprimable pour que je puisse le faire passer. (tous n’ont pas internet !) A signaler le livre LES JARDINIERS DE L’OMBRE de Blaise Leclerc édité par Terre Vivante qui répertorie les vers de terre et autres artisans de la fertilité.

  2. Excellent ce reportage sous terre ! on apprend plein de choses, tellement que je fais suivre
    et ……….au fait ……….bonne année à toute la ruche et à tous(tes) les agriculteurs (trices)

  3. Je suis d’accord avec tous les commentaires. C’est clair, compréhensible pour les non initiés, plein d’humour. Bravo à Patrick Lombric !

  4. Merci pour ce « cours » d’histoire naturelle tout en humour.
    J’ai beaucoup appris en m’amusant, si l’école pouvait en « prendre de la graine » tous les enfants seraient heureux d’apprendre, et curieux de tout.
    Chapeau bas !!!

    Raphaëlle

  5. Bravo ! Si les lombrics avaient des mains, ils applaudiraient !
    Le maître composteur que je suis apprécie autant l’aspect pédagogique que ludique de cette petite histoire du sol ! J’en ai lu des pages et des pages sur le sujet, et je ne m’étais encore jamais autant amusée !
    Je transmets à ma ruche de St Maur !
    Merci, et encore bravo ! 🙂

  6. Merci pour cette belle instruction ludique de science et vie. Félicitation!
    Une pédagogie qui pourrai intéresser nos enfants et aussi pour le plus grand respect de notre environnement.
    Bravo Gisèle et Corentin.

    Bien à vous Stève

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