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Coup de pouce végétal

Des vignes à l’ombre des arbres

Dans le massif du Pilat, surplombant le Rhône, le domaine Pierre-Jean Villa expérimente la vitiforesterie : des vignes entourées d’arbres qui les protègent de la chaleur, retiennent l’eau et fertilisent les sols.

Le vignoble de Pierre-Jean Villa domine le Rhône, depuis le massif du Pilat. © Angela Bolis

Au milieu des vignes de la vallée du Rhône bien alignées sur leurs coteaux, une parcelle dénote. Un peu moins uniforme, un peu plus foisonnante. Ici, sur les hauteurs de Chavanay, le vigneron Pierre-Jean Villa a consacré un hectare de son domaine à la vitiforesterie – l’agroforesterie appliquée à la viticulture. Plantés il y a seulement deux ans, les jeunes ceps de syrah sont déjà bien entourés : une multitude de jeunes arbres pousse tout autour de la parcelle, en haie entre les vignes, mais aussi à l’intérieur même des rangs.

Plus de 500 individus au total, appartenant à 25 essences locales : érables champêtres, sureaux, aubépines, pommiers, amandiers, pêchers, noisetiers… Des espèces choisies avec l’appui du Parc naturel régional du Pilat, pour bénéficier aux vignes sans les concurrencer. Cette biodiversité végétale est rehaussée par quelques nichoirs à oiseaux, mais aussi des ruches l’été, et des moutons l’hiver. De quoi injecter un peu de vie et de couleurs aux paysages viticoles, habituellement en monoculture.

Vendanges dans le vignoble de Pierre-Jean Villa. © Angela Bolis

Après avoir travaillé pendant vingt ans dans les vignobles de Bourgogne, Pierre-Jean Villa est rentré au pays natal pour fonder son domaine en 2008. Bientôt rejoint par ses deux enfants, Hugo et Pauline, il cultive 20 hectares, principalement répartis sur des appellations de renom : Côte-Rôtie, Saint-Joseph, Crozes-Hermitage…

Peu après son installation, le vigneron et son associé Justin Prudhomme s’attaquent à un premier chantier : la conversion en agriculture bio. Il nous a fallu dix ans pour tout remettre à plat, raconte Pierre-Jean Villa. C’était très compliqué de se passer de désherbants chimiques dans ces pentes, on a dû se poser beaucoup de questions pour adapter les méthodes de culture, les outils, les enherbements… 

Le vigneron Pierre-Jean Villa dans son vignoble. © Angela Bolis

Micro-climat

Après le bio, la question qui s’est posée a été : comment répondre au défi climatique ? L’agroforesterie, c’est un peu notre deuxième transition, poursuit le vigneron. L’été 2022, avec ses vagues de chaleur et sa sécheresse intense, a rappelé aux viticulteurs l’urgente nécessité de s’adapter à ces nouvelles conditions. Cette année, on a vendangé à partir du 25 août, soit quinze jours en avance. Le raisin est monté très rapidement en sucre, sans avoir le temps de bien maturer, déplore M. Villa.

Avec la vitiforesterie, la famille Villa espère retrouver un micro-climat plus favorable. Des couverts végétaux ont d’abord été expérimentés, avec notamment un sedum, une petite plante grasse résistante à la sécheresse. L’objectif : empêcher les plantes adventices de pousser, apporter de la matière organique, mais aussi rafraîchir les sols. Puis bien sûr, des arbres ont été plantés, que les vignerons voient déjà comme les futurs protecteurs de leurs vignes, prodiguant ombrage et humidité. S’appuyant sur des expérimentations scientifiques menées dans le Languedoc, ils espèrent perdre au moins 3 °C au pied des ceps abrités. Mais pas seulement. Tout autour de la parcelle, les haies font un effet brise-vent. Les arbres, eux, régulent la température : ils réduisent les fortes chaleurs, mais aussi les risques de gelée, énumère Pauline Villa.

Pauline Villa dans la parcelle expérimentale en vitiforesterie. © Angela Bolis

Des expérimentations montrent aussi une diminution des maladies, et donc des produits phytosanitaires au fil des années, ainsi qu’une moindre mortalité des ceps menés en agroforesterie, poursuit Pierre-Jean Villa. Un bénéfice déterminant pour leur exploitation, où la mortalité des vignes a justement grimpé à cause du climat trop chaud et sec.

Le retour des arbres doit aussi signer celui de la biodiversité, et de certaines dynamiques naturelles bénéfiques aux cultures. Du tronc au bout des feuilles ou de ses fruits, l’arbre offre le gîte et le couvert à de nombreuses espèces d’insectes, d’oiseaux, de chauve-souris… dont certaines se nourriront de ravageurs, comme le ver de la vigne. Ces bénéfices seront encore décuplés si, en n’étant pas seulement envisagée comme une solution isolée, la parcelle en vitiforesterie s’insère dans des couloirs écologiques, haies, bosquets, rivières… bref, dans un paysage plus largement diversifié.

Pêchers et autres arbres fruitiers sont intégrés aux vignes. © Angela Bolis

Sous le sol

C’est aussi à l’abri des regards, sous le sol, que tout se joue. Alors que les terres nues, très travaillées et aspergées d’engrais et de pesticides chimiques sont désertées par les micro-organismes, arbres et couverts végétaux viennent au contraire favoriser ce petit peuple exubérant qui rend la terre vivante et fertile. Feuilles et bois mort, en tombant au sol, se décomposent et apportent de la matière organique : celle-ci nourrit la vigne et permet de mieux retenir l’eau. Les vers de terre en profitent eux aussi. Ils aèrent la terre et favorisent encore l’infiltration de l’eau… La mycorhize, ce réseau de champignons en symbiose avec les racines, relie les plantes entre elles et distribue les nutriments. Les racines elles-mêmes évitent l’érosion et le lessivage des sols. Enfin, tous ces arbres stockent du carbone, contribuant à l’atténuation du changement climatique.

Pour autant, la vitiforesterie est pour l’instant pratiquée à titre expérimental sur le domaine Pierre-Jean Villa. On n’a encore très peu de retours d’expérience précis sur l’efficacité de cette pratique, surtout localement… On défriche, note le viticulteur. Associer des arbres aux vignes n’est toutefois pas nouveau. On revient à un mode de culture passé, qui a été abandonné, souligne Pauline Villa. À l’état sauvage, la vigne est une liane qui aime s’enlacer aux branchages. Dès l’Antiquité, on trouve des traces de son association avec des arbres, mais aussi avec des céréales ou des légumes. La crise du phylloxéra au XIXᵉ siècle, puis la mécanisation et le remembrement ont précipité la disparition de ces complantations (différentes cultures pratiquées en même temps sur un terrain).

Chardonnay vendangé. © Angela Bolis

Ces pratiques oubliées apparaissent désormais à certains comme une solution d’avenir. Encore émergentes, elles séduisent de plus en plus de vignerons depuis une quinzaine d’années – récemment, de grands noms comme le château Cheval Blanc, dans le bordelais, ou Ruinart, plus ancienne maison de Champagne, ont planté plusieurs milliers d’arbres dans leur vignoble.

Sur la parcelle du domaine Pierre-Jean Villa, les jeunes ceps déploient déjà de larges feuilles vertes sur de solides tiges. La vigne est belle et les arbres se développent bien, mais il faudra attendre plusieurs années avant d’avoir de vrais résultats et, on l’espère, de généraliser cette expérience sur d’autres parcelles, relève Pauline Villa. C’est un pari qu’on fait pour les décennies à venir !

Vendanges avec vue. © Angela Bolis

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