Angela et Hugo s’essayent pendant trois ans au métier de vigneron, de la vinification à la comptabilité, sur un domaine test dans le Beaujolais. Ils profitent d’une puissante et inattendue entraide vigneronne, passeport précieux qui leur a permis de trouver des terres pour s’installer définitivement.
Les vignes de gamay, qui donnent des rouges clairs et épicés, s’accrochent aux côteaux vallonnés. Dans le Beaujolais, le cru de Chénas est la plus petite appellation en surface. C’est là qu’Angela Quiblier et Hugo Foizel ont trouvé leurs premiers hectares en 2021. Ces jeunes vignerons de 27 et 28 ans ne sont ni du coin, ni enfants de vigneron. Dans de telles conditions, ce genre d’opportunités ne circule pas si facilement. Leur chance : à six kilomètres de là, ils jouent aux apprentis vignerons sur un domaine test baptisé les Jeunes Pousses dont ils sont les premiers occupants. Arrivés en 2019, ils y passent leurs derniers mois après trois ans affairés à en cultiver les 5 hectares, à vinifier, commercialiser, signer les chèques, tenir la comptabilité… Cette année, un autre couple prendra le relai.
La structure située à Émeringes, commune encerclée par les grands crus du Beaujolais sans toutefois en faire partie, a été montée par Thibault Liger-Belair, vigneron bourguignon émérite. Dans le cadre d’un achat groupé avec d’autres investisseurs, il récupère ces terres qui ne l’intéressent pas et décide d’y installer des jeunes pour qu’ils se forment avant leur installation. Entre 10 000 et 40 000 euros l’hectare, c’était impensable d’y avoir accès, rappelle Angela. Avant même que la question financière n’entre en jeu, le bouche-à-oreille pour ce genre d’offres fonctionne mieux en étant intégré à la communauté. Au début, rien que pour acheter du matériel d’occasion, les enfants des voisins avaient systématiquement la priorité sur nous. Maintenant, le fait de travailler dans les vignes et de faire ses premiers vins, ça donne un statut de vigneron, donc les portes s’ouvrent plus facilement.
Le duo raconte les barriques cédées gratuitement, lavées spécialement et prêtes à l’emploi, les coups de téléphone pour savoir si tout va bien, l’heure de temps accordée pour venir sortir d’affaire leur tracteur embourbé. C’est de ça dont t’as besoin quand tu te lances, s’enthousiasment Angela et Hugo, dont les Jeunes Pousses est le premier projet depuis la sortie de leurs études œnologiques. Ici, il y a une entraide entre collègues qui n’existe pas en Bourgogne ou en Champagne, des régions où l’on a travaillé comme stagiaires. Et puis, tout le monde est content d’aider des jeunes qui veulent s’installer.
Si le métier se transmet de parent à enfant, c’est bien parce qu’il y a besoin de quelqu’un qui t’explique comment faire du vin, et aucun diplôme ne peut cocher toutes les cases.
Dans le Beaujolais, les départs s’accélèrent. Dans dix ans, la moitié des vignerons sera à la retraite. À Émeringes, il y a cinq vignerons, deux fois moins qu’il y a quinze ans. D’ici cinq ans, il ne restera que les Jeunes Pousses, illustre Angela. Pour une partie d’entre eux, les enfants n’ont pas voulu reprendre devant la difficulté économique que le métier représentait. Quant aux candidats extérieurs, ceux qui veulent vendre leurs bouteilles en direct, ils cherchent plutôt deux fois moins grand que les dizaines d’hectares d’un bloc proposés par les anciens. Sans compter qu’il faut encore dénicher un endroit où vinifier et habiter, ce qui n’est pas chose aisée quand la pression foncière étrangle (voir encadré ci-dessous).
Pour leur nouveau chez-eux, Le couple reprend les vignes en métayage : Pendant neuf ans, on donne la moitié de la récolte au propriétaire, et en contrepartie, on a accès à un chai tout équipé et des vignes en bio depuis trente ans, très rares dans le Beaujolais. Ce n’est pas durable sur le long terme économiquement, mais pour débuter, c’est un énorme coup de pouce.
Des problèmes pour apprendre à les résoudre
En plus de la possibilité de tisser un réseau et de trouver des vignes, le projet des Jeunes Pousses a offert au couple l’occasion de rencontrer des problèmes et d’apprendre à les résoudre. Mais la tâche a nécessité un certain soutien. Si le métier se transmet de parent à enfant, c’est bien parce qu’il y a besoin de quelqu’un qui t’explique comment faire du vin, et aucun diplôme ne peut cocher toutes les cases, observe Angela. Une simple macération carbonique (les raisins ne sont pas écrasés dans la cuve mais fermentés entiers, NDLR), une technique de vinification typique du Beaujolais qui donne beaucoup d’arômes de fruits au vin, on ne savait pas faire.
Pour leur premier millésime, les jeunes procèdent comme ils l’ont appris à l’école en Bourgogne. Ils élaborent des vins aux tanins présents, qui deviennent en général plus délicats après deux ans à dormir en fût. Sauf que ces élevages longs ne sont pas adaptés à un domaine débutant qui doit faire tourner la boutique avec les bouteilles de l’année. Comment faire évoluer leurs vinifications ? En dégustant le vin des collègues en présence des intéressés, concluent les débutants. Ils discutent complètement ouvertement de ce qu’ils font, il n’y a pas de secret, précise Angela. Un savoir-faire d’autant plus précieux que le duo tient à mener des vinifications naturelles : Ici, tout le monde te montre que c’est possible de faire sans sulfites, mais c’est tout un autre apprentissage comparé à une planification technique à suivre à la lettre. Il y a des choses qu’on n’apprend pas à l’école.
En cas de doute, le couple appelle à la rescousse. Aiguillés, ils apprennent à reconnaître l’odeur de cornichon dans les cuves comme indicateur de pépin ou à utiliser les lies (les levures mortes issues de la fermentation) comme ingrédient magique pour rattraper un jus mal barré. Puis vient le temps de conclure, de mettre en bouteille et d’aller vendre : L’année dernière, j’étais super confiant, et à la mise en bouteille, j’ai explosé en plein vol en regoûtant le vin qui ne me plaisait plus, déplore Hugo. Tu doutes de tout ce que tu as fait pendant l’année précédente, alors que le vin a ses phases de fermeture et qu’il faut parfois savoir l’attendre.
Reconnaître les vignes en bouche
Avant de se juger sévèrement, la vigne reste un facteur à prendre en compte. Une parcelle qui sort de plusieurs décennies de désherbant et d’engrais chimique, ou bien qui n’a pas été entretenue pendant un temps : il n’y a pas de miracle en vinification les premières années, rapporte Hugo des conseils expérimentés de Paul-Henri Thillardon, vigneron du cru qui leur a transmis les vignes de Chénas. Les vignes en question, assainies de longue date et toujours cultivées, ont facilité les fermentations d’Angela et Hugo. Pour leur premier millésime l’année dernière, en parallèle des Jeunes Pousses, ça a été tout seul. On est restés vigilants mais on n’a pas eu besoin d’intervenir beaucoup. On a assisté au moment où le jus se transforme en vin. C’est net, la densité change d’un jour à l’autre.
Si Angela et Hugo ont conscience qu’il est trop tôt pour avoir leur patte et qu’ils ne feront pas le meilleur vin du monde en tant que débutants, ils ne dissimulent pas leur satisfaction d’avoir assuré une certaine continuité en retranscrivant le terroir. Dans cette première cuvée à eux, Paul-Henri Thillardon, à qui le duo succède, reconnaît bien ses vignes. Quand ton vin te rappelle celui d’autres vignerons d’ici, c’est magique, ajoute Angela.
En attendant de continuer à évoluer chez eux, à Chénas, les jeunes vignerons devront à leur tour transmettre leurs connaissances des parcelles des Jeunes Pousses au prochain couple. Même si en trois millésimes, tu ne connais pas encore bien le terroir, tempère Hugo. Il faut avoir vécu des années chaudes, froides… Quitter Émeringes et interrompre un rythme initié il y a trois ans ne semble pas si évident : Ce sera bizarre de ne plus avoir les jus d’ici… Mais on va y arriver, on va en récupérer des vignes de ce coin, lance la vigneronne comme une promesse. En attendant, peu importe le vin, l’étiquette s’accrochera : Le surnom va rester, prédit Angela. Pour tout le monde ici, on est les Jeunes Pousses.
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