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Vignes des cimes

Les vins de Savoie remontent la pente

Loin de l’étiquette « piquette à raclette » qui colle aux vins de Savoie, la nouvelle génération réinvestit les vignes, des terres boudées aux cépages mal aimés. Ceux qui se sont affranchis des habitudes locales, chevillées aux pistes de ski, ont fait office de premiers de cordée.

Dans le vignoble d'Aiton, il n'y avait plus que des moutonniers depuis les années 1970. La vigne a récemment repris ses marques. ©Justin Bouvard

On y faisait plus de vin là-bas là-dessous, le goût était aussi raide que la pente. C’est – au pronom près – le commentaire de Jeanine, 80 ans, Savoyarde, à l’évocation du vignoble d’Aiton. Contrairement à la majorité des domaines qui bordent le massif des Bauges de Chambéry à Albertville, le coin n’accueillait plus de vignerons.nes depuis les années 1970. Maxime Dancoine, jeune vigneron lillois d’origine, a fait le pari de réinvestir ce coteau il y a quatre ans, des crampons sous ses chaussures.

Sa jacquère fait mentir les dires des anciens, douce, tendre, croquante de poire. La jacquère, c’est ce qu’on trouve le plus ici, c’est le moins cher, continue l’aînée, qui n’a pas d’autre rôle ici que celui d’étendard de la pensée locale. Loupé, la bouteille du domaine est à 25 euros. Ça n’se vendra pas, tranche-t-elle. Tout est déjà parti à l’export, Jeanine.

Pour le moment, ce sont les États-Unis qui profitent le plus de ce blanc savoyard aux contours novateurs. Maxime ne vend pas sa production en Savoie, même aux cavistes locaux, même aux copains cavistes. On est le seul département vinicole où les habitants ne sont pas fiers de leur vin, regrette-t-il.

Les vieux ceps de jacquère, transmis à Maxime Dancoine par un couple de vignerons qui a réinvesti Aiton en 2003, jouxtent les derniers qu'il a plantés. ©Justin Bouvard

Trinquer face à la piste

Si la nouvelle génération s’aventure vers d’autres types de vin en se réappropriant son terroir, le mal a été fait en matière de réputation. On a été prisonniers de la saison de ski, résume Frédéric Giachino, l’une des figures de proue de la bio en Savoie côté Isère, qui réapprend son métier à partir de 2004 en se dégageant des méthodes classiques. À son installation dans les années 1980, il connaît la période faste de la Savoie, les stations en pleine expansion et les J-O de 92 en toile de fond. On avait atteint un pic où tout se vendait à des prix fous. J’ai connu le basculement en 94. Cette année-là, la récolte était pourrie, c’était imbuvable. L’appellation a fini par dire « c’est le goût de l’année » et a laissé passer.

Pour arroser le bas des pistes, la consigne tacite tient en un décasyllabe : toujours plus de volume, toujours plus tôt. Le millésime de l’année peut être légalement vendu à partir du 15 décembre. Après la saison des sports d’hiver, le « vieux vin » est la locution d’usage pour ce qui n’a pas été écoulé, quand la plupart des régions n’ont pas commencé à boucher le leur. Pour accélérer le processus de vinification, les produits de synthèse en tout genre tombent dans les cuves, masquent les défauts qui en résulte, puis stabilisent la potion. Le goût final a harnaché la bouteille à côté du poêlon à raclette pour touristes.

Frédéric Giachino, la pointe des Bauges dans le dos, sur son domaine à Chapareillan (Isère) qu'il mène avec son frère, sa femme et son fils. ©Justin Bouvard

Du soleil et du temps

Je ne fais pas de vin prêt à boire, prévient Matthieu Goury, qui a démarré grâce aux terres familiales dans la vallée de la Combe de Savoie, en 2016. Dans la région, la plupart des chais ne sont techniquement pas conçus pour stocker plus de deux ans d’élevage. Là, les fûts de bois alsaciens installés dans la grange du domaine laissent à peine la place pour serpenter. Toutes les cuvées passent un an bercées par le bois et un an en bouteille minimum. Avec moins de rendement, moins de grappes par cep, les jus sont plus concentrés, plus corpulents et donc capables d’encaisser ces élevages plus longs, explique-t-il.

Passé par le Canada et l’Australie, le vigneron innove. Il laisse par exemple dormir deux ans dans le bois sa roussette, cépage blanc emblématique local, comme on le ferait pour de vieux rieslings, pour voir ce que ça donne. Même principe pour Maxime Dancoine, du vignoble déchu d’Aiton, qui passe sous bois l’autre cépage blanc phare, sa fameuse jacquère : Les gens qui goûtent disent qu’elle est méconnaissable.

Matthieu Goury devant sa grange où il vinifie en douceur, le bois comme matériau de prédilection. ©Justin Bouvard
Le réchauffement climatique facilite désormais le mûrissement et change la donne en Savoie.

Au-delà des méthodes de vinification, la maturité du raisin a une influence énorme sur le goût des vins : On disait mon dieu la jacquère, la jacquère acide, mais c’est seulement quand elle n’est pas vendangée mûre, parce qu’il faut ramasser et vinifier le plus vite possible, dans le but de faire du volume pour compenser le fait qu’elle ne se vend pas cher.

Le réchauffement climatique facilite désormais le mûrissement et change la donne en Savoie, particulièrement pour les rouges qui dominaient autrefois mais ne représentent aujourd’hui plus que 20 % de la production. La mondeuse, cépage ancien, revient ainsi sur le devant de la scène savoyarde. Réputée acide, tannique, rêche, sa finesse nouvelle déroute : Ceux qui la connaissent bien disent que notre mondeuse est pour les Parisiens, ironise André Genoux du Château de Mérande, engagé en biodynamie depuis le rachat de la bâtisse familiale, il y a vingt ans. Macérations douces et élevages longs contribuent à ce nouveau profil. Parent de la syrah, la mondeuse savoyarde rappelle alors la cerise, le poivre et la violette des réputées côtes-rôties.

Les mondeuses du Château de Mérande, engagé depuis vingt ans pour des rendements moindres et le respect du terroir. Délicates et juteuses, « grâce au climat plus propice, soyons modestes ». ©Justin Bouvard

Nouveau-nés d’anciens

Pas besoin de s’éloigner du vignoble pour lui conférer un goût d’ailleurs. Les jeunes plants de vigne, maintenus dans des tubes de protection comme des nouveau-nés dans une pouponnière, s’en chargent en puisant dans leurs racines. Le centre d’ampélographie alpine Pierre Galet retrouve la trace d’anciens cépages savoyards et vinifie de micro-cuvées pour les faire découvrir : étraire de l’Aduï, douce noire ; côté blancs, mondeuse blanche, blanc de Maurienne ou joubertin.

Les vieux cépages retrouvés par le centre d’ampélographie alpine Pierre Galet sont remis en terre. ©Justin Bouvard

Adrien Berlioz, installé en 2006 à Chignin, a intégré à ses cuvées du persan, dont il restait à peine 200 hectares en 1950. Dernier projet en date : planter deux hectares de ces cépages oubliés du côté de Détrier, un vallon qui n’a plus vu de vigne depuis l’avènement des appellations. Les dernières parcelles datent des années 1970, avant l’ère de la chimie et de la mécanisation. Tous les anciens m’ont dit que ça faisait un vin dégueulasse, rapporte-t-il, pas inquiet pour autant.

Avec nos cépages et notre terroir, on devrait être les rois du pétrole.

Le quadragénaire s’est engagé à la tête du syndicat de l’union des vignerons pour encourager le vignoble à prendre conscience de son potentiel. En bio, on est 5 % à peine, déplore-t-il. Chez nous, si t’es seul avec plus de 15 hectares, t’as pas touché un sécateur de l’année. Les modèles économiques bâtis grâce aux débuts de la révolution industrielle de l’époque s’accrochent. La qualité globale en pâtit : en Vin de Savoie, les années productives, la profession n’arrive pas à tout vendre. C’est honteux de gâcher un outil pareil. Avec nos cépages et notre terroir, on devrait être les rois du pétrole, s’agite Frédéric Giachino, l’un des premiers à avoir changé son fusil d’épaule et qui évoquait plus haut son allégeance passée à la saison de ski.

Adrien Berlioz dans ses vignes, à l'ombre d'un amandier, arbre emblématique de Chignin. ©Justin Bouvard

Le prix à monter

Les derniers arrivés avec des méthodes consciencieuses à la vigne (la bio répond à un cahier des charges de moins en moins exigeant) sont unanimes : les pionniers leur ont ouvert la voie. Ils ont fait germer l’idée que d’autres manières de faire du vin en Savoie était possible, et l’expérience qu’ils en ont tirée a permis de se glisser dans leur sillage. S’installer en bio, c’est risqué car tu ne peux pas te planter, il n’y aura pas de traitement pour te rattraper, poursuit Adrien Berlioz. La première année est difficile, d’où l’importance de mentors pour être aiguillé.

Parmi eux, Michel Grisard, Louis Magnin, Brice Omont, tous passés par les Pétavins, association montée dans les années 1990 pour promouvoir des cultures saines dans le vignoble. Michel Grisard est sorti et a rencontré d’autres vignerons, qui sont les légendes d’aujourd’hui, tandis que la Savoie est restée sur elle-même, se souvient Frédéric Giachino. Nous, on l’engueulait parce qu’il vendait trop cher. Mais il avait appris à fixer ses prix par rapport au coût de revient, pas en fonction du voisin comme on faisait tous.

Adrien Berlioz est l'actuel président des Pétavins. Le nom de l'association est celui d'une ronce qui pousse entre les cailloux dans les vignes, inexistante en cas de désherbage chimique. ©Justin Bouvard

Dompter la pente coûte cher. La mécanisation n’est souvent pas possible. Travailler à la main, défricher et planter dans ces conditions : forcément le travail colossal implique de plus petites exploitations et des tarifs plus élevés. Un schéma financier qui tranche avec les us et coutumes mais qui offre en contrepartie aux jeunes l’accès à des terres, si tant est qu’ils veuillent bien aller se faire chier là-dedans, imagent eux-mêmes les intéressés.

Frédéric Giachino l’a bien voulu, ou du moins n’a pas vraiment eu le choix en reprenant les vignes raides de ses grands-parents, décotées face à celles de la vallée : Ma grand-mère disait, qui aurait dit qu’un jour ces vignes auraient pu intéresser quelqu’un ? Même schéma pour la nouvelle génération. Dans la pente du vignoble oublié d’Aiton qui a contribué à sa désertification viticole, Maxime conduit les parcelles comme c’était. À chaque cep, son piquet pour tenir face au vide. Les papis d’ici ont eu les yeux humides en voyant qu’on replantait les friches.

Début août à Aiton, la vigne sur échalas. ©Justin Bouvard

2 commentaires

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  1. Le premier précurseur en biodynamie et à limiter au maximum l’utilisation du sulfite…bien seul à l’époque (il y’a près de 20 ans)s’appelle Gille Berlioz
    à Chignin…c’est lui qui a formé Adrien…c’est le grand «  oublié »de votre article…dommage!…l

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