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Épisode 1/2

Alimentation chien-chat, la querelle du siècle

Avez-vous déjà parlé de croquettes avec des propriétaires d’animaux ? Si oui, vous savez qu’en trois minutes les esprits s’échauffent, pire qu’avec un débat sur l’existence de Dieu chez trois personnages alcoolisés dans un vieux roman russe. À chaque époque ses passions.

Les illustrateurs étaient débordés. Du coup j’ai pris mon chien et mon chat comme modèles. Ici : la dégustation d’une salade détox (sans succès).

J’ai fait cette expérience un jour, en promenant mon chien dans le quartier avec une poignée de voisins. Chacun défendait son steak.

L’un m’a dit : Les chiens et les chats sont des carnivores, ils ne doivent manger que de la viande fraîche !

Une autre ajouta : Les croquettes, c’est du poison !

Un troisième renchérit : Tous les vétos sont payés par Royal Canin, c’est bon pour leur business d’avoir des animaux malades.

Un peu dérouté, je suis rentré chez moi pour faire toute la lumière sur le côté sombre de la gamelle… Mais j’ai vite déchanté. Sur Internet les avis sont trop vagues, ou trop définitifs, et souvent contradictoires. Et puis la plupart des articles ne semblent pas très sérieux, voire carrément sponsorisés par une marque ou par une autre… Alors, pour en savoir plus, j’ai décidé d’enquêter, en commençant par prendre un verre avec Louise, une amie vétérinaire. Elle, au moins, elle saurait me renseigner.

Croquette au naturel, sur un espuma de rien du tout.

Alors Louise, le lobby croquettier, plus puissant que le complexe militaro-industriel ?

C’est vrai que tu empoisonnes nos animaux pour faire de l’argent ? Louise n’a pas tiqué. Ce discours, elle le connaît par cœur. Les clients sont de plus en plus suspicieux. Sur les réseaux sociaux et les forums, les théories paranoïaques se multiplient.

Alors elle me dit : C’est le même problème dans toutes les professions. Les gens se renseignent sur Internet avant de prendre rendez-vous. Ils arrivent chez nous avec leur propre diagnostic. En ce moment, la mode, c’est d’accuser la bouffe. Mais je pense que les gens se prennent trop la tête. C’est quand même génial les croquettes : c’est sec, ça se conserve, c’est une formule stable, équilibrée. Dans l’idéal, on devrait peut-être faire les courses et cuisiner des aliments frais pour nos animaux. Mais qui a le temps et l’argent pour ça ? On ne fait même pas à bouffer pour nous-mêmes.

C’est Royal Canin qui te paye pour dire ça ?

Louise : C’est bizarre cette focalisation sur Royal Canin… Les gens ne parlent jamais de Purina, par exemple, qui est une entreprise trois ou quatre fois plus grosse. On dit que les vétos sont influencés par les marques, mais je crois que c’est l’inverse. Il existe un petit nombre de marques qui travaillent avec des vétérinaires, qui définissent les recettes avec eux, qui font des analyses pointues. Forcément, ces marques ont des liens privilégiés avec les vétos. Ce sont des confrères et des consœurs. On vend leurs produits, c’est logique.

Mais ces fabricants n’essayent pas de vous séduire ?

L : Le conflit d’intérêt n’est pas réel. C’est vrai qu’on a des contrats avec des labos ; plus on vend, plus on a des remises sur les prochaines commandes, ou sur des achats de matériel. Nos assistants ont parfois des petits chèques cadeaux. On reçoit même des échantillons gratuits, pour les offrir aux clients. Mais franchement… Ce n’est pas une motivation suffisante pour vendre du poison.

Dans Libération, ils disent que les grandes marques font de l’entrisme dans les écoles de véto.

L : C’est faux. J’invite tous les gens à lire un cours de nutrition, par exemple celui de Sébastien Levefbre, professeur à VetAgro Sup. C’est pointu, c’est détaillé, ça ne promeut aucune marque en particulier. Les écoles de vétérinaires sont financées par le ministère de l’Agriculture et par les étudiants eux-mêmes via les frais de scolarité. Les grandes marques n’influencent pas le contenu des cours. Éventuellement, elles peuvent organiser des visites d’usine ou payer des soirées étudiantes. Mais comment croire que cela suffit à corrompre toute une profession ?

Bon, alors, maintenant qu’on se fait confiance… Dis-moi, comment bien nourrir son animal de compagnie ?

L : Je ne suis pas la plus compétente. Tu devrais demander à une spécialiste.

Ce n’est pas toi, la spécialiste ?

L : Il faut reconnaître un truc : les vétos ne sont peut-être pas assez formés durant leurs études. J’ai fait deux ans de prépa, puis quatre ans d’école vétérinaire. Et sur ces six années, en tout, l’alimentation chien-chat, ça ne fait pas beaucoup d’heures de cours. Si tu veux en savoir plus, tu devrais voir une vétérinaire-nutritionniste. Il n’y en a pas beaucoup… Mais je connais quelqu’un.

Blanc manger de langoustine, caviar de Sologne et suprême d’avocat.

C’est ainsi que j’ai rencontré Charlotte Devaux.

Cette vétérinaire a fait sa thèse en 2012 avant d’obtenir, en 2014, un diplôme en diététique canine et féline. Depuis, elle se consacre principalement à cette question : elle forme des confrères et consœurs, publie des articles dans la presse spécialisée, et même, anime un podcast, La truffe dans la gamelle. Elle est aussi l’autrice d’un livre : Croquettes ou pâtée – 50 idées reçues en nutrition du chien et du chat.

D’emblée, Charlotte nous confirme que l’alimentation chien-chat reste une sorte d’angle-mort dans la formation des jeunes vétérinaires : C’est la même chose qu’en médecine humaine : la nutrition, pendant longtemps, c’était le parent pauvre. Actuellement, on observe un virage vers une médecine préventive. On ne veut plus seulement soigner, mais aussi faire en sorte que les animaux ne tombent pas malades. Il existe déjà beaucoup d’études scientifiques, on a les connaissances. Mais il y a un problème dans la formation des professionnels, ou disons plutôt, un retard. Les vieux vétos en exercice, à leur époque, la nutrition chien-chat n’était même pas une matière. Ils savent rationner une vache, mais pas un animal de compagnie ! Il faut se rappeler que la médicalisation des chiens et des chats, c’est un phénomène récent !

Du coup, les vétérinaires sont un peu perdus quand on leur parle de croquettes ?

Charlotte : Un peu. Et comme la nature a horreur du vide, si les scientifiques ne prennent pas la place, les gens se tournent vers des naturopathes, des non-professionnels… Et ça donne un grand n’importe quoi. C’est pour cela qu’avec d’autres nutritionnistes, on milite pour que les choses changent. Par exemple, en juin dernier, mon confrère et député Loïc Dombreval a déposé un rapport à l’Assemblée, avec 121 propositions concrètes pour le bien-être de nos animaux. Il y pointe, entre autre, « le déficit de formation » des vétérinaires.

Les glucides : nécessaires ou délétères ? C’est l’un des grands reproches que l’on fait aux croquettes, elles contiennent des féculents bon marché, tandis que les chiens et les chats sont des carnivores…

C : Le mot « carnivore » a deux significations. Il peut désigner un régime alimentaire, ou alors, un arbre phylogénétique. Du coup, il existe des carnivores… qui ne sont pas carnivores ! Comme le panda, qui mange du bambou, ou certaines civettes qui mangent des fruits. Le chien s’est distingué du loup depuis plus de 15 000 ans ; il est devenu carnivore-opportuniste, ou carnivore-omnivore. Il possède maintenant des enzymes pour digérer l’amidon, c’est prouvé. Le chat, par contre, est un carnivore strict et ses capacités pour digérer l’amidon sont plus limitées – mais il s’en sort tout de même très bien. Sais-tu pourquoi on met des glucides dans les aliments pour animaux ?

Pour gonfler artificiellement le poids du produit ?

C : Non ! Les glucides contiennent des éléments très intéressants nutritionnellement, comme les fibres, qui sont indispensables pour une bonne digestion. Ces fibres permettent de nourrir la flore intestinale. C’est exactement comme chez l’humain : nous avons un besoin vital de fibres, et pourtant, nous ne les digérons pas.

D’accord mais dans la nature, le chat, il ne mange pas de fibres, il mange des souris.

C : Et les poils, c’est quoi ? Ce sont des fibres animales ! Comme les plumes.

Mais il y a ce reportage de France 5, qui tourne beaucoup sur Internet depuis quelques années : Quelles croquettes pour nos bêtes ? On y voit une vétérinaire dire que les chiens et les chats ont des intestins très courts, caractéristique des carnivores, contrairement à la vache, qui peut digérer de l’herbe… Alors ?

C : Si les vaches, les ânes ou les chevaux ont des longs intestins, c’est parce qu’ils doivent digérer la cellulose contenue dans l’herbe. C’est de là qu’ils tirent leur énergie. Une vache, c’est quand même une créature qui pèse une tonne juste en mangeant de l’herbe – c’est fou, non ? Alors que chez les chiens et les chats, comme chez nous d’ailleurs, la cellulose ne doit pas être digérée. Ce n’est pas de là que nous tirons notre énergie. Donc la longueur de l’intestin, on s’en fiche. L’important, c’est d’avoir des fibres pour nourrir nos bactéries intestinales.

Bon, les glucides sont nécessaires. Mais en tant que scientifique, tu ne penses pas que les industriels exagèrent parfois ? Certaines croquettes contiendraient presque 50 % de céréales. C’est quand même « du remplissage », non ? Où se situerait, selon toi, la dose idéale pour un chien, un chat ?

C : Pour les chats, la littérature définit une limite supérieure : dans l’idéal les glucides devraient apporter, au maximum, 40 % de l’énergie (mais c’est difficile pour un non-initié de calculer ce pourcentage). Heureusement, en pratique, assez peu de croquettes dépassent ce seuil. En revanche, pour le chien, je dirais qu’il n’y a pas de limite supérieure, tant que les besoins en acides aminés sont couverts – ce qui est le cas avec les croquettes vétérinaires notamment.

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Vaste sujet, décidément ! Mais nous avons déjà bien dégraissé les questions politiques : la formation des vétos, l’influence des lobbys, le complot mondial… Il est temps de faire une petite pause.

Dans le second volet de cet article, nous pourrons enfin plonger au cœur de la croquette pour voir ce qu’elle cache. Nous parlerons d’équilibre alimentaire, de carences, et même d’écologie… Rendez-vous au prochain épisode !

16 commentaires

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  1. « Les glucides contiennent des éléments très intéressants nutritionnellement, comme les fibres, qui sont indispensables pour une bonne digestion. »
    Vous êtes nutritionniste pour dire des choses comme ça ?
    Le chat n’a besoin que d’une quantité infime de fibres s’il mange des protéines et des lipides de qualité, il trouve ses fibres dans les estomacs de ses proies, qu’il dépouille pour éviter justement de manger des poils ou des plumes !
    Je rajoute que vous n’avez aucune connaissance de ce qu’est un conflit d’intérêt.

  2. Le jour où on me prouvera que les chats et les chiens chassent la croquette sauvage, je les nourrirais ainsi… C’est de la fainéantise de dire qu’on a pas le temps ? C’est quoi au final cette société qui donne de la place aux smartphones, TV & cie mais pas à sa nourriture ou du temps de partage ? Je nourris mon chat et mon chien au barf 2x / jour et ça ne me prends pas plus de 10min matin et soir. Faut pas exagérer à la fin… (comme dit Hippocrate, que ton alimentation soit ton premier médicament)
    Et le coût ? Largement en-dessous des croquettes (des bouchers seront ravis de vous céder à bas prix des « déchets » invendables sur leurs étales).
    Faites le test vous-même : le pelage change, les selles sont moins odorantes et plus petites, le chat bois largement moins (les reins fonctionnements moins du coup) etc. C’est du bon sens que de se rapprocher au mieux de ce qu’ils mangeraient dans la nature.
    Vous auriez dû citer aussi l’excellent Jutta Ziegler, vétérinaire (!) qui conseille justement l’alimentation naturelle pour nos animaux de compagnie.
    Quelques conseils de lecture pour votre prochain article :
    – Toxic croquettes – Jutta Ziegler
    – Le manuel complet de la santé du chien et du chat – Jutta Ziegler
    – Je nourris mon chat naturellement – Margitta Graeve
    – Je nourris mon chien naturellement – Swanie Simon
    => Tous ces livres sont aux éditions Thierry Souccar

  3. Merci pour cet article très intéressant! Je suis entièrement d’accord sur le fait qu’il existe de nombreux commentaires et autant de controverses sur le sujet… j’attends la suite avec impatience. Et j’en profite pour vous remercier également pour votre site que j’adore…

  4. Nous nourrissons notre teckel à poil dur avec des croquettes et des ..courgettes !! elle ne grossi plus !! et se regale !!
    j’attends la suite !

    1. Moi aussi j’ai intégré la courgette en brunoise pour mes chats ! Ils adorent et ça les rassasie bien… On prend un peu de temps pour eux, en cuisine, c’est important car ils le sont pour nous, non ?! 🙂

  5. Je vous recommande le livre « Toxic croquettes » de la vétérinaire Jutta Ziegler, vous apprendrez bien des choses sur ce juteux commerce, en particulier les méthodes de fabrication de l’alimentation pour nos animaux qui subissent tout comme nous les dégâts de la malbouffe, ce qui explique qu’ils soufrent désormais, parfois de manière très précoce, des mêmes maux que les humains : cancers, obésité, diabète, insuffisance rénale, problèmes cardiaques…

  6. Pour rebondir sur le commentaire de Lise: les problèmes rénaux viennent surtout du fait que les croquettes sont sèches et les chats ne s’hydratent souvent pas assez. Le mieux c’est de varier sec/humide, c’est à dire croquettes (pour le mastiquage, et aussi la praticité, soyons honnêtes!) / patée (hydratation, et souvent attraction plus forte du chat, c’est vrai que ça sent… fort!).

    Et un commentaire plus général: merci de cet article qui remet un peu les faits au centre de la discussion vs les impressions ou les croyances qui circulent. J’attends la suite avec impatience

  7. Bonjour
    Personnellement j’ai toujours donné des croquettes de marque WHISKAS à mes chats (3) qui ont vécus environ 17 ans. Pour celui que j’ai actuellement j’ai voulu chagé et prendre ULTIMA mais il a eu le poil terne et gonflait à vu d’oeil. Du coup je suis revenu à WHISKAS

  8. Confondre glucide et fibre c’est pas très encourageant pour une diplômée en diététique animale…
    Techniquement on peut très bien avoir 40% de glucide dans une croquette sans avoir de fibre, tout simplement parce que ce n’est pas la même chose.
    Il suffit de vous rendre dans n’importe quelle zoo de France, et puis regardez comment ils nourrissent les lynx, puma, ocelot, panthère, tigre, lion, etc…. aucune croquette à l’horizon !

    1. Pourquoi n’est il pas évoqué la « cantine d’Owen «  site de charlotte pour s’inscrire sur un programme ( payant ) pour nourrir son chien au barf ? D’après une interview d’elle le bard est super compliqué à mettre en place pourtant tout plein de personnes nourrissent ainsi leurs animaux. Donc en fait tout est rendu compliqué ( le marketing, la volonté de gagner de l’argent, les lobbies, et ceux qui ont des recettes fiable ( soit disant) mais payantes !! Plus tu te penches sur la question et plus tu risques de te planter !! Super !!

    2. tout a fait d ‘accord… un peu plus de formation sur l’alimentation?

      Un peu de bon sens: La realite cest que dans la nature les chiens ou les chats ne mangent pas de bles ou de patates crus …

      Alors, arretons de dire que c’est bien parce que ca nous arrange, c’est simple et moins couteux. Et ca permet de produire beaucoup…

    3. Cellulose, hemicellulose, pectine…. sont à la fois des fibres et des glucides….

      Pour les félins en zoo vous seriez étonné… les croquettes pour chat ont été testées dans certaines de ces espèces (sans problèmes) . Car ça permet d’avoir des aliments de replis surs en cas de problème.

  9. Dombreval… Dommage de se prévaloir de cet opportuniste incompétent qui utilise le BEA pour son propre bien être et qui est la bête noire des éleveurs et conducteurs dans les sports canins de saisie. S’il se mêle de nutrition, on peut s’attendre au pire !

  10. par expérience, ayant eu de nombreux chats : les chats nourris avec des croquettes (il faut avouer que c’est super pratique !) ont souvent des problèmes rénaux sévères à la fin de leur vie, voire deviennent aveugles … Depuis plusieurs années je nourris mes chats avec des boîtes de pâtée (émincés en gelée) et ça leur réussit bien. Je précise que mes chats sont des chats « de gouttière » recueillis chatons, que j’habite la campagne et que les chats ont gardé leur instinct de chasseurs qui leur permet de s’offrir quelques « extras » avec oiseaux ou petits rongeurs, mais ce sont aussi des chats » de salon » surtout en hiver, très affectueux avec des caractères très différents : c’est ça un CHAT.

  11. Merci J adore vous lire Toujours Passionnant et repond aux questions dans l air que je me posais Trop bien Ne changez rien !!!Votre positive attitude Un vrai bonheur!

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