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La ville est bêle

À Metz, une ferme au coin de la rue

Nos quartiers ont du talent. Dans la capitale lorraine, en pleine zone commerciale, territoire périphérique rongé par l’urbanisation, la ferme coopérative de Borny propose aux habitants un espace rustique de contact avec le vivant. C’est mercredi, on enfile les bottes.

Repiquage de tomate marmande. Ici, il est recommandé de se salir les mains. ©Thomas Louapre

La pluie ruisselle sur les toits neufs des maisons identiques, bien alignées. Les habitations remplissent les espaces libres entre les grands magasins, la zone commerciale devient aussi un quartier résidentiel, le même que partout ailleurs.

La ville se densifie. Elle a pourtant oublié un grand rectangle vert sur la carte. Sur celui-ci, des serres, des lignes de culture et un petit bâtiment qui jouxte l’entrée. À l’intérieur, deux tables en bois brut ont été dressées sur des tréteaux et des enfants jouent à pierre-feuille-ciseau en attendant que ça commence. Bienvenue à la ferme de Borny ! lance Floriane, qui anime l’atelier parents-enfants de ce mercredi. Les quatre familles ont eu vent de l’événement sur Internet et à la radio locale. Metz, ses musées, ses 120 000 habitants, sa ferme urbaine.

©Thomas Louapre

La fève du mercredi après-midi

Je vous ai passé des loupes, commence Floriane. Je voudrais d’abord que vous observiez ces graines et que vous en parliez ensemble. Les petites paires d’yeux s’exécutent. Fèves, courges, haricots rouges, calendula, on en voit de toutes les couleurs et de toutes les formes. Et bien sûr, on les enfouit dans des petits pots de terreau bien tassé. Pour les courges, il faut mettre la pointe vers le haut, c’est de là que sort la tige, précise l’animatrice.

Vient ensuite une session de repiquage des plants issus des précédents ateliers. Floriane, à temps partiel sur la ferme, en anime deux par semaine durant les vacances scolaires. On a trois piliers, explique-t-elle, des ateliers et des visites groupées ; du maraîchage en agriculture biologique ; et un magasin de producteurs qui a récemment évolué. On était ouverts tout le temps, ça nous a mis en difficulté. Maintenant, on ne vend que nos productions à nous. En réduisant la plage des horaires d’ouverture, les cinq employés de la coopérative qui gère la ferme ont gagné du temps pour les autres activités : production et animation. Une employée a même dans un coin de la tête un projet de biscuiterie.

Arrosage automatique des plantes aromatiques. Technologie lorraine, dite de la « pluie continue ». ©Thomas Louapre

De la friche aux frites

Les tomates marmandes, le cerfeuil, la physalis et la pimprenelle ont pris place dans leurs nouveaux pots, décorés pour l’occasion. Chaque enfant repartira avec sa plante. Mais avant, on va faire le tour de la ferme, sans attendre une éclaircie qui ne viendra vraisemblablement pas. Avant, c’était la campagne ici, il y avait déjà une ferme, raconte Floriane sous la pluie battante. Puis ça a été abandonné pendant longtemps, c’est devenu une friche, même un dépotoir. Et nous avons ouvert il y a deux ans.

Arrivée au sec dans une serre, la petite troupe découvre les semis de patisson, patidou et courge spaghetti. Allez, on réaffronte la pluie ! enchaîne Floriane, qui nous emmène voir les animaux d’élevage, lapins en tête (la présence de ceux-ci spécifiquement est à visée pédagogique). À côté, le box d’une énorme truie rose. Elle s’appelle Belinda, elle a les yeux bleus, c’est pas très original ! s’amuse Floriane. Ce qui est plus original, c’est le poulet-frites dont se goinfre la porcine demoiselle : un snack du quartier fait don de ses invendus à la ferme.

Caramel fait son difficile, il a déjà eu du chou ce matin. ©Thomas Louapre

Renard, chevreuils et citadins

Passé les brebis, tondeuses naturelles de la ferme, on pénètre dans le vaste enclos d’une quizaine d’oies, dont une qui couve. De l’autre côté du grillage, un parc public avec des joggeurs qui passent. On a failli oublier l’espace d’un moment que l’on était en ville. Pas Floriane : Des voisins se sont plaints du bruit des oies ! On les a déjà déplacées deux fois. C’est la vie de la ferme. Mais on a aussi des gens qui nous donnent des animaux.

Créer ces interactions, enraciner la ferme dans le quartier, c’est le projet qu’a choisi de soutenir la municipalité, habituée à mettre du vert dans son gris. Sans le soutien de la ville de Metz, on n’y serait jamais arrivés, c’est un vrai choix politique, assure l’agricultrice urbaine. Et puis ça a rassuré les gens, qu’on s’installe ici, sinon ça aurait été de nouveaux terrains à bâtir. 

Les trois brebis de la ferme ont un rôle important : la tonte des espaces non cultivés. ©Thomas Louapre

Étonnamment, la ferme doit aussi cohabiter avec plus sauvage qu’elle : le renard est passé deux fois la semaine dernière, il n’y a plus de poules ! Et l’année dernière, on avait des chevreuils qui mangeaient les jeunes salades ! L’espace est mieux partagée avec la micro-faune, qui est invitée à s’installer dans des « zones de biodiversité » brousailleuses aux quatres coins de la ferme. Des tas de branches, ça peut être des habitats et des garde-mangers pour les hérissons qui adorent les limaces, explique Floriane à Sara, 2 ans, dont les bottes rouges à pois blancs sont élégamment assorties à son gilet.

En regardant autour des carrés cultivés et aux pieds des rangées de cerisiers, mirabelliers et autres quetschiers, on se dit quand même que tous ces tas de branches ne peuvent pas être volontaires. La ferme est grande, près de 5 hectares dont deux sur un terrain un peu plus loin, et entretenir le tout demande un travail considérable. Sur une parcelle autrefois occupée par des jardins familiaux, des cabanes de fortune menacent de s’effondrer au moindre coup de vent. Leur destruction est sur la liste. On a aussi un gros boulot de signalétique à faire, pour que les gens puissent se balader sans nous, souffle Floriane.

Découverte circonspecte d’une nouvelle plante aromatique. La ferme est pleine de surprises. ©Thomas Louapre

Borny social club

Ce n’est pourtant que le début : les perspectives de développement sont variées, à la mesure du public qu’héberge une grande ville. Un projet de partenariat est en cours avec la MJC, sise dans un grand bâtiment qui donne directement sur la ferme. La demande de label ferme pédagogique est en cours, pour pouvoir travailler avec davantage d’écoles, et les fermiers de Borny s’exportent déjà chez des personnes âgées pour des rendez-vous jardinage.

On a un côté social, assure Floriane. Le but, c’est aussi que les familles aient un endroit où se retrouver. On fait régulièrement des chantiers participatifs pour l’aménagement de la ferme, avec un repas en auberge espagnole. On essaie de rester accessibles pour tous les publics. 6,50 euros l’atelier parents-enfants, 13 euros les deux heures d’atelier cuisine : c’est très abordable par rapport à ce qui se fait à Metz.

Alors que les familles reprennent le chemin de la sortie, leur plante sous le bras et le parapluie en main, la jeune femme pose un regard satisfait sur l’après-midi écoulée. Ça demande beaucoup d’énergie mais je suis contente d’être arrivée ici, on s’épanouit. Bientôt, l’éclaircie arrivera, et le soleil se faufilera entre les immeubles pour faire fleurir les nouveaux projets de la ferme de Borny.

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Plus de photos, c’est par ici.

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