Dans le quartier Saint-Pierre, à Brest, Valérie Lazennec et Philippe Nicol, Brestois pur beurre, fabriquent dans leur ferme des yaourts bio pour les cantines scolaires. Ils prouvent, chaque jour, que les champs ont toute leur place en ville.
C’est là qu’on est le mieux aujourd’hui, bien au frais, sourit Valérie, dans la grange en pierre, en alignant les pains bio au levain, aux raisins ou au sésame sur les étagères. Comme tous les vendredi en fin d’après-midi, elle tient la caisse de la vente directe, sur le site de la ferme, une vieille longère. Ce jour-là à Brest, le soleil a fait grimper le mercure au-delà des 30 °C, et même la petite brise de nord-ouest n’est pas venue souffler de la journée. Ce n’est pas vraiment dans les habitudes. L’herbe est presque jaune. C’est sûrement idiot, mais de l’herbe jaune, en Finistère, aux prémisses de l’été, ça ne court pas les champs.
La chaleur est difficilement supportable. Surtout qu’en ce moment, on fait les foins, prévient l’agricultrice. Dans la cour, derrière, on aperçoit l’enclos des chèvres et des lapins. Juste à côté, le cochon dort dans le carré d’ombre de son terrain, et des oies ouvrent le bec à qui s’approcherait trop près. Des gamins y laissent leur sac de pain, revenant en courant du côté de la salle de traite. Ici, à Traon Bihan (la petite vallée en breton), on trouve surtout des animaux, qui tiennent un rôle éducatif et affectif. Ce qui fait avant tout vivre l’exploitation, c’est la fabrication et la transformation du lait.
Valérie Lazennec et Philippe Nicol, le couple d’agriculteurs, ont repris l’exploitation familiale en 1999. Ils sont la cinquième génération. Le lait qu’ils produisent (170 000 litres) est vendu à une coopérative. Ils en transforment, à la ferme, une autre partie en produits laitiers (yaourts à manger et à boire, riz au lait, fromage blanc), qu’ils distribuent aux cantines publiques de la ville et diffusent aussi en circuit court dans le pays de Brest. Tous les vendredi après-midi, ils accueillent un marché de produits bio, rassemblant d’autres producteurs du nord Finistère. Au-delà de cette production qui lui assure un équilibre économique sain, Traon Bihan cultive surtout sa spécificité : celle d’une ferme laitière bio à la ville. Elle est la seule, d’ailleurs, de l’agglomération brestoise.
Parenthèse champêtre
Lovée dans un vallon autrefois excentré, près d’un grand bois dans le quartier Saint-Pierre, la ferme conserve des airs de campagne à proximité d’une rocade, d’habitations et d’un arrêt de tramway, à seulement deux kilomètres de là. Les parcelles s’éparpillent autour du corps de ferme, se glissent entre bâtisses, champs et talus, routes communales et petits chemins de terre. Philippe y fait pousser herbes, céréales et betteraves, destinés à l’alimentation des 45 vaches du troupeau. Les bêtes restent dehors toute l’année. Nous sommes en autonomie totale et n’avons jamais eu à acheter de nourriture pour elles, explique-t-il.
Valérie, animatrice socioculturelle de profession, a assuré sa reconversion vers la terre nourricière, qu’elle défend au quotidien. S’en est suivi une diversification des activités et quelques investissements, dont le laboratoire de transformation en 2010, mais aussi un jardin partagé, avec session collective tous les dimanches. Pour les enfants scolarisés dans des classes spécialisées et des adultes souhaitant jardiner ensemble, et surtout, jardiner de manière écologique, précise le couple, qui vit la ferme comme un lieu social de vie, d’échanges et de partage. Toute l’année, des classes, des enfants handicapés, des personnes âgées, des habitants de quartier, stagiaires et étudiants, des assistantes maternelles avec des tout-petits, viennent chercher la même chose : le lien à la terre.
Ville des champs
De façon pédagogique et systématique, le quotidien de la ferme est partagé sur un compte Facebook, suivi par 7 000 personnes. Le printemps dernier, une photo présentait ainsi la génisse Pythagore, baptisée par les écoliers des cantines de la ville de Guilers, voisine de Brest, et qui mangent les yaourts de Traon Bihan. Pour permettre aux enfants de nous découvrir, de comprendre notre métier, poursuit l’agricultrice. C’est important de transmettre son savoir-faire, d’expliquer d’où vient le lait ou le yaourt, ou à quoi sert une zone humide. Mais vivre avec la ville n’est pas toujours évident. Un éco-quartier est en train de naître à Saint-Pierre. Des lotissements vont pousser aux alentours, et les agriculteurs, plus que jamais urbains, devront faire avec d’avantage de cohabitation. Attentifs aux projets de la ville, Valérie et Philippe n’hésitent pas à prendre la parole pour mettre en garde contre cette consommation d’espace, qui s’effectue au détriment des espaces naturels et, surtout, agricoles.
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