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Sur les toits de Bruxelles

La ferme abattoir, l’aquaponie royale au bar

Sur les toits du marché des abattoirs de Bruxelles, BIGH voit l’agriculture urbaine en grand. Sur 4000 m², la start-up fait pousser des tomates à l’urine des poissons et à la chaleur des chambres froides. Visite de la plus grande ferme aquaponique d’Europe.

©Thomas Louapre

Deux valises viennent d’arriver à l’aéroport de Liège. Provenance : Tel Aviv. Destination : la ferme abattoir de Bruxelles. Contenu : 9000 alevins de bar qui, bientôt, feront pousser des tomates dix mois sur douze au dernier étage du Foodmet, le marché d’Anderlecht. C’est dans un kibboutz d’Israël que nous avons trouvé ce bar rayé, croisement du bar rayé de Saint-Laurent et du bar blanc du Pacifique particulièrement adapté à la pisciculture en bassins, explique Steven Beckers, architecte à l’origine de cette folle aventure agricole de centre ville.

Depuis le printemps 2018, chaque mois, une nouvelle génération de bébés poissons d’un gramme quitte le Moyen-Orient pour s’épanouir dans les bassins de la capitale belge où ils seront commercialisés quand ils atteindront 350 grammes (jusqu’à un kilo).

Leur nouveau lieu de vie se situe à une dizaine de mètres du sol. Sous de grandes serres en verre où, dans l’eau, le thermomètre est réglé sur 23 °C toute l’année, les bars sont près de 70 000 à nager contre le courant artificiel des 200 m3 des bassins au fond noir. L’équipe de BIGH les nourrit avec un mélange de 30 % de protéines et de 70 % de fibres végétales bio. En échange du gîte et du couvert qui leur assurent une croissance record, les poissons offrent leur urine. Grâce à un bio-filtre unique, elle est transformée en nitrites puis en nitrates, la nourriture préférée des plants de tomates qui poussent non loin de là sous la cathédrale de verre.

Ici tout est démontable et récupérable. Quand on veut faire de l’agriculture qui donne des leçons à d'autres, on se doit d’être exemplaire.

Agriculture circulaire

En 2011, j’ai fondé le bureau Lateral Thinking Factory (LTF), qui soutient la mise en œuvre de l’économie circulaire dans le secteur immobilier, explique l’Anglo-belge Steven, aux petits airs de BHL. Après quelques années de conseil, j’ai eu envie de passer à l’action. C’est ainsi que celui qui confie faire crever la moindre plante verte se lance en 2015 dans cette agriculture urbaine d’un nouveau style, où rien ne se perd, rien ne se crée et tout se transforme grâce à des filtres, des tuyaux, des inverseurs de chaleur et autres procédés technologiques.

L’économie circulaire est depuis longtemps une obsession chez l’architecte labellisé cradle-to-cradle (éco-conception de A à Z) qui a détaillé les principes de son entreprise sur un grand panneau à l’entrée du toit.

Quand les poissons font pousser les tomates et réciproquement. ©Thomas Louapre

On peut y lire : pas de déchet dans la production agricole, zéro pesticides et antibiotiques, ça tuerait le bio-filtre, les plantes et les poissons, distribution en circuits courts, matériaux recyclables et C2C (pour cradle to cradle), récupération de la chaleur produite par les 1000 m² de chambres froides des bouchers du rez-de-chaussée – on leur donne du froid, ils nous donnent du chaud, résume l’architecte. Le panneau explique également que BIGH capture le CO2 pour assurer la photosynthèse les plantes. 1 m² de cultures de tomates a besoin de ce qu’une personne exhale comme gaz carbonique en un an, explique Steven. Notre production sous serre permet donc de compenser les émanations humaines de CO2 de 2000 personnes. Enfin, ici, on récupère l’eau de pluie qui circule dans un circuit fermé.

Steven a été élu personnalité bruxelloise de l’année, juste derrière la chanteuse Angèle. ©Thomas Louapre

Vers de terre sur les toits

Tout ce dispositif aussi ingénieux que coûteux (2,7 millions d’euros d’investissements) permet sur 2000 m² de serres chauffées de faire pousser de délicieuses tomates rouges et jaunes sur des lianes de 12 à 15 mètres, mais aussi de cultiver des plantes aromatiques, d’élever des bars en recyclant un maximum l’eau et l’énergie, et d’irriguer les jardins potagers en toiture, à l’extérieur.

Sur le toit bordé par un champ de panneaux solaires, les 2000 autres mètres carrés sont consacrés à la culture en pleine terre de légumes et de petits fruits. Malgré les 30 centimètres de substrat, c’est un écosystème extrêmement vivant, s’enthousiasme Steven, il y a plein de vers de terre. C’est aussi un mode de culture particulièrement adapté au changement climatique. En 2018, on a eu quatre mois de sécheresse, les cultures ont bien résisté. Le fond des bacs ressemble à une boîte d’œufs. L’eau descend mais ne s’évapore pas.

La culture potagère en plein air est assurée par des personnes en insertion. ©Thomas Louapre

Cette culture potagère en plein air est assurée par des personnes en insertion. Sur cette parcelle d’un seul tenant, 60 personnes sont venues y travailler ces deux dernières années et reprendre goût en l’existence quand seulement 5 équivalents temps plein se chargent de la partie hydroponique du site. À l’avenir, j’aimerais aussi y associer les migrants, précise Steven. L’architecte devenu agriculteur urbain souhaiterait également passer toute cette partie en permaculture d’ici 2020, récupérer les tiges des tomates pour en faire des emballages, vendre le guano des poissons qui sert d’engrais pour les plantes extérieures – c’est le même prix que l’essence, ça vaut le coup – et, surtout, créer un réseau de fermes urbaines de ce genre partout en Europe. De nouveaux sites en Belgique, dans les Hauts-de-France, à Villeneuve-la-Garenne près de Paris, à Lille ou à Milan sont déjà sur les rangs. Comme quoi, le futur géant BIGH a bien choisi son nom !

4 commentaires

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  1. « Quand on veut faire de l’agriculture qui donne des leçons à d’autres, on se doit d’être exemplaire. »
    Je suis pas tout à faire sur qu’on puisse dire ça quand on fait venir des alvins en avion depuis Israel si ? Etait-ce vraiment la seule option? Avez-vous des retours sur la consommation des systèmes d’élevage utilisés ?
    Beau projet en tous cas, on va dans le bon sens!

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