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Une fleur en or

Tilleul des Baronnies : sauvetage en vert

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière, écrivait Arthur Rimbaud. Dans les Baronnies, les yeux grands ouverts, quelques amoureux du tilleul tentent de relancer la filière moribonde grâce à la participation des habitants. Reportage à Buis-les-Baronnies, ex-capitale mondiale du tilleul.

C’est d’abord un parfum. Pas celui qui chatouille les narines quand une brise se lève. Dans les Baronnies, l’air est totalement imprégné de cette douce fragrance. Tout le temps, partout, la fleur du tilleul enivre.

Au bord des routes, à l’entrée des villages, sur les places ombragées, l’arbre est omniprésent. On le suit à Buis-les-Baronnies, Beauvoisin, Sainte-Jalle, Saint-Auban-sur-Ouvèze, les sens en éveil, le regard embrassant au détour d’une route la beauté de ce paysage sculpté par l’intelligence des hommes : champs de coquelicots bordés de tilleuls centenaires, oliviers, lavande…

Cueillettes au pluriel

Nous voilà sous l’appentis de Jean-Jacques Cornand, responsable du Syndicat des producteurs de tilleul, et de sa femme Letice, dans une magnifique maison de pierre au hameau de la Bâtie, surplombant la commune de Beauvoisin. Des branches de tilleul jonchent le sol. Trois de leurs amis ont fait le voyage depuis Martigues pour leur prêter main forte.

Aujourd’hui, c’est une session d’effeuillage collectif. La “bractée” de forme oblongue sur laquelle se trouvent la fleur et sa languette est saisie, puis c’est un coup à prendre pour ne pas abîmer l’ensemble à l’arrachage. Le tilleul est ensuite déposé dans des saquettes, gros sacs de toile de jute blanc dont le col est maintenu ouvert par un cerceau métallique. Dans l’espace de séchage, la clayette, Jean-Jacques branche le ventilateur. En trois ou quatre jours, le tilleul sera sec et prêt à être consommé.

Pendant 15 jours, 27 volontaires des 4 coins de France viendront ramasser le tilleul des 5 arbres de la maison mais aussi de 7 autres prêtés par des particuliers, se félicite Jean-Jacques qui a lancé cette cueillette solidaire. L’objectif ? Récolter 400 kg de tilleul vert pour obtenir 100 kg de tilleul sec et l’offrir à Scop-ti, cette formidable coopérative qui a réussi à sauver l’usine Unilever pour en faire une entreprise alternative de production de thé et de tisane.

Un ensoleillement très intense, des pluies modérées et des vallées abritées qui protègent du gel ont permis depuis le début du XIXe siècle au Tilia Platyphylos de prospérer dans les Baronnies, un environnement qui lui sied bien.

Chute libre

Il s’en est fallu de peu. Élément central des villages des Baronnies, le tilleul était à deux doigts de perdre sa fonction productive. En quarante ans, la production de tilleul est tombée de 400 tonnes à 10 tonnes par an aujourd’hui. Victime de la concurrence dans les années 1970 de la Chine et des pays de l’Est, les cours ont drastiquement chuté, passant à 9,50 euros le kilo voici vingt ans. Aussi, dans le coin, 70 % des paysans ont préféré laisser tomber la production et se tourner vers la cerise plus rentable.

Cette lente et triste dégringolade s’est soldée par l’annulation de la foire du tilleul en 2005, pourtant une institution depuis deux siècles sur la place de Buis-les-Baronnies, le deuxième samedi de juillet. De mémoire, on n’avait jamais vu ça dans la région-capitale mondiale du tilleul. Plus aucun acheteur à l’horizon.

Comme tout produit du terroir, le tilleul a sa confrérie qui intronise chaque année un chevalier. Et chaque premier samedi de juin, le Bar du tilleul à Bénivay-Ollon, en présence du curé, évalue la maturité des fleurs pour sa cueillette.

Mobilisation générale

En 2013, une lumière apparaît au bout du tunnel de la production de tilleul. Les combattants de la coopérative Scop-ti prennent contact avec le Syndicat des producteurs de tilleul des Baronnies pour créer une gamme de tisane de qualité bio et proposent un nouveau prix d’achat à 18 euros le kilo. Nous avons passé un accord pour un système de certification bio avec Ecocert et nous avons lancé des appels pour relancer la cueillette, par la presse, par voie d’affichage, raconte Jean-Jacques Cornand, responsable du syndicat.

L’idée est alors de convaincre les agriculteurs mais aussi les particuliers possédant des tilleuls dans leur jardin, de cueillir. Bruna Rochas, installée avec son mari aujourd’hui décédé sur la commune de Saint-Auban-sur-Ouvèze, est la première à répondre présente. Il y a cinquante ans, la vingtaine de tilleuls était la principale source de revenus de sa belle famille. Aujourd’hui, Bruna cultive de la lavande, possède des abricotiers qui ont gelé pour la deuxième année consécutive, cultive des pois chiches et joint les deux bouts grâce à ses chambres d’hôte. Le tilleul, elle y tient. Je me souviens de mes enfants dans le couffin au pied de l’arbre. On pique-niquait tous ensemble avec les anciens. Les plus jeunes montaient dans les arbres tandis que le tilleul tombait sur des draps au sol.

Sauvetage collectif

Aujourd’hui, 9 particuliers et 5 agriculteurs fournissent en tilleul la coopérative Scop-ti, explique Jean-Jacques. Depuis 2013, les récoltes augmentent chaque année, sauf en 2017 où il a gelé. Mais le plus difficile aujourd’hui reste de transmettre les savoir-faire, beaucoup ont été oubliés, notamment la taille qui, si on ne fait rien, donne des arbres trop hauts. 

Isabelle Monpezat, l’une des participantes, s’excuse presque d’avoir si mal taillé l’année dernière un de ses deux tilleuls. Cette ancienne Parisienne spécialiste de l’environnement et des risques industriels a troqué son studio pour cette charmante maison de pierre au-dessus du village de Saint-Jalle. J’ai discuté avec un voisin qui m’a parlé d’un passé que je ne connais pas. Quand son fils ne peut cueillir, ce vieux monsieur se sent orphelin. Le tilleul a rythmé sa vie. Isabelle est fière d’avoir pu en collecter 4 kilos qu’elle a fait sécher dans la seconde pièce de son cabanon, à l’étage, c’est-à-dire sa chambre.

Le 24 juillet, tous les ramasseurs de tilleul apporteront leur butin à Senteurs Alpes Provence, une entreprise sur Buis qui collecte et coupe le tilleul avant de mettre en sachets, raconte Jean-Jacques. Scop-ti viendra ensuite le récupérer. Chaque été, c’est la surprise, on ne sait jamais combien de kilos vont être livrés. Le record absolu date de 2016 avec 700 kilos. La cuvée 2018 viendra sans doute le détrôner et prouver que cette terre des Baronnies ne peut renoncer à ses fleurs d’or et ses feuilles en forme de cœur.

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