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Made in Sarthe

L’exceptionnel tofu japonais du Mans

Dans le centre-ville de la capitale des rillettes, des passionnés concoctent un tofu d’exception. La fabrication, artisanale, répond à des règles et gestes bien précis, hérités du savoir-faire d’un maître tofu japonais.

Les graines de soja s'apprêtent à être broyées, puis cuites, première étape de la transformation en tofu. © Thomas Louapre

En plein centre-ville du Mans, à deux pas du tramway, une grille ouvre sur un parking d’immeuble. Sur la droite, une porte sans inscription. Derrière elle, un escalier mène au sous-sol. C’est là qu’est installé un atelier de fabrication artisanale de tofu, Monsieur Suzu. Nous sommes un peu cachés sans le vouloir, mais ça va bientôt changer, puisque nous nous agrandissons et allons déménager, sourit Chisa Ogawa, directrice associée de Corpore Sano, le nom de la société qui produit le tofu Monsieur Suzu. Charlotte sur la tête, blouse nouée au dos, bottes aux pieds et masque sur le visage, elle s’affaire avec deux salariées, Ophélie et Takako. Tôt ce lundi matin, elles produisent un tofu unique en son genre.

La découpe en blocs de tofu demande un geste précis et minutieux. © Thomas Louapre

La recette a en fait commencé la veille, puisque les graines séchées de soja bio (1) ont fait trempette dans une eau filtrée et adoucie toute la nuit. Si elles proviennent aujourd’hui de fermes près de Toulouse, cela n’a pas toujours été le cas. Quand on s’est lancés, en 2015, on ne trouvait pas de soja français assez qualitatif pour notre tofu, donc nous l’importions du Japon. La prochaine étape sera de nous fournir auprès d’agriculteurs locaux du Perche. Nous sommes en train de réaliser des tests avec eux pour sélectionner les meilleures variétés, à la fois adaptées au territoire et à la fabrication du tofu, détaille Chisa, également restauratrice au Mans.

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(1) L’Anses recommande de ne pas dépasser 1 mg d’isoflavones (substances de la famille des phyto-œstrogènes que l’on trouve dans le soja) par kilo de poids corporel par jour. Ces taux d’isoflavones ne sont pas indiqués sur les étiquettes. L’Agence déconseille depuis 2005 la consommation de produits à base de soja aux femmes enceintes et aux moins de 3 ans.
Une petite quantité du lait est mise en bouteille pour des épiceries japonaises. Très épais et onctueux, il ne ressemble en rien au lait de soja que l’on trouve habituellement en grande distribution. © Thomas Louapre

D’un côté le tonyu, de l’autre l’okara

Après broyage, les graines sont cuites à la vapeur pour préserver les protéines du soja. Puis, une machine presse la pâte obtenue pour séparer le liquide – le tonyu ou « lait » – et le solide. Pour mieux extraire le lait, dont l’odeur puissante se répand dans l’atelier, les salariés tamisent manuellement l’écume à la spatule. La partie solide, l’okara, est pour le moment vendue à quelques épiceries japonaises. Nous cherchons une façon de le valoriser : c’est un produit très intéressant, riche en fibres, qui peut remplacer une partie de la farine dans certaines recettes, indique Chisa, qui l’utilise elle-même dans les plats de son restaurant.

Une étape qu’il ne faut pas rater : l’incorporation du nigari, en juste quantité et au bon moment. © Thomas Louapre

Ensuite, la température du jus de soja est précisément contrôlée, avant que ne soit intégré le nigari, un coagulant naturel, équivalent de la présure dans la fabrication du fromage. Si la qualité des graines est très importante, le process, c’est-à-dire la cuisson, la coagulation, le moulage, la découpe notamment, le sont aussi pour un bon tofu. Car l’ambition de cette Japonaise d’origine arrivée en France à la fin des années 1980 est de proposer aux consommateurs un produit d’exception.

Je suis tombée dans le tofu par hasard. L’un des clients de mon restaurant, fin gastronome, avait lu dans une revue qu’Akira Suzuki, maître tofu installé en France et reconnu comme faisant l’un des meilleurs tofus, allait céder son affaire. Nous l’avons contacté et mon associé d’alors, Masatoshi Takayanagi, s’est formé auprès de lui pendant de longs mois. Il m’a transmis ensuite ce savoir-faire et ses petits secrets, puis nous avons rationalisé le processus pour augmenter la production, allonger les dates de limite de consommation…, souligne Chisa.

© Thomas Louapre

Tofu tendre ou tofu ferme ?

Le caillé obtenu après coagulation est prélevé à la louche, puis placé dans de larges moules recouverts d’un tissu en coton. Lissé à l’aide d’une spatule, il sera ensuite recouvert d’une natte. Chisa est ses employés, à la force des bras, superposent alors les moules : c’est l’étape du pressage, destiné à extraire l’excédent d’eau. Difficile de dire combien de temps dure cette opération, c’est l’expérience qui parle, en fonction des étapes précédentes, et à l’œil aussi. Nous proposons principalement du tofu tendre pour lequel le pressage est plus rapide (différent du tofu soyeux que l’on trouve dans le commerce et qui lui n’est pas pressé, NDLR), et un peu de tofu ferme, avec un temps de pressage plus long, explique Chisa. Après, le tofu est soigneusement découpé en blocs, eux-mêmes plongés dans de l’eau pour poursuivre le processus de refroidissement.

Les blocs de tofu patientent avant d’être pêchés et mis en barquettes, tandis que Chisa s’occupe de lisser une nouvelle fournée avant pressage. © Thomas Louapre

Pour finir, les blocs sont mis en barquettes avec un peu d’eau pour leur conservation, mais ne subissent pas de traitement thermique (qui sert en temps normal à allonger la durée de vie, quitte à perdre en intensité aromatique). Ce tofu se retrouvera dans des épiceries fines spécialisées, mais aussi sur les tables de chefs étoilés (tel Julien Lemarié, du restaurant IMA, à Rennes), ou encore chez des particuliers, qui s’approvisionnent via le site internet ou en passant commande au restaurant de Chisa. Le déménagement nous permettra de nous agrandir et donc de vendre plus largement. Nous discutons en ce moment avec des enseignes bio principalement, précise Chisa, qui a dû refuser l’an passé une proposition de Qatar Airways, qui souhaitait lui commander… 72 tonnes de tofu par an – contre 1,5 tonne produite actuellement !

© Thomas Louapre

Il faut aussi que les consommateurs goûtent notre produit pour dépasser les préjugés : non, le tofu n’est pas réservé uniquement aux végétariens et peut permettre de diversifier vos repas. Et surtout, non, il n’est pas insipide. En effet, ce tofu-là est tout sauf fade : étonnement puissant en bouche, légèrement sucré, avec une touche de noisette. Goûtez-le ainsi, à l’apéritif, simplement tranché, arrosé d’un filet d’une très bonne huile d’olive ou de noix et de quelques éclats de fleur de sel.

Le tofu tendre se conserve au frais 14 jours, le tofu ferme 25 jours. Si vous ne mangez pas tout le bloc d’un coup, laissez-le au frais dans un peu d’eau pour qu’il garde la même texture, ou sans trempage, pour qu’il se raffermisse. © Thomas Louapre

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La salade de tofu au sésame et herbes fraîches de Chisa

Pour 2 personnes :
1 barquette de Monsieur Suzu tendre
1 c. à c. de graines de sésame
1 c. à c. d’huile de sésame
1 c. à c. de ciboulette ciselée
1 c. à c. de cerfeuil ciselé

La sauce :
5 cl de sauce soja
10 g de mayonnaise maison
1 c. à c. de vinaigre de riz
15 cl d’eau

Égouttez le tofu 30 minutes dans le réfrigérateur, puis coupez-le en dés. Mélangez tous les ingrédients de la sauce. Ajoutez les dés de tofu, les herbes et servez.

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