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Agriculture poétique

La ferme de Bacotte, tout un poème

Dans le voisinage, on l’appelle le poète. Alors ça lui est resté. Clément Baillet est un libre éleveur. Un chevrier qui, à Saint-Sever, tout près de Mont-de-Marsan, a non seulement relancé la race des chèvres pyrénéennes mais aussi inventé un nouveau concept, l’agriculture poétique.

La ferme de Bacotte, c’est : un troupeau de 70 chèvres des Pyrénées pour la production de lait et de chevreaux, des porcs gascons nés et élevés en forêt pendant quinze mois, des oies de Toulouse nées, élevées et gavées à la ferme. ©Olivier Cochard

Dans sa ferme de Bacotte, au beau milieu des plaines de maïs irrigué, Clément, bonnet de laine piqué de paille vissé sur la tête, est en pleine traite. Le fromage qu’il produit grâce au lait de ses chèvres pyrénéennes n’est cantonné qu’à un seul label, le sien : AP, abréviation d’Agriculture Poétique. Sans se détourner de son travail, il se lance dans le récit de sa vie à la manière de monsieur Seguin.

Tout commence il y a dix ans. Ce fils et petit-fils de métayer arrive ici avec huit biquettes pour débroussailler un petit lopin de terre familial et y faire pousser son rêve : devenir chevrier et vivre d’une production fromagère exemplaire. Le projet était un peu fou, 100 % autofinancé, 100 % plein air, et 100 % autonome, confesse le presque trentenaire.

La traite est terminée. Clément trie ses bêtes. Avec un troupeau de près d’une centaine de têtes, ça se bouscule un peu au portillon. Mais le jeune homme à l’habitude d’orchestrer les opérations, appelant chacune par son prénom : Sheila, Jupiter… Certaines ont mis bas il y a quelques jours seulement, les chevrettes sont encore sous la mère, ce qui rend les petites un peu plus sauvages que celles qui sont passées au biberon. Et le passionné de poursuivre son épopée.

Le fait de respecter la saisonnalité (les chèvres ne produisent du lait que de mars à décembre) permet à Clément de s'absenter de temps en temps, relayé par Marie, et même de voyager et d'aller humer l'air du temps dans d'autres contrées : Cuba, le Chili, les Caraïbes... notre poète n'est pas en reste côté transhumance ! ©Olivier Cochard

De plumes et de poils

Seulement quelques mois après son arrivée sur ses terres familiales donc, Clément invite un groupuscule de porcs gascons et d’oies de Toulouse à grossir le rang de ses huit chèvres pyrénéennes, une race de sauvegarde délaissée au profit de l’alpine et de la saanen (plus productive et plus encline à rester confinée). Si les pyrénéennes présentent une lactation modeste, ce qui peut représenter un handicap pour la rentabilité d’un atelier, c’est sans compter sur leur résistance, leur rusticité et la richesse de leur lait, qui donne un fromage à l’incroyable goût de terroir, s’enthousiasme Clément. Aussi, dès la première année, grâce à son élevage de plumes et de poils, l’éleveur produit de beaux fromages, des terrines de porc gascon et des foies gras exceptionnels, et connaît ses premiers clients réguliers.

Marie, douce Marie. ©Olivier Cochard

Nous sommes désormais en 2010. Valentin, le petit frère de Clément, et Marie, une amie, rejoignent l’aventure. Ensemble, ils lancent une campagne de financement participatif pour créer la fromagerie et dessiner les contours de la ferme Bacotte. Elle ne se fera pas de n’importe quelle façon, certainement pas selon n’importe quelle condition, ni à n’importe quel prix. Bon sens et respect seront les maîtres-mots du projet.  L’aventureux trio réussit à collecter les 8500 € nécessaires pour remettre aux normes le local, y adosser un sas sanitaire et investir dans du matériel qui fait encore défaut.

Barbe, barbichette, mèches, frange... chez les pyrénéennes, longueur de poils et robes multicolores, c'est toute une histoire. ©Olivier Cochard

Échange de bons procédés

Pour nourrir leurs bêtes qui apprécient particulièrement les espèces végétales forestières et la flore des prairies, Valentin, Clément et Marie concluent un pacte avec le conseil général et la Mairie. Par tous les temps et en toute saison, le troupeau du trio sillonnera les routes du village afin de pâturer diverses variétés fourragères, pendant que les parcelles de l’exploitation s’octroieront un peu de répit. Exit le roto-fils et son bruit assourdissant, le cheptel de petits ruminants se charge désormais d’entretenir tout le paysage avoisinant.

De la poésie, quand on y regarde bien, il y en a dans chaque décision de la ferme Bacotte. C’est pourquoi, face à ce qu’il nomme la sordide dérive productiviste, le trépidant Clément a d’emblée souhaité se positionner sur un créneau alternatif et se libérer des standards de labellisation quels qu’ils soient. Ainsi, il imagine en 2014 son fameux label en deux lettres, AP. Il s’agit là d’une sorte de cahier des charges favorisant les races anciennes, respectant les ressources de l’environnement, les modes de production naturels, la transformation in situ et la diffusion à l’échelle locale.

Pour moi, la qualité d’un fromage dépend de la relation entre l’éleveur, son troupeau et le biotope. Est-ce qu’un fromage bio élaboré à partir du lait de chèvres cloisonnées entre néons et béton a de l’intérêt ? Je ne crois pas.

Devant l’engouement de nombre de producteurs pour la marque déposée et le désir de beaucoup d’adhérer à un réseau du même nom, Clément a dû formaliser un peu la chose, avec une charte entre autres. Aujourd’hui, six fermes se revendiquent de l’appellation AP.

Des gars comme Clément, ça ne court pas les rues, ni la campagne d'ailleurs... ©Olivier Cochard

Depuis dix ans, à Saint-Sever, sur 7 hectares, la ferme de Bacotte défend une agriculture raisonnable pour une consommation raisonnée, conclut le chevrier-poète. En d’autres temps, on aurait pu écrire :

Sur la crème du lait encore tiède
Sur le dos de races anciennes à jamais rajeunies
Sur l’herbe des prairies réconfortantes
Sur la paume du bon sens paysan
Sur la voie lactée à toujours arpenter
J’écris ton nom
Liberté

©Olivier Cochard

29 commentaires

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  1. Bravo. Je suis contente d entendre le mot paysan. Le paysan c’est le docteur de la terre, laissez lui gérer ses terres tranquillement. Il n à pas besoin des technocrates pour lui imposer des mauvaises pratiques. Nous n avons pas besoin de surabondance la qualité., de bons produits suffisent. Bravo Clément Baillet j espère que le bon sens paysan retrouvera son chemin. Merci

  2. Très bel article et belle aventure, c’est encourageant et inspirant pour les jeunes générations. Je souhaite à Clément et son équipe à plumes et à poils une longue et belle route ! ?

  3. Je félicite ces éleveurs de leur méthode d’élevage , du courage à affronter l’autre société avec la volonté de démontrer que même dans un autre système on peut vivre surtout en respectant les races anciennes et la nature .

  4. Bonsoir et suis allee chercher ce soir la ruche d’Ares en gironde mon Lou cachât de crabe! Pour essayer. Résultat : on a presque fini le pot avec des champignons de Paris crus un délice. nous allons à Dax puis à souprosse vendredi saint séver n’est pas loin. On tape sur internet Et oh surprise ! On voit que vous faites des oies! Moi qui cherche du foie d’oie c’est une aubaine! Jusqu’à présent j’allais à Toulouzette mais la productrice a arrêté en décembre.
    D’où ma question
    Faites vous toujours des oies? Peut-on passer vendredi dans la soirée ?
    Merci de votre réponse.

  5. Bravo bravo, fuyons la grosse artillerie des élevages intensifs et encourageons ce type d’initiative. Et en plus, qu’est-ce que vous devez y gagner en confort de vie…Je vous envie !!!

  6. J’ai élevé quelques chèvres (et fait du fromage) ; j’écris (dont de la poésie) depuis toujours.
    J’aurais rêvé de pouvoir faire ce que fait Clément !
    Gaver des oies ou tuer pour les manger des animaux n’est pas forcément synonyme de cruauté, et s’il y a respect et amour (oh le gros mot…) des bêtes, alors je suis pour.
    Elevage respectueux, en utilisant les produits locaux, distribution locale aussi, donc en connaissant -forcément- les GENS autour… mais que demande-t-on, à la fin ?
    Faisons la nique à tous ces industriels qui s’appellent éleveurs ! De cette façon artisanale et poétique, je dis oui sans hésiter. Ah mais !
    PS : il n’y en aurait pas par ici, des AP ? Dans l’Hérault… c’est quand même un peu loin, chez Clément…

    1. Le mot ‘tuer’ accolé à celui de ‘respect’ et ‘amour’, vous m’excuserez mais je trouve que nous sommes ici en pleine dissonance cognitive. Pour moi ces mots ne vont vraiment pas très bien ensemble contrairement à Michelle ma belle…

  7. Bonjour ,
    j’aime beaucoup le poème de la fin mais qui l a écrit ? l éleveur de votre article?
    Merci pour votre réponse
    une ouvrière agricole passionnée

    1. De la poésie oui mais est il décent d’oser en parler lorsqu’on gave des oies et qu ‘ on assimile un cochon à  » de la viande  » en le tuant . Inutile de répondre c ‘ est juste une piste vers une ouverture du coeur….on peut rêver non ? L ‘ animal est une personne… : un chouette bouquin si jamais…

  8. C’est magnifique ce label « AP » mais il y a juste une petite incohérence à mon sens : elle est passée où la poésie quand on parle de gavage des oies ?

  9. c’est génial,
    je vais régulièrement à Saint Sever, et j’aimerais beaucoup acheter des fromages,
    Merci de m’indiquer sur quels marchés ou à quel endroit on peut, le samedi matin, acheter leurs productions.
    Bonne journée

    1. Bonjour, vous pouvez trouver les fromages de la ferme de Bacotte sur le marché de Saint Sever, le samedi matin, ou au magasin, l’atout fermier, situé dans la zone artisanale Escalès.

  10. BRAVO continue tu es un exemple pour nous tous
    qui avons oublié le bons sens des choses. Bravo bravo…

  11. Bonjour,
    Quel bonheur de vous lire et de découvrir cette histoire si simple en apparence mais si riche
    Si je passe dans le coin ce serait un bonheur de venir faire un petit coup à cet éleveur poète et à ces bêtes
    Bonne continuation
    Veronique

  12. Bravo au landais !
    Poursuis ta route, elle fait rêver et nous aide à supporter les côtés négatifs de notre société.

  13. Bravo, si vous avez besoin d aide,contacter moi.
    Je suis autodidactes comme vous est depuis 35ans..
    A bientôt..

  14. Nature et poésie adoucissent les mœurs et rendent les cœurs plus tendres.Alors tout plein d’encouragements pour votre belle aventure qui s’avère viable et reproductible.
    J’ai partagé et je suis perçadée que les Français sont pleins d’initiative autour de l’agriculture autrement , c’est positif, pas simple mais très encourageant !

  15. Wow….
    Bravo…
    Très émue à la lecture de cet article…
    C’est ainsi que doit se penser l’élevage aujourd’hui…
    Merci…
    Votre parcours va inspirer d’autres défenseurs du vrai, de l’authentique.
    C’est une merveilleuse façon de respecter soi et l’environnement…
    Bravo à vous… Bonne continuation…

    1. Je ne doute pas un instant que ce poétique agriculteur gave avec amour- et bien entendu avec poésie – ses oies , qui se réjouissent d’une telle abondance non sollicitée, ce qui ne fait que favoriser la qualité gustative du produit fini, le dit foie gras.
      Pour la défense du vrai: un authentique enfumage.
      On touche du doigt le dilemme de l’agriculteur qui aime ses animaux.

  16. 9a donne envie de déménager et de s’installer pas loin pour pouvoir profiter des bonnes ondes et aussi de déguster de bons produits faits avec amour..; Ca change du supermarché et de la « dérive productiviste » comme le dit Clément ! Bon courage à vous tous et continuez dans cette voie, elle est juste et vraie.

  17. Voilà une belle tranche ..de vie avec un arc en ciel de Liberté.
    BVoilpierrà BAle salut, voilà l’exempleb à suivre, ils y en a d’autres comme ce trios, qui font la pige à la Fnsea et tout ses adhérents qui eux sèment poisons et malmènent les animaux.
    Ils sont loin de toute poésie …

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