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Albi : ville-modèle

L’autosuffisance alimentaire : une question d’Albitude

Produire, vendre et consommer local : c’est à un ambitieux défi que s’attaque la ville d’Albi, officiellement lancée sur le chemin de l’autosuffisance alimentaire. Histoire et mode d’emploi d’une révolution verte en marche.

« Tout a commencé ici. » Devant les jardins de l’université Champollion d’Albi, Henri Bureau, revient sur la genèse d’une annonce très médiatisée : l’engagement officiel de la ville, le 31 janvier 2015, de parvenir à l’autosuffisance alimentaire d’ici 2020. Une première en France, pour une commune de près de 52 000 habitants. Trois ans plus tôt, ce jeune retraité évoluant dans la mouvance Colibri de Pierre Rabhi rencontrait au foyer des étudiants les membres d’Albi en transition. Ensemble, ils décidaient de lancer une version locale des Incroyables Comestibles, ce mouvement né en Angleterre et prônant le développement de potagers en libre-service.

Au cœur du quartier historique d’Albi, le jardin du superbe cloître Saint-Salvi, géré par la municipalité, offre ses tomates, pastèques ou piments aux yeux et aux mains des visiteurs.

Système D et resto U

Le directeur de l’université leur céda quatre platebandes de 1 000 m2, à charge pour eux de les valoriser. Aujourd’hui, artichauts, choux chinois, menthe et haricots cohabitent fièrement dans le jardin Mandala, le restaurant universitaire pioche à loisir dans celui des aromates et les étudiants attrapent au passage les framboises de l’espace fruits rouges. Mais renouveler l’expérience au-dehors de l’université de s’annonçait pas facile : Albi est classée au patrimoine mondial de l’Unesco et tient farouchement aux quatre fleurs de son label. Alors remplacer les tulipes par des salades…

Ancienne zone maraîchère tombée en désuétude, Canavières retrouve sa fonction d’autrefois : 73 ha ont été déclarés zone d’aménagement différé (ZAD) et préemptés par la mairie pour y installer de nouveaux maraîchers. Photo F. Guibilato - Ville Albi

C’est là qu’entre en scène le deuxième personnage clé de l’histoire. Conseiller municipal, Jean-Michel Bouat voit les files des Restos du cœur s’allonger d’année en année, l’herbe des espaces publics pousser sans servir à quiconque et l’insécurité posée par un trop faible stock de nourriture dans la cité épiscopale. Quand Henri Bureau le contacte pour évoquer son projet de développer les jardins partagés, la proposition fait mouche. En avril 2014, à la nouvelle maire fraîchement élue Stéphanie Guiraud-Chaumeil, qui lui propose le poste d’adjoint au développement durable, Jean-Michel Bouat pose un prérequis : une délégation dédiée à l’agriculture urbaine. De quoi donner force et cohérence à cette idée « rétro-innovante » de consommer local. La maire suit, le défi est lancé.

Le challenge ? Faire en sorte que l’ensemble des Albigeois puisse se nourrir dans un rayon de 60 kilomètres.

Nourriture à partager

Concrètement, il s’agit dès lors d’œuvrer pour que l’ensemble des Albigeois puisse s’approvisionner en ressources alimentaires dans un rayon de 60 kilomètres. Et l’ambitieux programme s’articule autour de plusieurs axes. La collaboration avec les associations locales tout d’abord, essentielle pour interpeller les habitants et éveiller leur conscience. Sur les douze jardins partagés de la commune (vingt-quatre sont prévus à terme), une partie est placée sous la responsabilité directe de référents associatifs, une autre dépend des services de la ville, la troisième relevant d’une gestion mixte. Aménagés dans différents quartiers, ces potagers offrent l’occasion de découvrir le véritable goût d’une fraise, de connaître le calendrier des saisons agricoles et de changer les représentations d’un système où tout est marchandisé.

 

Adjoint au maire en charge du développement durable, de l’agriculture urbaine, de l’eau et de la biodiversité, Jean-Michel Bouat a dû batailler pour prouver que le projet n’était pas celui de « dangereux hippies marginaux ». Photo F. Guibilato - Ville Albi

Les panneaux « Nourriture à partager » invitent chacun à se servir et un système d’étiquetage indique aux novices si le produit est consommable. Mais les habitudes sont tenaces. « Au début, on observait deux types de réaction, à l’extrémité l’un de l’autre, raconte Henri Bureau : certains pratiquaient la cueillette sauvage et arrachaient les pieds des produits cultivés ; les autres ne comprenaient pas qu’ils pouvaient se servir ou n’osaient pas le faire. »

Pas plus dangereux mais farouchement optimistes, l’équipe des Incroyables Comestibles d’Albi, ici devant la « spirale d’aromatiques » de l’université Champollion, continue de verdir la ville rouge.

Le principe a depuis fait son chemin, mais la pédagogie ne suffit évidemment pas. « Les Incroyables Comestibles sont les agitateurs qui ont amené la collectivité à se poser des questions, continue le retraité, aujourd’hui membre de la coordination nationale du mouvement. Après, ce sont des pros qui s’en occuperont. Ce n’est pas nous qui permettrons l’autosuffisance alimentaire avec nos quelques pieds de tomates… »

Ceinture maraîchère

Comment y parvenir, alors ? Grâce, espère Jean-Michel Bouat, aux 73 hectares de terrain en friche que la mairie a préemptés dans la zone de Canavières pour les louer à de nouveaux maraîchers. La proposition est séduisante : un bail précaire gratuit de deux ans, le temps de tester l’exploitation, puis un bail agricole classique de 80 € l’hectare par an. Environ 10 hectares ont d’ores et déjà pu être achetés et cinq producteurs se sont vu confier une parcelle.

 

73 hectares sont réservés aux nouveaux maraîchers.

Si l’adjoint au maire est souvent passé pour un « hurluberlu » auprès de ses interlocuteurs, il n’entend pas jouer les utopistes et ne sélectionne que des candidats formés, motivés et acquis au projet global de la ville. Comme Jean Gabriel, installé depuis juillet dernier après avoir œuvré dans une entreprise de paysagiste. « L’endroit est intéressant, les terres sont bonnes pour le maraîchage, il y a des arbres : je vais pouvoir faire de l’agroforesterie sans travail de sol. Il n’y a pas plus naturel. » Regroupés au sein de l’association Jardin Oasis d’Albi, Jean et les autres maraîchers de Canavières s’engagent à produire bio, à privilégier la permaculture et à vendre leur production dans un rayon de 20 kilomètres.

A Canavières, les premiers terrains achetés par la mairie sont désormais piqués de nombreux fruits et légumes bios destinés aux Albigeois.

Pour l’heure, les récoltes sont encore modestes, mais les initiatives ne manquent pas : convention avec le lycée agricole pour transformer une parcelle de cultures céréalières en cultures maraîchères (pois chiches et lentilles), discussion avec deux supermarchés pour imposer le local dans la grande distribution, collaboration avec les cantines et les restaurateurs… Et développement de la « green route » reliant les différentes stations vertes, histoire d’inciter touristes et promeneurs à exporter le concept. Il fait d’ailleurs déjà des émules. Ainsi Rennes, qui planchait sur un concept similaire, a elle aussi affirmé, en juin dernier, son engagement vers l’autosuffisance alimentaire. Mais le défi est de taille.

Alors l’objectif 2020 d’Albi, utopique ?

« J’ai donné cette échéance parce que c’est la fin de mon mandat, explique Jean-Michel Bouat. Mais c’est symbolique. On espère que la dynamique continuera… » L’adjoint est confiant : après des débuts difficiles et un accueil perplexe, les chambres d’agriculture ont finalement exprimé leur intérêt et les crises agricoles successives plaident en faveur du projet. « On commence à écouter ce qu’on dit, le monde agricole conventionnel a compris que l’avenir passait aussi par ce type de moyens. » Et la liste de maraîchers en attente de parcelle augure d’un joli développement. La ville rouge promet une bien inspirante révolution verte.

6 commentaires

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  1. Bonjour,
    A l’orée de la date d’échéance ( 2020 ) symbolique du maire d’Albi, il serait sympa de faire un article sur l’évolution du projet ainsi qu’un petit bilan sur les objectifs atteins ou non de cette belle aventure. Je suis curieuse et impatiente de lire un article sur les péripéties de cette belle initiative.

  2. Article très intéressant et très clair. Des projets ambitieux qui réussissent, comme celui d’Albi donnent de l’espoir et du courage à tous celles et ceux qui entreprennent pour une autosuffisance alimentaire locale. Merci!

  3. Bonjour
    L’idée est très bonne et c’est super que l’initiative soit suivie et voit le jour! J’en suis ravie, en tant qu’ albigeoise . Par contre j’aimerai vous faire pzrtager un point important qui est l’incohérence de cette idée avec les autres projets de la ville. Des terres agricoles encore utilisées il n’y a pas si longtemps on été annexées par la mairie pour y construire un magasin Leroy Merlin … Il faudrait peut être déjà laisser les terres aux agriculteurs avant d’en proposer d’autre, surtout quand il s’agit de les remplacer par un magasin qui n’est pas forcément utile aux albigeois (le nombre de magasins de bricolage de ce style est déjà largement suffisant !) .

    1. Tout a fait d’accord et aussi il serait temps de cesser de bétonner les terres agricoles pour y construire des complexes de loisirs vs centre commercial de luxe comme le projet Auchan du triangle de Gonesse alors que les jeunes agriculteurs ne peuvent pas s’installer faute de terres à des prix abordables. Je soutiens à fond le mouvement des IC
      mais je ne suis pas sûre que cela suffise à assurer l’autonomie alimentaire….

    2. Laurine a raison ! Où se trouve la cohérence lorsque l’on prend la décision de classer en zone AuA1 20 hectares de bonnes terres cultivées à la Renaudié pour laisser place à une zone commerciale.
      Pourquoi ne pas utiliser les friches industrielles ou commerciales disponibles sur le territoire de l’agglomération ?
      Les terrains libérés à Pélissier par la centrale thermique pourraient aisément accueillir des commerces en tout genre.
      Mais Attention ! à trop créer de zones commerciales on accélère la désertification du centre ville ! Alors un peu de cohérence ne peut pas nuire !

  4. Bonjour,
    Un exemple à suivre, bien sûr, dans toutes les communes de France (et d’ailleurs!). Je pense notamment, même si c’est plus difficile dans une très grande ville, à Paris: la disparition des pesticides, la biodiversité partout, les nombreux espaces verts bienvenus mais inutilisés, tout est prêt pour une belle tentative!
    Cordialement

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