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Maltriarcat

Dans le verre d’Anaïs Lecoq

La journaliste Anaïs Lecoq interroge la place des femmes au sein du milieu brassicole dans son essai Maltriarcat. Dans son verre, des bières à manger au goût de pâtisseries, sans la pression de boire de la bière de fille.

© Mathilde Giron

Pourquoi aimez-vous la bière plus qu’une autre boisson ?

Pour la créativité qu’elle permet. Les brasseries peuvent à peu près tout tester en jouant avec différents malts et houblons, en ajoutant des fruits ou des herbes. Dans dix ans, je goûterai peut-être une bière que je n’aurai jamais bue auparavant. C’est cette liberté-là qui me plaît.

Comment y êtes-vous venue ?

Mon premier souvenir de bière remonte à l’enfance, en tant que spectatrice. Il s’agit d’une image de mon oncle allemand au carnaval de la Fête de la Bière, son sac à dos plein de bouteilles pour l’après-midi. Une connotation festive, donc. Adulte, j’inscris à un atelier de dégustation mon compagnon amateur de bière belge — je suis Champenoise et nous vivons dans le nord-est de la France. Je l’accompagne en le prévenant qu’il finira certainement mes verres. La bière, ce n’était pas mon truc. Pour moi, elle se résumait aux Heineken à la fête du village avec mon grand frère, ou aux bières triples, alcooleuses, très maltées et sucrées, un style que je n’apprécie pas. Sauf que ce jour-là, j’ai découvert des palettes aromatiques que je ne soupçonnais pas. Les bières pouvaient être acides, fruitées, noires… Et moi j’ai fini la soirée en aimant la bière.

Quel type de bière préférez-vous boire désormais ?

Les bières acides type lambique et gueuze. Leur acidité vient de la fermentation spontanée (c’est-à-dire que ce n’est pas un ajout de levures qui lance la fermentation, mais seulement l’activité naturelle de micro-organismes présents dans la brasserie, stimulée par la température, NDLR). Elles peuvent macérer avec des fruits frais, comme la cerise pour la kriek. Je bois aussi des gose et des berliner, des bières acides issues d’une fermentation lactique (comme celle du yaourt, NDLR). À force de goûter, j’ai développé mon palais et j’ai aussi appris à aimer l’amertume quand elle est légère. Par exemple dans une New England IPA, au houblon fruité, ou une kölsch, un style allemand de bière rafraîchissante.

Est-ce que vous prenez parfois vos distances avec les bières fruitées ou légères, attribuées de manière stéréotypée aux femmes, par peur de perdre en crédibilité en tant que professionnelle ?

J’ai désormais confiance en mes goûts et je commande ce qu’il me plaît. Mais il est vrai que c’est un réflexe que j’ai eu. Beaucoup considèrent que la bière fruitée n’est pas une vraie bière, mais une bière de gonzesse. Par peur d’alimenter cette idée reçue, je me forçais parfois à commander une IPA après deux bières fruitées face à des personnes du milieu.

Avez-vous trouvé votre place dans le milieu brassicole ?

Je pense l’avoir trouvée en ne faisant pas de concessions sur mes valeurs féministes. Par exemple, je refuse l’invitation d’un festival qui convie des brasseries accusées de mauvais traitements envers les femmes. Je ne viens pas assurer la caution féministe de l’événement. D’être ainsi cataloguée me permet d’attirer professionnellement des gens qui partagent mes convictions, des femmes qui ne veulent plus être prises pour des idiotes et qui en ont marre du boys club. Si les organisations qui leur sont favorables sont encore marginales, en France, on peut quand même citer les Buveuses de bière qui se donnent rendez-vous dans un bar pour boire à plusieurs et parler de leurs goûts. La branche française de l’association américaine des Pink boots planche sur la professionnalisation des brasseuses, peu nombreuses dans le milieu, en levant des fonds pour financer des formations.

© Mathilde Giron

Quelles bières brassées par des femmes — à la visibilité limitée et peu invitées dans les festivals spécialisés comme vous le précisez dans votre livre — aimez-vous boire ?

Il faut souvent aller les voir directement car les volumes sont minimes donc il y a peu voire pas d’intermédiaires. Je pense à la microbrasserie Béglaise, tenue par une brasseuse artiste qui fait notamment une bière de blé avec du sel marin, super désaltérante. J’ai deux autres de ses cuvées dans le placard que je n’ai pas encore goûtées. La brasserie Blüeme, en Alsace, brasse elle avec des plantes : cuvée au matcha ou gose à la menthe. Il y en a plein d’autres, mais j’insiste, ce sont de petites structures et il faut aller à leur rencontre. Un prétexte tout trouvé pour un road-trip estival ?

Qu’est-ce qui vous contrarie le plus quand il s’agit de bière ?

L’uniformisation de la demande. Mon conjoint est devenu brasseur et il propose plusieurs bières, notamment une kölsch, un style ancien et très traditionnel en Allemagne. Lui y ajoute du houblon néozélandais qui donne des airs de sauvignon blanc. Malgré des propositions créatives comme celle-là, on lui demande éternellement des New England IPA, des bières hyper chargées en houblons américains, au côté fruits tropicaux. C’est très bon, mais laissons-nous la possibilité de découvrir d’autres choses !

Quand et avec qui buvez-vous le plus souvent ?

Je ne suis pas une grosse buveuse en quantité, je n’aime pas être ivre et je ne le suis jamais. Je déguste à la maison, en famille, dans des sessions à l’aveugle ou en tentant des accords à table.

Une bière en particulier qui vous a marquée ?

Ma première bière coup de cœur, la Velvet de chez Hoppy Road, ma brasserie préférée. C’est une bière acide vanillée à laquelle est rajouté du lactose qui donne un côté onctueux, épais, comme un gâteau liquide. Ces pastries sour, un type de bière assez récent, donnent l’impression de manger en buvant. Hyper gourmand, acide, fruité. Tout ce que j’aime dans une bouteille.

Quelle place accordez-vous à la bière artisanale ?

C’est important pour moi de savoir qui a fabriqué la bière que je bois, donc je ne consomme que ça. En ce moment, étant donné le contexte politique et climatique, tous les prix augmentent violemment, du malt aux fruits, en passant par les bouteilles et palettes. Il est dur pour les brasseries artisanales de continuer à proposer des bières peu chères, ce qui est dommage pour une boisson si sociale. Je trouve ça cool de les soutenir si on peut le faire.

Un plaisir coupable ?

Toujours des pastries sour, de la série Pie de la brasserie Brewski. Dans celles-ci, plein d’arômes sont ajoutés, ce que j’ai tendance à éviter au profit de vrais fruits. Mais elles restent bien faites pour autant et je craque face à tant d’indécence !

La dernière bouteille bue ?

Véridique, hier à l’apéro, une bière de blé à la framboise que mon copain a faite. La brasserie s’appelle Wild Badgers et la bière Ida. Il la brassait déjà quand il était amateur, et j’ai insisté pour qu’il la propose de manière permanente dans sa gamme. C’est celle qu’il vend le plus désormais.

Qu’est-ce que vous aimez boire en dehors de la bière ?

Je suis une grande amatrice de bubble tea. Je les commande surtout au lait, saveur taro — une variété de tubercule violet proche de la patate douce —, avec un peu de sucre brun qui caramélise les perles de tapioca. Hyper gourmand, presque trop. C’est simple, quand j’arrive dans une ville, je cherche systématiquement les adresses à bubble tea et les bars à bières.

Pour approfondir

Références

La bière est la boisson alcoolisée la plus consommée au monde. Mais savez-vous combien de centilitres de sexisme il y a dans un demi ? Combien de décilitres de patriarcat dans une pinte ? Après avoir été historiquement évincées de la profession, les brasseuses sont enfin de retour ; tout comme les consommatrices, qui sont de plus en plus nombreuses à s’y connaître en lambics, stouts, IPA et autres dark lagers.

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