Il coule des jours heureux sur son fleuve. Pêcheur touche-à-tout, impliqué de la barque à l’assiette, Romain Gadais des Pêcheries ligériennes a trouvé un modèle économique insubmersible.
On aperçoit, au-delà des arbres qui surplombent le fleuve, les coquettes tourelles d’un petit château. Et de chaque côté de la barque qui remonte le courant, le gigantesque lit de la Loire, parsemé de petites îles. En s’approchant de la rive, Romain Gadais coupe le moteur et fait signe à son apprenti de relever un discret filet, tendu sous la surface entre un arbre et une petite bouée. La récolte n’est pas mauvaise : trois beaux poissons, dont un mulet, qui remonte de la mer pour se nourrir. Et ça, c’est un aspe, c’est beau, hein ? On dirait un saumon, c’est aussi un carnassier. Il va en rillettes. Romain aussi est remonté de la mer, où il a pêché un temps, pour s’établir marin d’eau douce en Touraine, en 2014. À 29 ans, il est le plus jeune des 30 pêcheurs professionnels de Loire, et pas le moins dégourdi.
Un long fleuve pas tranquille
Ce que je ne voulais pas faire, c’est pêcher en gros et ne pas maîriser le reste, devoir pêcher, pêcher, pêcher, pour faire de l’argent, explique Romain, titulaire d’un diplôme d’ingénieur en écologie du milieu aquatique. Aujourd’hui, c’est moi qui fais le prix et je sais où part mon poisson. Le modèle est simple : pêcher, transformer et vendre.
Les 34 kilomètres de Loire loués au domaine public fluvial suffisent à faire tourner son affaire. Je n’ai aucun rejet, tout ce que j’attrape se mange, assure Romain. Il y a une quarantaine d’espèces en Loire et on en exploite trente. Avec la transformation, on valorise les espèces communes aussi bien que celles plus réputées comme le brochet. Ce dernier n’est d’ailleurs que rarement au menu, les filets étant dimensionnés pour l’éviter et le laisser aux pêcheurs du dimanche. Cela s’appelle trier sur le fond plutôt que sur le pont.
Encore faut-il dompter le fleuve, son capricieux compagnon de travail. On est tributaires de la Loire, c’est elle qui décide, reconnaît le pêcheur, qui explique que le niveau de l’eau peut varier de sept mètres dans une même année. L’an dernier, j’ai pêché dans cette forêt que l’on voit là-bas. Je ne plaisante pas, à un moment, au milieu des arbres, j’étais à moitié paumé ! A contrario, l’été, il faut souvent descendre de la barque pour la pousser. En ce milieu de printemps, certains bancs de sable, visibles à l’oeil nu, viennent caresser l’hélice. Soudain, c’est le coup de chaud : en remontant un filet, Mathias, l’apprenti, met au jour un poisson de plusieurs kilos qui se débat comme un diable.
Dans la Loire, il y a 99 % des endroits où l’on ne peut pas pêcher.
Le temps que les deux pêcheurs le hissent à bord, le vent pousse la barque dans le filet. L’hélice est prise. Le vent, c’est le pire, peste Romain. La Loire fait couloir pour le vent marin. Quand il souffle contre le courant, ça fait des vagues et le bateau à fond plat n’est pas du tout adapté. Et la Loire, ça pousse, surtout l’hiver : il y a 99 % des endroits où l’on ne peut pas pêcher, il y a trop de courant.
Une vague de clients
Le bateau libéré, les filets et casiers relevés, la journée de pêche s’achève peu avant midi. Une caisse de 17 kilos de poisson frais est débarquée sur le quai de Bréhémont, direction l’atelier situé au sous-sol d’une grande bâtisse à quelques mètres de là. La deuxième journée, dédiée à la transformation et à la vente, peut commencer. Ce que j’aime bien dans ce métier, c’est qu’on ne fait jamais deux jours la même chose, il n’y a pas de routine, explique Romain en aiguisant ses couteaux.
En l’espace d’une demi-heure, un silure pêché la veille sera filettée et mis au sel, en attendant d’être fumé au bois de hètre. Dans la machine à stériliser, les 300 pots de rillettes préparés hier atttendent d’être étiquetés pour rejoindre la boutique située au rez-de-chaussée. Cette après-midi, une alose sera vidée et écaillée pour être vendue entière. J’ai une commande de ma voisine. Et je vais mettre une pancarte sur la route. C’est traditionnel, ça marche bien.
Le jeune pêcheur ligérien en est même à refuser des clients. On a la chance dans le métier d’avoir plus de demande que d’offre, explique-t-il. Les pavés, filets et autres rillettes s’arrachent à la boutique, dans des épiceries fines, dans les Ruches et les Amaps, et les morceaux les plus fins sont réservés au restaurant ouvert l’an dernier. Particularité locale, les poissons du jour y sont servis par celui qui les a attrapés !
Ce que je préfère, c’est de surprendre les clients, assure Romain, qui retourne souvent pêcher ses mulets à la fin du service. Dans leur tête, le poisson d’eau douce ça n’a pas de goût, c’est plein de vase. Mais je leur explique qu’en Loire il n’y a que du sable, parce qu’il y a trop de courant. Et comme le poisson bouge tout le temps pour lutter contre ce courant, ça améliore le goût de la chair. Le nom de l’établissement, La Cabane à Matelot (1), fait référence au surnom du dernier pêcheur professionnel du village, qui a raccroché les filets en 1988, il y a trente ans déjà. Tout juste le temps de former une nouvelle génération de marins d’eau douce.
(1) Le restaurant ouvre ses portes du 1er juin au 31 août.
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Pour retrouver la partie de pêche en photos, c’est ici.
Hmmmm du bon poisson aux PCB…
https://fr.wikipedia.org/wiki/Polychlorobiph%C3%A9nyle
Que ça donne envie…
De pas en manger.
ça me fait réver !
moi, qui ne mange du poisson qu’une semaine par an, lorsque je suis au bord de la mer ; certains diront que c’est déjà beaucoup trop … mais c’est tellement bon 🙂
Ouahhh, c’est génial !
Quel dommage que j’habite vraiment loin de là !
Est-ce qu’il pourrait fournir, ne tant qu’invité épisodique, une ruche qui dit oui assez loin de chez lui ?
Merci en tout cas
Mireille