fbpx

De l'air dans le vin

Profession : vinaigrier artisanal

Avec des cuves et des tonneaux, Hervé Bollot fabrique patiemment des liquides aux arômes complexes, estampillés « La Clandestine ». Du vin ? Non, des balsamiques et des vinaigres aux fruits locaux. Dans son atelier discrètement installé à Izeron, dans le Vercors, l’artisan produit ses flacons avec des méthodes traditionnelles et des vieillissements longs.

La plupart des vinaigres de fruits de La Clandestine sont désormais labellisés bio. © Lucie de la Héronnière

Les tonneaux sont disposés en plusieurs « batteries », des séries de fûts ouverts, placés du plus grand au plus petit. Chacun est fait d’un bois différent : cerisier, châtaignier, acacia, genévrier et chêne. Dans cette pièce un peu isolée, tout en haut d’une vieille ferme retapée au pied du Vercors, une odeur subtile flotte dans l’air. C’est celle du balsamique, dense, foncé, doux et un brin acide, patiemment élaboré par Hervé Bollot. Pour concocter ce précieux liquide, il prépare un mélange de jus de raisins, issus des cépages muscat et clairette. Ce moût est d’abord cuit, puis concentré. Régulièrement transvasé d’un fût à l’autre, le balsamique va longuement vieillir, développant des arômes complexes, notamment grâce aux essences des bois.

Lancée en 2010, la première production a connu bien des ajustements et des bascules entre les tonneaux pour arriver à un résultat satisfaisant… Hervé vend ses premières bouteilles, en 2016 ! « Mémoires du Temps », c’est son véritable élixir : J’en sors peu. Celui vendu en 2016 est plus jeune que celui que je vends maintenant. Au fil des années, il devient encore meilleur. Il produit aussi un autre balsamique traditionnel*, « Entre 2 », vieilli trois ans dans une batterie à part, avec des résultats stables. Enfin, il concocte un vinaigre baptisé « Balzam », plus jeune, en mélangeant 30 % de son vinaigre de vin rouge et 70 % de moût de raisin, vieilli pendant un an. Le tout sans colorant ou autre additif !

__________________________________________________

* Cette définition du balsamique « traditionnel » ou pas est inspirée de la classification italienne. Dans la patrie du vinaigre balsamique, à Modène et à Reggio Emilia, deux types de vinaigres cohabitent. Le « vinaigre balsamique traditionnel de Modène », AOP, est fabriqué dans de petits fûts de bois différents, longuement vieilli, très concentré et sombre. Subtile nuance, le « vinaigre balsamique de Modène », IGP, est un assemblage d’au moins 20 % de moût de raisin et de vinaigre de vin, avec un vieillissement minimum de seulement soixante jours. Une pointe de colorant E150d (le même que dans le coca-cola) peut alors être ajoutée au liquide.
Balsamerie est un néologisme inventé par Hervé Bollot. D’où vient le nom « La Clandestine » ? « Après toutes ces années à Strasbourg, Londres, Reims, j’avais envie de faire mon truc dans mon coin, seul, tranquille. C’était l’humeur du bonhomme ! » © Lucie de la Héronnière

Vinaigres indépendants

Ce vinaigrier artisanal — on les compte aujourd’hui sur les doigts d’une main en France ! — fabrique des flacons de ce liquide brun, mais aussi des vinaigres parfumés. Dans sa vie d’avant, après des études dans le domaine de l’hôtellerie, il a été maître d’hôtel dans un 4 étoiles à Strasbourg, chef sommelier dans un palace londonien, et enfin directeur d’une cave spécialisée dans les grands bordeaux et champagnes, à Reims.

Le vinaigre balsamique s’avère être le projet parfait, entre les caves, les tonneaux, les essences de bois et les assemblages.

En 2009, gros ras-le-bol : énormément de boulot, des horaires pas possibles, peu de temps en famille, des envies d’autre chose. Après moult réflexions, Hervé et sa famille partent pour Izeron, un village isérois, pas très loin d’un ancien lieu de vacances d’enfance. Je baignais dans le vin et la gastronomie. Mais j’avais perdu la fibre de ce qui nous fait avancer dans ce boulot. À 35 ans, je voulais revenir à l’essentiel, fabriquer moi-même, raconte-t-il. Le vinaigre balsamique s’avère être le projet parfait, un lien fort et savoureux entre les caves, les tonneaux, les essences de bois et les assemblages.

Patience et temps long

C’est le début de la Balsamerie La Clandestine. Comment apprendre l’art du vinaigre ? Il n’existe aucune formation, aucune école. Ce n’est pas comme quand vous voulez lancer une pizzeria ! Il déniche des bouquins, arpente le web, télécharge des thèses sur la fermentation acétique, goûte, fait des rencontres précieuses. Il comprend qu’un bon balsamique demande beaucoup de temps… Et qu’il faut donc avoir autre chose à vendre avant. Il se lance donc aussi dans le vinaigre classique.

Il faut réaliser des travaux, de la maison et du futur atelier dans un bâtiment attenant. Trouver du vin (pour le vinaigre) et du jus de raisin (pour le balsamique). Les grosses boîtes utilisent souvent des surstocks, ou des vins déclassés, explique-t-il, mais, logiquement, pour faire un bon produit, il faut de la bonne matière première. Il faut aussi tester des recettes. Régler des problèmes administratifs, dans une filière minuscule et méconnue. Trouver des bouteilles et des étiquettes, en petites quantités. Tout est compliqué quand on fait ce genre de dinette !, se souvient Hervé Bollot.

Les bactéries acétiques, présentes dans l’air, se nourrissent d’alcool. Elles le dégradent pour le transformer en acide acétique et donc en vinaigre. © Lucie de la Héronnière

Framboises, myrtilles et agrumes

En parallèle avec le lent affinage de son balsamique, le vinaigrier s’active aussi pour commercialiser ses vinaigres de fruits, prêts dès 2012. La matière première ? Des vins biologiques IGP Camargue, achetés à un vigneron d’Aigues-Mortes, un sauvignon blanc, très aromatique, frais, léger, et pour le rouge, un syrah, avec un peu de grenache ou de merlot.

Dans la cuverie chauffée, l’air pique les yeux. Hervé Bollot utilise une méthode traditionnelle et naturelle, dite orléanaise, basée sur un phénomène chimique simple : les bactéries acétiques, présentes dans l’air, se nourrissent d’alcool. Elles le dégradent pour le transformer en acide acétique et donc en vinaigre.

Il faut leur proposer un repas régulier, pour qu’elles travaillent, en surface du liquide ! Des fûts de chêne de 220 litres, ouverts et remplis aux 2/3, sont donc entreposés dans cette pièce à 26 °C. Une fois que le fût est en route, je travaille sur des rotations de quarante jours. Je prélève environ 20 % de vinaigre dans chaque fût, et je les remplis avec la même quantité de vin. Et c’est reparti pour un tour. C’est un peu le même principe que le levain ! Ensuite, le vinaigre passe dans des cuves en inox, fermées avec un chapeau flottant bien hermétique. La pièce est fraîche, les bactéries acétiques meurent et le vinaigre se stabilise.

Dans la cuverie chauffée, des fûts de chêne de 220 litres contiennent du vinaigre « classique » en cours de fabrication. © Lucie de la Héronnière

Le futur vinaigre « à l’ancienne » part vieillir dans des fûts de chêne. Le reste file dans des dame-jeannes, pour macérer tranquillement avec 30 à 50 % de fruits, pour que le goût soit intense, et certainement pas d’arômes ou de concentrés : des framboises (cultivées en plein champ dans une commune voisine ; en Ardèche pour les bio), des myrtilles (Ardèche), de la chair et des zestes d’agrumes le plus possible français ou italiens (citron de Menton, de Sicile, pamplemousse rose de Corse),etc. S’en suivent la décantation, le collage avec de la bentonite, un type d’argile (une étape qui sert à obtenir un liquide plus limpide), la filtration et enfin l’embouteillage.

Du vinaigre indépendant

Résultat, des flacons qui n’ont rien à voir avec les bouteilles des rayons du supermarché. Les différences ? La qualité des ingrédients et la méthode, largement accélérée par les industriels. Le vieillissement, ça prend de la place et des mois : Je ne peux pas raccourcir le temps ! Ma méthode est longue. Mon process ne s’arrête jamais.

En plus de ses trois cuvées phares de balsamiques et ses vinaigres aux fruits, Hervé Bollot réfléchit à de nouveaux produits. Un balsamique de coing est en route depuis 2018… © Lucie de la Héronnière

Aujourd’hui, Hervé Bollot vend toute sa production (environ 20 000 bouteilles de 25 cl par an) principalement à des chefs et à des épiceries fines, dans la région et au-delà. Seul pour tout faire, de la recherche des matières premières à la livraison, il vit de son entreprise. Je suis fier de voir les chefs cuisiner avec mes vinaigres ! Des souvenirs particuliers ? Oui, à l’Émulsion, un restaurant étoilé à Saint-Alban-de-Roche : Des ravioles de homard chaudes, servies sur mon balsamique vieux, gélifié et découpé en brunoise. Avec la chaleur, le balsamique fondait en bouche, apportant une touche d’acidité !

Bien sûr, le vinaigre est aussi un discret produit du quotidien, présent dans tous les placards… Mais pas assez connu et valorisé, selon le vinaigrier ! Voilà le défi : C’est compliqué de faire un vinaigre gustativement bon et culinairement pertinent… Utile à la fois pour déglacer un foie de volaille et faire une salade. C’est passionnant !

2 commentaires

Close

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  1. Bravo l’artiste!!! j’adore les vinaigres balsamiques et je les déguste à la cuillère comme de véritables nectars…
    J’ai tout simplement très envie d’aller à la rencontre d’Hervé, je suis admirative de ces beaux parcours de vie, ça fait sens en eux, c’est créatif, et du même coup, ça diffuse en nous…
    Jeanne

  2. Bonjour, votre article et façon de faire me plait beaucoup, à ma façon je fabrique mon propre vinaigre et quel délice, j’ai même testé avec les framboises de mon jardin sur une salade de betterave!
    Amitiés

Recevoir le magazine

1 newsletter par quinzaine.
No pubs, Pas de partage de donnée personnelle

Oui ?

Recevoir le magazine

1 newsletter par quinzaine.
No pubs, Pas de partage de donnée personnelle