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Don de soi

Marché alternatif né en temps de crise

Dans le quartier de Bellevue à Nantes, la crise sanitaire a fédéré les associations locales pour organiser une distribution alimentaire. Démarrée avec 19 paniers lors du premier confinement, l’initiative en a atteint 250 par semaine en moins d’un an. Un village nourricier s’organise…

Préparer 250 paniers à partir d’un contenu inconnu le matin même demande un minimum de logistique. © Thomas Louapre

Avez-vous déjà observé le mouvement incessant d’une fourmilière ? Les différents individus arrivant de toutes parts chargés de nourriture et repartant aussitôt dans toutes les directions. C’est exactement le tableau qu’offre la salle de spectacle du centre socio-culturel des 5 continents, à Nantes tous les mardi matin. Bienvenue au MAB ! Le marché alternatif de Bellevue.

Dans ce ballet, envoûtant pour le visiteur qui n’en connaît pas les rouages, trente bénévoles s’activent en tous sens. Ils ont les bras chargés de différentes victuailles à répartir dans les 250 paniers qui seront distribués aux habitants du quartier l’après-midi même. Leur contenu : des invendus alimentaires des grandes surfaces de la métropole nantaise. 500 familles viennent en profiter une semaine sur deux.

Nous sommes tous très fiers de ce que nous avons construit. Le MAB c’est une pépite, annonce des étoiles dans les yeux Odile Brousse, fondatrice du Comptoir des Alouettes, une des associations qui fait partie du conseil collégial du MAB. Et fière, elle peut l’être Odile. C’est elle qui a eu l’idée de ce projet lors du premier confinement. Démarrée avec 19 paniers, l’initiative en a atteint 250 par semaine en moins d’un an. Celle-ci ne se résume pas à un coup de pouce solidaire aux familles nantaises à faibles revenus, mais cherche à recréer la dynamique d’un village.

Le mardi, Odile, à gauche sur la photo, commence sa journée par une tournée au MIN de Nantes pour récupérer les invendus alimentaires. © Thomas Louapre

Au milieu de cette activité bourdonnante, un individu émerge. C’est Jojo ! Vous ne pouvez pas le louper, ces quatre lettres s’affichent en noir au dessus du numéro 8 de son t-shirt jaune. Queue de cheval en chignon et caquette bien enfoncée par dessus, il arpente la salle en tout sens, donnant des conseils à chacun, surveillant l’heure et comptant les caisses de nourriture qui arrivent progressivement. J’ai commencé comme bénéficiaire de ce panier il y a un an. J’ai eu envie de m’impliquer et assez rapidement le conseil collégial des associations m’a confié des responsabilités dans la distribution. Depuis lundi je suis le premier salarié officiel du MAB, sourit le chef d’orchestre des lieux.

« Ce matin on peut mettre 12 bananes dans les grands paniers, 8 dans les moyens et 4 dans les petits », annonce Jojo après avoir évalué le chargement du jour. © Thomas Louapre

Comme Jojo, de nombreux bénéficiaires des paniers du MAB ont souhaité s’investir dans la préparation et la distribution des paniers qu’ils reçoivent. Ils représentent aujourd’hui 80 % des bénévoles qui se relaient dans la journée. Chacun a sa raison pour venir. Certains ne veulent pas se retrouver dans une démarche de recevoir sans donner en retour. D’autres viennent casser la solitude que ces temps de confinement et d’éloignement imposent. Il y a des jeunes migrants qui en profitent pour côtoyer du monde et apprendre à parler français, ajoute Jojo. À 13 h 45, c’est lui qui donne les dernières consignes avant l’arrivée des premières familles. Le système, maintenant bien rodé, voit entrer les habitants par une porte et repartir par une autre issue de manière très fluide.

Les bénévoles d’aujourd’hui sont les bénéficiaires d’hier, et vice versa. © Thomas Louapre

À l’entrée, Clémence Rodriguez, l’une des animatrices du centre des cinq continents, explique que le MAB n’est pas qu’une initiative alimentaire. Il y a des familles qui ont découvert la salle de spectacle et les activités du centre socio-culturel en venant chercher leur panier. Nous avons plus que doublé les participations aux programmes de l’été, se félicite-t-elle. La distribution des paniers offre également la possibilité à plusieurs associations de tenir des permanences, notamment pour l’accès aux droits.

"Avant le Covid, nous nous arrêtions toujours pour boire un verre avec les grossistes sur le café du Min" se souvient Christine © Thomas Louapre

Pour alimenter les 250 paniers, 2 tonnes de nourriture sont collectées de manière hebdomadaire. C’est une goutte d’eau dans l’océan de la récupération, constate Odile. Elle dirige elle-même l’un des quatre équipages qui sillonnent la ville pour récupérer les victuailles distribuées l’après-midi. Et quel équipage ! Il faut la voir arriver au MIN de Nantes au milieu des camions dans son utilitaire jaune. Elle est accompagnée de Christine, une bénévole de l’association qui ne manquerait pour rien au monde ces rendez-vous du mardi et vendredi matin. Elle a le contact facile avec les professionnels, glisse Odile. C’est un vrai spectacle de la voir déambuler d’un pas décidé dans cet univers d’hommes en les hélant au passage : Et chef, qu’est ce qu’on a ce matin ?

 

Rien n’arrête Christine quand il s’agit de récupérer des invendus alimentaires. © Thomas Louapre

Même s’ils n’ont rien à donner, tous s’arrêtent cinq minutes dans leurs occupations pour échanger quelques mots avec les deux femmes. Le convoi s’arrête aussi dans une mûrisserie de banane où il récupère une vingtaine de cartons de fruits en parfait état, puis au Super U de Rezé, dans la ville voisine. En ressortant de cette tournée improbable, il flotte comme une impression d’invincibilité autour du duo. Comme si, quelle que soit la taille du contenant, l’utilitaire jaune de l’association, une camionnette ou un semi-remorque, Christine et Odile auraient réussi à le remplir.

La bénévole appelle tous les salariés du MIN par leur prénom. Ce matin, elle a pensé à ramener quelques bananes à un grossiste en fleur qui lui donne toujours ses invendus. © Thomas Louapre

Si le dispositif est bien rodé, c’est que les deux femmes le pratiquaient bien avant le MAB. Depuis des années, cette tournée permet d’alimenter la partie gratuité de l’épicerie associative de quartier d’Odile : Le fameux Comptoir des Alouettes. Ici l’alimentation est plutôt un support pour créer du lien dans le quartier et de la mixité sociale. Il faut bien comprendre que ce ne sont pas les mêmes dimensions et le même relationnel qu’au MAB, insiste Odile. Ce lieu de vie, elle l’a racheté avec deux autres familles il y a quelques années. Lorsqu’ils s’y rendent, les adhérents de l’association ont accès à l’épicerie de produits locaux et de récupération mais aussi à une salle qui sert aux ateliers de couture, de lecture pour migrants ou à l’occasion pour fêter un anniversaire. Plus déroutant dans cette atmosphère très associative, le lieu compte aussi une salle de prière protestante ouverte 24 h/24.

À quelques rues du centre socio-culturel, l’ambiance feutrée du Comptoir des Alouettes contraste avec l’effervescence du MAB. © Thomas Louapre

En ce mardi après-midi, plusieurs bénévoles s’activent pour préparer l’ouverture de la fin de journée. Dans la cuisine collective, trois femmes épluchent des mangues récupérées le matin et qui seront transformées en confiture. De son côté Odile surveille une soupe de carotte et prépare une pâte à crêpes pour le goûter. Hors Covid, c’est beaucoup plus convivial, sourit une des éplucheuses de mangue. Pourtant le Marché alternatif de Bellevue comme le Comptoir des alouettes sont deux initiatives qui prouvent que la crise sanitaire n’a pas tué la convivialité et la solidarité.

Derniers préparatifs dans la boutique du Comptoir des Alouettes avant l'ouverture du mardi soir. © Thomas Louapre

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