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L'union fait les bonnes tablées

« Dans l’alimentation, une filière trop petite ne rend pas service à un modèle vertueux »

Une filière alimentaire biologique, locale et issue de la paysannerie ? En Rhône-Alpes, le Grap (groupement régional alimentaire de proximité) réunit depuis 2012 les forces vives de la région. La coopérative glisse le tremplin sous les pieds hésitants de ceux qui veulent se lancer, de la boulangerie à l’épicerie. Laura Chateauneuf, accompagnatrice, épaule quelques-uns des 200 membres du collectif qui se coordonnent pour nourrir autrement.

En 2018, l'épicerie et cantine bio Comme trois pommes s'est lancée à Portes-lès-Valence avec l'aide du Grap. © Comme trois pommes

Pour bien comprendre d’entrée de jeu, pourquoi des futurs porteurs de projet dans l’alimentation vous rejoignent ?

Laura Chateauneuf : Beaucoup de membres du Grap sont des reconversions : épicerie, restauration, traiteur, chocolaterie, torréfaction, brasserie… Un gros frein à entreprendre, c’est la solitude. Si on n’a jamais fait ça avant, ça peut faire très peur. On est là pour les conseiller en amont sur les étapes pour monter son entreprise. Puis sur le long terme, ils peuvent se concentrer sur leur cœur de métier car le plus gros du travail de gestion d’entreprise est mené par notre équipe d’une quinzaine de salariés : comptabilité, service informatique avec le logiciel de caisse ou pour gérer les stocks, fiches de paie, arrêts de travail… On les aide autant à revoir leur projet, si ça ne décolle pas, qu’à gérer un déménagement.

Est-ce qu’on peut dire que Grap est une coopérative qui fédère des coopératives ?

Oui mais pas que. Dans Grap, il y a aussi des sociétés commerciales conventionnelles (SARL, SAS…) et des associations. Le statut SCIC nous permet d’être à la fois une entreprise à part entière qui fournit des services, et d’associer tous les entrepreneurs à ce projet politique qu’est Grap (contre une commission sur le chiffre d’affaires, NDLR). Souvent à l’origine d’une SCIC, ce sont des citoyens qui se mobilisent pour faire émerger un projet parce qu’il y a une demande. Là, c’est de développer l’alimentation bio, l’agriculture paysanne, le commerce équitable, les circuits courts.

Photo de famille des membres de la coopérative, qui se réunissent régulièrement pour échanger et progresser autour de diverses thématiques. © Grap

Je veux monter un supermarché spécialisé dans les surgelés d’OGM : c’est cuit pour être « grapo-compatible » ?

Le projet doit correspondre à notre cahier des charges. Par exemple, 80 % minimum des achats d’une épicerie doivent être bio et 5 % max commandés auprès de la grande distribution, un pourcentage est aussi fixé pour le circuit court ou pour limiter le recours aux surgelés en restauration, les OGM sont interdits, le taux de sulfites dans les vins réglementé pour les cavistes, etc. Il y a aussi toute une partie de la charte qui porte sur la gouvernance et l’implication des salariés, comme l’obligation de s’associer à terme ou de ne pas permettre de trop gros écarts entre le plus haut et le plus bas salaire.

En Haute-Loire, Sylvain a monté son fournil en 2020 à la suite d'une reconversion. Il est le quatrième boulanger du groupement. © Fournil de la clé de sol

Pourquoi limitez-vous votre réseau en Rhônes-Alpes ? L’herbe n’est-elle pas assez verte ailleurs ?

En prenant de l’ampleur, la question de s’étendre s’est posée. Comment ne pas détériorer le lien humain ? L’essaimage nous a semblé le plus cohérent pour transmettre notre modèle à d’autres qui veulent s’organiser comme nous, plus loin, comme c’est le cas actuellement en Auvergne. Notre réseau est très précieux, le fait de se connaître d’humain à humain permet d’échanger beaucoup plus. Les membres se prêtent des coups de main quand il y a des ouvertures ou des inventaires, mettent à disposition leurs machines pour la transformation… En étant trop éloignés, ce n’est plus envisageable. Et l’intelligence collective qui découle de ces synergies non plus.

Ensemble on serait donc plus malin ?

Si une épicerie n’atteint pas à l’ouverture les ventes prévues, par exemple, les parcours de chacun nous aiguillent pour trouver une solution. Soit on s’en inspire, soit les anciens filent directement un coup de main aux nouveaux. En Haute-Loire, une épicière en poste depuis longtemps sur un autre territoire s’est déplacée pour visiter un magasin qui peinait. Le réaménagement des rayons et le renouvellement de la gamme qu’elle a proposés ont eu un effet positif. De se sentir épaulé, ça compte aussi beaucoup.

Les torréfactrices du Grap, Hélène, Marlène et Anne-Laure, proposent depuis 2018 un café de terroirs bio, à Lyon. © Label(le) brûlerie

Et financièrement, ça aide toutes ces épaules ?

Si on est nombreux, on peut mutualiser. Les frais de banque ou d’assurance, mais aussi la prise de risque inhérente au montage d’une entreprise. Notre machine roule suffisamment pour supporter des apports faibles, et notre banque nous fait confiance pour contracter un prêt pour un tiers qui n’aurait pas de fonds propres pour démarrer. Surtout, en cas de coup dur de l’un, il y a toujours les autres pour assurer une stabilité. Les activités du Grap étant suffisamment diversifiées, nos œufs ne sont pas tous dans le même panier. En pleine crise sanitaire, le budget spécial risque auquel tout le monde contribue chaque année a permis de soutenir nos restaurateurs, les plus fragiles. Le but, ce n’est pas seulement de faire décoller une entreprise et qu’elle quitte le groupement une fois que ça roule financièrement. On cherche à construire un outil de travail commun.

Rares ont été les festivals, salons, concerts et mariages où garer leur food-truck en 2020, impactant leur activité en pleine expansion. Hugo et Paul continuent à cuisiner pour l'agglomération lyonnaise. © La Bonne Dôze

Faire bloc, c’est aussi proposer un solide contrepoids au système alimentaire en place ?

Des géants se sont mis au bio, au local, au vrac, ce qui monopolise le devant de la scène et estompe des critères autant sinon plus importants. Nous défendons un modèle vertueux sur le plan environnemental mais aussi social et démocratique. Déjà en cultivant des relations commerciales éthiques avec les producteurs, sans contractualisation qui les coincent quand les prix d’achat bougent. Mais aussi en construisant une entreprise vertueuse qui implique les salariés, en partie grâce à la gouvernance horizontale et la participation de chacun au capital. En étant trop petit, on ne rend pas service à ce modèle-là, il faut le rendre visible.

Par exemple, quel travers de la grande distribution évitez-vous ?

Les centrales d’achat. Elles disposent d’un protocole super rodé et de prix faibles grâce à leurs économies d’échelle et leur gain de temps. Chez nous, pas de catalogue standardisé, les épiceries sont libres d’acheter ce qu’elles veulent. C’est un gros casse-tête logistique, ça c’est sûr, mais également une vraie force de singularité pour chaque lieu. Les clients ne trouveront pas ces produits ailleurs puisqu’ils ont été achetés aux alentours, à des producteurs qu’on connaît et qu’on a bien rémunérés.

Pourquoi parlez-vous de casse-tête logistique ?

Les producteurs et grossistes peinent à entrer dans Lyon pour livrer. Donc au lieu de quinze camions, il n’y en a qu’un qui rejoint notre entrepôt. C’est plus pertinent écologiquement et économiquement. Plusieurs tournées par semaine parcourent la Loire, le Rhône, la Drôme. Quand l’un de nos salariés livre, il récupère les produits des uns pour les amener aux autres. Le mardi, il décharge en Loire la marchandise de grossiste arrivée à Lyon, embarque en même temps les saucissons du coin, qu’il amènera deux jours plus tard en Savoie, où il prendra au passage les reblochons, qui finiront à Lyon.

Après plusieurs fermetures, les habitants du village d'Aouste-sur-Sye n’avaient plus d’autre option pour leurs courses que l’hypermarché à trois kilomètres. L'Épicerie Géniale s'est imposée. © Anne-Lore Mesnage

En quoi cette organisation permet aux ruraux de mieux manger plus facilement ?

Parfois certaines épiceries sont tellement isolées que personne ne veut les livrer, même les grossistes. Nous, on le fait pour développer économiquement ces zones et y proposer une offre alimentaire de qualité qui ne réclame pas 25 kilomètres de route. Et si ça coûte plus cher, on fait porter ce poids par toutes les activités. Ce système de livraison profite aussi aux acteurs sur place, dont les connections ne sont pas toujours évidentes : les producteurs ne peuvent pas livrer eux-mêmes plusieurs épiceries pour de petites quantités, car ils n’ont pas le temps et que ce n’est pas rentable. Généralement, c’est plus facile pour eux de vendre toute la production d’un coup à un gros magasin, même si ce choix les fragilise en les rendant dépendants d’une seule voie de commercialisation.

La gouvernance du Grap est horizontale. La voix de chaque salarié·e compte dans la prise de décision. © Grap

La filière du Grap est-elle plus résiliente qu’une autre ?

Oui, par notre logique de coopération, qui rend l’entreprise plus solide et plus facilement transmissible. L’outil de travail est collectif. Il permet de créer son propre emploi et d’en être salarié le temps de sa présence, mais le jour du départ, il n’y a pas de vente et de gros pactole. L’entrepreneur n’est pas le héros fondateur de l’entreprise, seul propriétaire et qui prend toutes les décisions seul. Cette notion n’est pas toujours évidente quand on a investi autant de son temps, d’autant dans des métiers difficiles et mal rémunérés qui ne mettent pas à l’abri de l’épuisement, même dans un modèle d’économie sociale et solidaire. Mais une entreprise classique à vendre ne s’encombre pas de la question de l’écosystème local dans lequel elle s’inscrit, de ses fournisseurs et clients, ni de son impact sur le territoire. Or si ça tourne, c’est qu’il y a besoin, donc on cherche plutôt à conserver le projet de base même sans la personne initiatrice. Avec ce fonctionnement, les activités que nous implantons peuvent durer des dizaines d’années. Il n’y a pas de date de fin.

 

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Photo de Une © Thomas Louapre

2 commentaires

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  1. quelle jeunesse positive et productive d’imagination !félicitation a tous et je vais regarder sur Annecy et les environs!!!

    1. Si ce n’est pas déjà le cas, vous pouvez venir notamment à l’épicerie Le Local à Annecy ; elle fait partie du réseau !

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