Après plusieurs fermetures, les Aoustois (les habitants de ce village drômois) n’avaient plus d’autres options pour leurs courses que l’hypermarché à trois kilomètres. Avec l’Épicerie Géniale à deux pas, le circuit court remarche ; les locaux aussi…
Installée dans la rue principale du village d’Aouste depuis un mois, l’Épicerie Géniale ne désemplit pas. Chacun à son tour, les habitants et les voisins des villages alentour attendent patiemment dehors pour ne pas être plus de six dans la boutique. En ce matin de novembre, le rayon fruits et légumes annonce la couleur : ail de Crest, poire de Loriol, coing de Piégros-la-Clastre, poivron de Crest, salade de Montmeyran. Soit une provenance de moins de 40 kilomètres à la ronde, tout en bio.
Nous sommes à Aouste-sur-Sye, commune de la vallée de la Drôme de 2 500 habitants. Guillaume Pierron, le salarié de l’épicerie associative, s’affaire à remplir les rayons aux côtés des deux bénévoles de la matinée, tandis que Bernadette Hormière, la trésorière, vient faire ses courses. On croise également le propriétaire des lieux, Claude Jabès, qui propose pour le moment un loyer gratuit.
Une fois encore, l’histoire a tout d’une mayonnaise qui a bien pris. Un collectif d’habitants décide de s’investir pour faire vivre le village. Nom de code de ces réunions : « Et Sye on osait ? », en référence au cours d’eau qui traverse la commune. On y rêve d’abord de café associatif, mais la fermeture en février 2019 des deux dernières épiceries fixe une nouvelle priorité. L’urgence, c’est de trouver sur place de quoi se nourrir.
De l’ail noir à la lumière
Le collectif croise alors la route de Guillaume Pierron, 34 ans, ancien sonorisateur dans le spectacle souhaitant plus de sédentarité. Puis c’est au tour de Claude Jabès d’entrer dans la danse, ou plutôt dans la sauce. Ce Suisse se rend régulièrement dans la Drôme pour acheter de l’ail bio qu’il revend dans la région de Lausanne où il fabrique aussi de l’ail noir. Je venais d’acheter une maison à Aouste en vue de ma retraite et je passais devant l’ancien salon de coiffure quand j’ai vu qu’il était à vendre. Je l’ai acheté, me disant que je pourrais un jour commercialiser mon ail noir. Et puis j’ai entendu parler de ce projet d’épicerie associative, un projet génial !
Il finance alors le matériel nécessaire aux travaux de rénovation de la boutique, tandis qu’un chantier participatif s’organise pour mettre les lieux sur pied. D’autres coups de main émergent : un fond de soutien à la redynamisation des centres villes permet d’acheter les frigos, la vitrine réfrigérante, la signalétique ; sans compter l’aide de la foncière Villages vivants qui soutient ce projet en milieu rural.
Puis il a fallu se faire la main : Guillaume se forme grâce au groupement régional alimentaire de proximité (GRAP) qui accompagne l’installation des épiceries associatives… et rejoint le marché pour se rôder pendant trois mois et demi en installant un stand de dix mètres de long de l’Épicerie Géniale. Une manière également de constituer une trésorerie pour démarrer.
Du bio pour tous
Résultat : le mercredi 7 octobre 2020, il est enfin possible de se nourrir à Aouste sans passer par la case hypermarché, le plus vaste de la vallée à trois kilomètres de là. Beaucoup de personnes âgées sans voiture sont ravies de retrouver un commerce de proximité pour quatre jours par semaine.
Parmi les étals, les produits d’une quinzaine de producteurs qui les livrent eux-mêmes. Et même si nous sommes dans la Bio vallée, que le bio est loin d’être réservé aux bobos dans cette région historiquement pionnière dans le circuit court et le respect de la terre, l’équipe de l’Épicerie Géniale décide pour chaque produit de proposer une marque de la grande distribution, un petit peu moins chère, pour exclure le moins de groupes sociaux possible. Même sur le bio, les tarifs restent doux : Grâce au GRAP qui négocie les prix pour nous, nous sommes compétitifs avec les autres magasins bio de la vallée.
Un mois après l’ouverture, le chiffre d’affaires de la boutique est un tiers plus important que prévu. Un deuxième salarié est envisagé rapidement ainsi que des ouvertures le dimanche matin ; une quinzaine de bénévoles prêtent main forte à Guillaume et le planning des inscriptions est déjà rempli jusqu’à la fin de l’année.
Le village n’est pas au bout de sa mue alimentaire. À quelques pas de l’Épicerie Géniale, quand les mesures sanitaires le permettront, un restaurant associatif fonctionnera sur le mode du volontariat pour la réalisation des repas, le service et l’accueil. L’approvisionnement viendra en grande partie de récupération alimentaire, en partenariat avec l’entreprise Phénix qui revalorise notamment les invendus des supermarchés. L’idée ? Se nourrir les uns les autres, toujours.
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