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UNE VIE APRÈS LA VILLE

« L’exode urbain est un choix de vie qui peut entraîner un changement de société »

Entre livres savants et produits du terroir, au milieu des champs, sa table de l’Amante Verte est le lieu « agri-culturel » le plus couru de Bretagne Sud. À la fois libraire et agricultrice, Claire Desmares-Poirrier incarne une nouvelle génération de néo-ruraux. Dans son ouvrage L’exode urbain, manifeste pour une ruralité positive, sa thèse d’une nécessaire vague d’émigration à la campagne est illustrée par son parcours personnel et ses dix années de vie dans le pays de Redon (Ille-et-Vilaine). Au-delà d’un rapport privilégié à la nature et aux saisons, le monde rural permet plus de cohérence avec ses valeurs et un rapport aux autres plus enrichissant.

La production de plantes aromatiques et la création de mélanges pour infusion est la base de l'activité de L'Amante Verte. Son lien intime avec la terre du pays de Redon.© Anne-Claire Héraud

Vous vous attachez à déconstruire les mythes qui ont façonné la distinction entre ville et campagne. Quels sont-ils ?

Claire Desmares-Poirrier : 60 % des urbains interrogés disent que s’ils le pouvaient, ils partiraient. Pourquoi ne le font-ils pas ? Souvent pour des raisons symboliques. Il faut lever ces barrières-là, et retrouver la liberté de choix. On doit pouvoir se projeter à la campagne. Je pense que le plus important est d’en finir avec l’association de la ville au progrès et à la réussite. C’est le mythe qui a porté l’exode rural, très ancré dans l’imaginaire collectif, selon lequel la ville draine l’émancipation, le pouvoir, la citoyenneté ; tandis que la ruralité serait un espace de servage où l’on ne se saisit pas de son destin. C’est un mythe selon lequel la réussite de l’individu passe par le fait de s’extirper de sa communauté, de sa famille, de son territoire. Il faut déconstruire cet imaginaire et être capable d’en reconstruire un autre. C’est pour ça que je parle de ruralité positive, de rural pride, c’est un processus d’affirmation.

Claire a lancé l'activité avec son mari Adrien. L'exode urbain a été un choix de couple au delà du parcours personnel. © Anne-Claire Héraud

Vous racontez d’ailleurs que l’installation à la campagne vous a permis d’articuler votre mode de vie à vos idéaux…

C’est un enjeu fort. Il y a beaucoup d’injonctions associées à l’écologie, qui est parfois perçue comme culpabilisante et punitive. Mais je pense qu’on peut tenir un point de vue politique très radical dans nos vies tout en faisant en sorte que ce soit associé à du plaisir, à de la récompense symbolique, sociale, humaine. À ce titre, je pense que le témoignage est important. Des gens me demandent : « Ça fait dix ans que vous avez monté votre projet et vous gagnez 1 200 euros par mois, vous n’avez pas le sentiment d’avoir échoué ? » Mais j’ai fait ce choix : ma réussite ne passe pas par une rétribution économique. Elle pourrait, mais il faudrait que je sacrifie beaucoup de choses par ailleurs, comme du temps avec ma fille. Je veux remettre en cause le modèle de réussite urbain : des voyages, un certain rapport à l’art, des revenus, des signes extérieurs de richesse. Mon principal signe extérieur de richesse, c’est une grande table avec plein d’amis, avec les meilleurs produits du coin, avec beaucoup de partage… Je me sens une personne privilégiée, bien plus que si j’allais à l’opéra chaque semaine ou que je voyageais à l’autre bout du monde. Il y a d’autres manières d’être riche.

Sirops et vins de plantes maison, produits bio et locaux : la ferme est également un café où l'on peut prendre le goûter. © Anne-Claire Héraud

La campagne dessine-t-elle un espace de cohérence personnelle, par opposition à un monde urbain dans lequel, en étant loin de ses valeurs, l’on souffre de « dissonance cognitive » ?

J’ai été motivée par la mise en cohérence de ma vie quotidienne avec mes valeurs, mais ce n’est pas forcément ça qui va motiver d’autres gens : ce peut être l’emploi, le lien avec la famille, le besoin d’enracinement… Peu importe la raison pour laquelle on part vivre à la campagne, de fait, on n’y est pas exposé à 150 messages publicitaires par jour, ni à du harcèlement de rue. Je ne me demande pas, quand je sors en bottes et en short, si je vais me faire interpeller. Ça peut paraître anecdotique, mais toutes les filles en ville se posent la question en sortant. De la même manière, le zéro-déchet en ville est un processus actif, parce que le plus simple quand tu as besoin d’un objet est de descendre l’acheter en magasin. À la campagne, le supermarché est loin, tu demandes d’abord à ton voisin, puis au hameau d’en face, à la commune, puis tu cherches chez Emmaüs, tu vas regarder sur un site d’occasions, et si vraiment tu ne trouves pas, tu vas te taper 20 bornes pour aller au grand magasin. Ce n’est même pas un processus intellectuel ou un acte militant, c’est un état de fait. Avant d’appeler un prestataire pour quoi que ce soit, tu vas faire le tour des copains. Avant le recours à l’argent, tu vas avoir recours à l’entraide. Il est là, le potentiel révolutionnaire : peu importe le processus qui t’amène à la vie rurale, le résultat est que cela change ton rapport à la consommation, à la société, à l’entraide… Je ne pars pas de mon parcours pour en faire des généralités, j’illustre un fait politique par des expériences personnelles, pour que les gens comprennent ce que c’est que de le vivre au quotidien. C’est un truc intime, l’exode urbain. Et en même temps c’est un choix de vie qui peut entraîner un changement de société. Ce qui fait que le choix est durable, c’est qu’il est intime.

« Il y a d’autres manières d’être riche. » Claire a troqué son salaire de cadre contre une qualité de vie plus proche de ses valeurs. © Anne-Claire Héraud

Vous parlez à ce propos des amitiés non choisies comme de « ce que la ruralité [vous] a offert de plus précieux »…

Ça fait grandir. Il y a un confort à être avec des gens comme soi, toujours d’accord. Personne ne vient chercher ça à la campagne, mais pourtant ça n’a pas de prix. La construction d’une amitié est différente, elle passe par le faire plus que par le dire. Le chantier collectif devient la base de la relation. Avec mon mari, on s’est sentis intégrés le jour où l’on a démonté le barnum de la fête du village !

La table de l'Amante verte est aussi une librairie dédiée aux plantes et aux savoir-faire de la transition. Un lieu « agri-culturel ». © Anne-Claire Héraud

Vous insistez sur le fait que la campagne peut être un espace de dynamisme et d’innovation. De quoi est faite ou sera faite ce que vous appelez « la ruralité 2.0 » ?

L’image d’Épinal d’un retour à la terre n’existe pas. Les campagnes sont devenues des outils de production de l’agriculture industrielle. La question qui se pose est : comment réinvente-t-on le territoire ? Nous savons que ceux qui vont venir sont différents de ceux qui sont partis durant l’exode rural. Ils sont plus diplômés, ils n’ont pas un parcours de vie linéaire, ils ont voyagé, ils ont un certain rapport à l’altérité. Je pense que c’est aussi une opportunité pour les territoires ruraux d’être perçus comme des endroits plus inclusifs, plus innovants. C’est important que ce soit un échange, que ceux qui arrivent ne consomment pas le territoire mais se demandent comment ils peuvent contribuer. Il faut dépasser l’idée qu’il faut être porteur de projet ou agriculteur pour devenir néo-rural, car on a besoin de tous les métiers. Notamment de savoir-faire autonomisant, qui permettent d’accompagner les individus dans l’auto-construction, dans l’agriculture, dans l’ingénierie sociale et juridique. L’animation des démarches collectives est essentielle, tout comme la médiation intergénérationnelle, environnementale… Nous avons besoin des métiers du lien. La ruralité 2.0 sera plus connectée, plus consciente des enjeux écologiques et plus engagée.

"Ma réussite ne passe pas par une rétribution économique. Il faudrait que je sacrifie beaucoup de choses par ailleurs, comme du temps avec ma fille." © Anne-Claire Héraud

Par quoi commence-t-on lorsque l’on veut rejoindre ce mouvement d’exode urbain ? Vous avez rempli un « carnet de rêves » avec votre compagnon…

Tu ne peux pas changer de vie si tu ne peux pas la rêver, c’est un vertige trop important. Ce carnet, c’est un processus préalable à tout autre, que ce soit dans un projet individuel ou collectif, car chacun a des attentes et des envies différentes et il faut être capable de les formuler et de les partager. Ensuite, il faut prendre contact avec les habitants et faire des visites. Les néo-ruraux font des listes, mais ils ne choisissent jamais en fonction de ça ! Ce sont des choses ténues, non rationnelles, qui font la différence. Pour nous, ce qui a joué, c’est le fait qu’on nous dise « montrez-nous que c’est possible » plutôt que « vous n’y arriverez jamais ». Tout le monde est ensuite venu nous soutenir quand on a fait une levée de fonds pour acquérir la ferme en ruine. On nous en parle encore : « Quand vous avez fait vos portes ouvertes, il n’y avait même pas de portes ! » Je pense aussi qu’il faut relativiser l’échec, et accepter de faire des erreurs. Mais au-delà de mon partage d’expérience, je ne veux pas donner de conseils. Moi-même, j’ai fait exactement l’inverse de ce que l’on m’a dit !

Pour approfondir

Références

Dans ce petit manifeste de la ruralité positive, Claire Desmares-Poirrier partage ses réflexions et son parcours d’ancienne urbaine, en quête d’un projet de vie qui fait sens et de Nature. Elle invite à une prise de recul et une analyse de nos quotidiens urbains, pour un passage à l’action vers un mode vie plus durable, plus humain, plus rural.

3 commentaires

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  1. Je me reconnais complètement dans votre parcours, nous même sommes retournés vivre à la campagne et voir nos 2 petites filles s’épanouir dans cet environnement nous conforte dans notre choix.

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