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Doré malté

Dans le Vercors, la délicate alchimie d’un whisky made in France

Dans leur distillerie de Saint-Jean-en-Royans, Anne-Hélène et Éric Cordelle se sont trouvé une passion nouvelle pour ce spiritueux, dont ils cherchent à maîtriser la fabrication de l’orge à la gorge.

La Distillerie du Vercors, à Saint-Jean-en-Royans. © Angela Bolis

La visite de la Distillerie du Vercors commence toujours par un petit rituel : contempler le séquoia géant qui se dresse, haut et droit, dans la cour. L’arbre, son tronc fort, sa ramure en étoile, est l’emblème du whisky fabriqué ici. Si nul ne se souvient de qui a planté ce pin américain majestueux, on sait qu’il veille sur le domaine depuis 226 ans. Deux siècles au cours desquels la vieille bâtisse, accrochée aux contreforts du Vercors, dans le Royans, a plusieurs fois changé de visage. Ancienne ferme seigneuriale, elle a été reconvertie en magnanerie au XIXᵉ siècle. Puis l’élevage de vers à soie a été abandonné, et la masure aussi. Elle tombait en ruine quand Anne-Hélène et Eric Cordelle l’ont repris, il y a six ans, pour la transformer en distillerie de whisky.

Le séquoia géant qui domine la distillerie a donné son nom au whisky qui y est fabriqué. © Angela Bolis

Il a fallu une paire d’années au couple, originaire de Bretagne, pour dénicher ce lieu. Le virage de la quarantaine, le chômage et la lassitude, l’envie, aussi, de fabriquer quelque chose de [leurs] mains, les ont décidés à changer de vie. Tout était alors à imaginer. Je suis tombée sur un article dans une revue d’histoire bretonne sur les bouilleurs de cru. J’ai dis à Éric, ouvrons une distillerie !, raconte Anne-Hélène.

Éric Cordelle choisit le whisky, un alcool qu’il aime, et qui se distille à partir de céréales, donc tout au long de l’année. Les contours du projet se précisent : On voulait une fabrication 100 % bio, locale au maximum, ouverte au public… Et surtout, on s’est mis en quête d’une eau de qualité, détaille la gérante. Anne-Hélène et Éric font appel à un hydrogéologue, repèrent des sites, visitent… et essuient échec sur échec. On se heurtait au refus des municipalités, qui ne croyaient pas en notre projet : du whisky bio, artisanal, ça semblait farfelu, explique Anne-Hélène. Jusqu’à cette ferme de Saint-Jean-en-Royans où, enfin, tout s’est aligné : la qualité de l’eau, le charme du site, et un accueil enthousiaste des élus locaux.

Au cœur de la distillerie, le Vercors par la fenêtre. © Paul Eric

Six ans plus tard, la distillerie tourne, malgré les entraves liées à la crise sanitaire. En contrebas de l’ancienne ferme, quelques champs d’orge sont plantés pour la petite cuvée maison. Le gros des céréales — de l’orge bio cultivée en France uniquement — provient d’une malterie d’Ardèche. Le maltage permet de rendre le grain plus friable : celui-ci est plongé dans l’eau pour amorcer sa germination, puis séché à l’air chaud ou au feu de tourbe (une sorte de terre issue de la fossilisation des végétaux dans les marais qui donne au whisky un goût légèrement fumé). La distillerie compte sur l’ouverture imminente d’une malterie plus proche encore, à Romans-sur-Isère, nouveau maillon d’une filière locale en construction, des agriculteurs aux distillateurs et micro-brasseries qui fleurissent sur le territoire.

Grains d'orge maltée et grist. © Angela Bolis

Distillation à basse température

Retour dans les entrailles de la fabrique : le malt d’orge est concassé dans un moulin, qui crache une farine grossière appelée grist. Ce grist est aspiré vers la « salle des machines », cœur fumant de la distillerie, où il est brassé avec de l’eau chaude pendant sept heures. En sort un jus ambré et sucré qui sera transmué en bière, grâce à la fermentation. Cette bière est ensuite, par deux fois, distillée. Une première fois dans un alambic en inox flanqué de tuyaux en colimaçon, de hublots et de manivelles, aux allures de Nautilus, le sous-marin de Jules Vernes.

C’est Éric, ancien ingénieur, qui a dessiné la machine. Avec une particularité : elle permet une distillation à basse température. Le liquide y bout à 50 °C, comme en haute altitude où la pression atmosphérique est faible. On a repris des techniques de parfumerie, précise Anne-Hélène. La distillation à basse température évite de cuire la céréale. Elle crée une ligne aromatique à part, légère, suave, très ronde en bouche. Le whisky n’est pas sec comme on peut s’y attendre. L’alcool sera ensuite de nouveau distillé dans un alambic en cuivre, à 100 °C cette fois, afin d’élever le taux d’alcool autour de 60°.

Alambics en inox et en cuivre pour la double distillation du whisky. © Angela Bolis

L’étape finale se déroule dans la cave, ancien jardin de légumes racines, désormais emplie de tonneaux en chêne. Les fûts neufs donneront au breuvage couleur et tanins ; les fûts « roux », déjà utilisés pour des cognacs, rhums ou bourbons, infuseront quelques notes vanillées et fruitées. Ils seront ensuite assemblés pour composer la recette propre à chaque cuvée. Mais avant, il faut patienter, laisser le temps au whisky de prendre de l’âge, de gagner en arôme et de perdre en alcool. On perd 2 à 3° par an par évaporation de l’alcool, explique Jeanne Genin, employée à la distillerie. On dit que c’est la part des anges, qui viennent boire dans les tonneaux. L’ivresse des anges ne suffisant pas à passer de 60° à 42° d’alcool, il faudra aussi diluer très progressivement le spiritueux à l’eau. C’est ici que l’eau de source du Vercors, non traitée et non filtrée, prend toute son importance.

Éric Cordelle, en cave, le temps que le jus devienne whisky. © Paul Eric

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Whiskocorico

La Distillerie du Vercors étant toute jeune, elle n’a mis en bouteille qu’une seule et première cuvée de whisky — l’appellation officielle requérant trois ans de vieillissement minimum. Rares sont les whiskies 10 ans d’âge d’origine France, la production nationale étant plutôt récente. Le premier single malt de l’hexagone a vu le jour en 1998, dans la distillerie de Warenghem en Bretagne, quand l’Écosse et l’Irlande, patries historiques de cette eau-de-vie, en produisent depuis des siècles. La filière française est néanmoins prometteuse : elle a quintuplé en dix ans et a dépassé en 2019 le million de bouteilles vendues, avec 86 distilleries en activité. Elle dispose d’ailleurs de précieux atouts : la France est la première productrice européenne de céréales, notamment d’orge brassicole, elle compte de nombreux fûts de chêne et un savoir-faire ancien en matière de vins et spiritueux… sans oublier un goût immodéré pour le whisky, spiritueux le plus consommé des Français.

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