Comme elles sont discrètes, immobilisées par leurs racines dans leur petit coin de terre… On ne se douterait pas, à les voir ainsi faussement passives, des étonnantes facultés que cachent les plantes, pourtant reines de l’interaction. Perception, mémoire, stratégies de défense : on épluche le très instructif CV d’un fantastique monde botanique.
J’ai l’impression d’être une plante verte… Combien ont illustré leur sentiment d’inutilité par cette analogie botanique, laissant entendre que le végétal… végétait. C’est bien mal le connaître – et assurément lui faire insulte. Il réserve même tant de surprises que les dernières découvertes scientifiques ont fait émerger un questionnement qui confine au fantasme : les plantes seraient-elles finalement douées d’intelligence ?
L’intelligence proprement dite, c’est la capacité d’abstraction et d’anticipation, rappelle Jacques Tassin, chercheur en écologie végétale et auteur du livre À quoi pensent les plantes ?. Il faudrait disposer d’un cerveau, ce que n’ont pas les plantes. Mieux vaut parler de sensibilité, d’ajustement, de perception. Mais nul besoin de les qualifier d’intelligentes pour rendre hommage à leurs capacités. Il y a suffisamment matière à s’émerveiller des plantes…
Interaction et coopération
Laissons donc de côté les réflexes anthropocentriques et la définition classique de l’intelligence, aujourd’hui essentiellement tournée vers l’homme. Reste que le champ d’action des plantes s’avère étonnamment vaste pour des organismes ancrés au sol. Des lianes à vrilles sont capables d’anticipation, des sensitives sont douées de mémoire, plusieurs plantes savent reconnaître leurs descendants directs parmi tous les individus de la même espèce – une sorte de sens de la famille, résume le botaniste Francis Hallé, spécialiste des plantes tropicales.
La plante se distingue essentiellement par sa capacité à interagir avec le reste du monde vivant.
La vision, l’olfaction, l’audition, le goût et le toucher sont maintenant admis, de même que quelques sens que les êtres humains n’ont pas. Autant de facultés que l’on pensait réservées à l’animal, et qui les dépassent parfois. La plante se distingue essentiellement par sa capacité à interagir avec le reste du monde vivant, affirme ainsi Jacques Tassin. Beaucoup plus que l’animal, qui est fermé sur lui-même au niveau ontologique. À l’image de la plante et du champignon qui vivent en symbiose, de l’arbre qui se sert des animaux pour disperser les graines de ses fruits, le monde botanique est celui de la coopération.
Sensibles, si sensibles
Cette capacité à tirer parti de l’environnement qui les entoure pour se nourrir, se protéger, se reproduire, est rendue possible par une sensibilité extrêmement fine de toutes leurs cellules. On connaissait déjà la sensibilité des plantes à la lumière, qui se révèle toutefois bien plus qu’une source d’énergie : Sans être capables de voir, les plantes perçoivent l’architecture des rayons lumineux progressant dans l’air, explique l’écologue. Ceux que réfléchit un objet voisin leur permettent ainsi de savoir s’il s’agit d’une plante ou non.
Mais elles disposent aussi d’un délicat sens tactile, à l’instar des plantes carnivores et des sensitives qui réagissent à une présence animale en repliant rapidement leurs feuilles. Et ne restent pas indifférentes aux vibrations des sons, comme la célèbre « plante qui danse » ou Desmodium gyrans, dont les folioles se meuvent visiblement lorsque s’élèvent quelques notes de musique dans l’air.
Un astucieux système de communication
La plante n’a pas plus de nez que d’oreille, mais elle est pourtant capable de capter les substances volatiles présentes dans l’atmosphère. Et ce n’est pas le moindre de ses atouts, puisqu’elle s’en sert pour se tenir informée – par exemple en cas d’agression. Le comportement d’un acacia d’Afrique du Sud en est un édifiant exemple : lorsque ses feuilles sont grignotées par les koudous (antilopes locales), l’arbre se défend en produisant davantage de tanins, toxiques pour le mammifère. Mais il émet aussi du gaz éthylène qui vient prévenir du danger ses congénères, lesquels se mettent à leur tour à fabriquer des tanins.
L’acacia a inventé un système de communication par voie aérienne, plus rapide et donc plus efficace en cas d’agression que de remonter toute la ramification. Il informe ainsi l’ensemble de son feuillage de l’agression pour pouvoir y répondre. Mais les voisins de l’acacia n’en sont informés que de manière opportune, ce n’est pas intentionnel – cela n’aurait pas d’intérêt au plan évolutif. Ce système d’alerte par émission de composés volatils n’en reste pas moins épatant et fréquemment utilisé comme stratégie défensive, à l’instar des feuilles de tabac qui se protègent des chenilles de sphinx en attirant leurs ennemis jurées : les punaises.
Anticiper les séismes grâce aux plantes ?
Mieux encore, certaines plantes réagissent à la répétition. Vous élevez une sensitive chez vous, donc à l’abri. Lorsque vous la sortez, elle plie ses feuilles à la première pluie avant de réaliser que ce n’est pas dangereux, raconte ainsi Francis Hallé. Elle laisse alors ses feuilles déployées. Vous la rentrez et la cultivez à l’abri de la pluie pendant cinq ans, puis vous la sortez à nouveau. Lorsqu’elle reçoit la pluie, elle ne plie plus ses feuilles. Elle a gardé le phénomène en mémoire. La plante se souviendrait-elle ?
Attention dans ce cas à ne parler de mémoire que si on la restreint à une trace chimique, pondère Jacques Tassin. Une trace qui reste parfois plusieurs mois ou plus, et permet à la plante de mieux s’ajuster à un événement équivalent à celui qu’elle a connu quelque temps plus tôt.
Nous pourrions aussi nous servir des plantes comme antennes chimiques pour connaître la composition de l’air, repérer des pollutions.
Si elles ne sont pas « intelligentes » selon l’actuelle acception du terme, les plantes font preuve de capacités qui laissent rêveur. Grâce à leur sensibilité aux vibrations, qui leur offre de percevoir les ondes sismiques, elles pourraient ainsi être utilisées comme antenne pour capter la survenue d’un événement sismique, imagine Jacques Tassin. Nous pourrions aussi nous servir d’elles comme antennes chimiques pour connaître la composition de l’air, repérer des pollutions. On sait également les animaux sensibles aux forces électromagnétiques, pourquoi les plantes ne le seraient-elles pas ?
Et l’écologue de rêver plus haut, invitant l’homme à s’inspirer d’une manière d’être au monde qui fonctionne merveilleusement bien pour sortir de ses propres cloisonnements. Et, sans tomber dans l’ésotérisme ou le fantasme, réinterroger les frontières du vivant : est-ce que l’on s’arrête à nos enveloppes corporelles ?
Article passionnant, mais quand vous dites « essentiellement tournée vers l’homme », qu’en est-il pour la femme?
Tout simplement fascinant…nous avons encore tellement à apprendre de notre environnement. Encore une raison de plus de le protéger.