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Manger, soigner

« Au peuple de choisir notre modèle agricole et alimentaire »

Une agriculture écologique dont les produits seraient accessibles à toutes et tous, quel que soit notre niveau de revenus : ce rêve éveillé, c’est l’objectif visé très sérieusement par le collectif Pour une Sécurité sociale de l’alimentation.

Le projet de Mathieu Dalmais, ingénieur agronome à l’origine du collectif Pour une Sécurité sociale de l’alimentation, consiste à la fois à aider les 8 millions de personnes dépendantes de l’aide alimentaire et à soutenir les producteurs vertueux. Grâce à un outil démocratique et innovant, vieux de près de 80 ans…

Votre modèle, c’est la Sécurité sociale telle qu’on la connaît ? Avec une carte Vitale de l’alimentation, qui rembourserait nos courses alimentaires à l’épicerie comme la carte Vitale rembourse aujourd’hui nos médicaments à la pharmacie ?

Oui, globalement, c’est ça l’idée. La nouvelle carte (mais ce pourrait d’ailleurs être la même avec des droits étendus) pourra être utilisée soit pour acheter de la nourriture sous forme brute, soit pour avoir accès à de la restauration collective, à hauteur de 150 euros par personne et par mois.

Où pourra-t-on dépenser cet argent ? On renvoie la discussion à des Caisses locales de Sécurité sociale de l’alimentation, avec des membres tirés au sort comme pour la Convention citoyenne pour le climat, qui décideront quels seront les produits concernés et les lieux où on pourra dépenser cet argent.

Enfin, le système sera financé par des cotisations sociales prélevées sur la valeur ajoutée de l’ensemble des activités économiques. Notre modèle est la Sécu telle qu’on l’a connue, avant 1967. On est partis sur cette idée parce qu’on a estimé, notamment à partir des travaux de Bernard Friot, que le régime de la Sécurité sociale de santé entre 1946 et 1967 est l’expérience la plus poussée à l’échelle internationale d’organisation démocratique par le peuple, sans l’État, d’un secteur économique. Nous réfléchissons à comment donner le pouvoir au peuple de décider quel doit être notre modèle agricole et alimentaire.

Une nouvelle carte dans nos portefeuilles ? © Collectif SSA

Vous semblez penser local et agir global : à l’heure où l’on voit se multiplier les circuits courts et d’autres initiatives pour dépasser l’inertie du système en place, vous ambitionnez de créer un mécanisme commun à 65 millions de personnes ! On est loin de la goutte d’eau du colibri…

La grosse limite de la consom’action, c’est que ça ne touche qu’une partie de la population, ce n’est pas généralisable. Aujourd’hui, tourner toute l’agriculture vers le bio ça veut dire, sauf si on entend se débarrasser de tous les pauvres, augmenter les bas salaires afin que tout le monde puisse se payer du bio. Ce qui veut dire baisser le pouvoir d’achat des plus riches.

Dire on veut l’accès pour tous à une alimentation de qualité, c’est forcément une politique de réduction des inégalités extrêmement forte. Il faut aller plus loin que le soutien aux initiatives locales. Entre celles-ci et l’intervention de l’État, nous imaginons une troisième voie. Ce n’est pas une innovation, ce n’est révolutionnaire que dans le sens où ça fait revivre le côté révolutionnaire de la Sécu.

Mathieu tourne partout en France avec une conférence gesticulée intitulée « De la fourche à la fourchette… ou l’inverse ? » © Refledame

Vous insistez sur l’universalité du système, pour que la Sécu alimentaire s’adresse à toutes et tous, et pas seulement aux plus pauvres. Bernard Arnaud aurait-il aussi sa carte vitale alimentaire ?!

On ne veut pas qu’il y ait de discrimination, même positive. Si on veut créer de la dignité dans l’accès à l’alimentation, on crée un mécanisme universel. Personne ne se sent assisté quand il utilise sa carte Vitale à la pharmacie, parce que c’est pour tout le monde pareil. Bernard Arnaud aura 150 euros par mois sur sa carte Vitale de l’alimentation, comme tout le monde, sauf qu’il contribuera un peu plus que les autres ! Ces 150 euros seront même dérisoires par rapport à ce qu’on lui prendra. C’est un système universel, que l’on peut beaucoup moins attaquer. C’est un des principes de la Sécu : De chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins.

Les mangeurs sont légitimes à donner l’orientation de la production.

Pour une enveloppe de 150 euros par personne et par mois, on parle d’un budget de 120 milliards d’euros par an. Où pourrait-on trouver une telle somme ? Il y a des gisements inutilisés ?

On pourrait bien sûr trouver des gisements, entre l’évasion et la fraude fiscale. Mais nous n’en avons même pas besoin. On a fait des calculs pour voir ce que ça donnerait en prenant le même type de cotisations que pour la Sécu, aujourd’hui basées sur les salaires. Et on est sur un mécanisme de réduction des inégalités : ce sont les plus riches qui payent la nourriture des plus pauvres. Pour que ce soit encore plus juste, on pourrait prendre des cotisations sur l’ensemble de la valeur ajoutée, donc également sur la plus-value des entreprises, qui n’est pas soumise aux cotisations sociales aujourd’hui.

Quelle serait la place des producteurs dans ce système ? On choisirait pour eux ce qu’ils doivent produire ?

Oui, je considère que la terre n’appartient pas à ceux qui la travaillent mais à ceux qui mangent. Les 28 millions d’hectares de la ferme France doivent être au service de la population. L’orientation des productions et l’utilisation des ressources naturelles doivent être le fruit d’un travail démocratique, impliquant producteurs et consommateurs au même niveau, en tant que citoyens. Il y aura des allers-retours entre les caisses locales et le monde agricole, mais ce n’est pas aux gens qui travaillent de décider seuls de ce qui doit être produit.

On est aujourd’hui dans une illusion de liberté où tout le monde est finalement dépendant du marché. Nous proposons plutôt au monde agricole de discuter de ses dépendances avec la société civile organisée. Les gens ne sont pas producteurs uniquement parce qu’ils en ont envie, ils le sont parce qu’il y a d’autres gens qui mangent. Et ces mangeurs sont légitimes à donner l’orientation de la production.

Les groupes locaux qui préfigurent les caisses de Sécurité Sociale de l’Alimentation sont réunis dans le Collectif SSA, un réseau d’échanges et de réflexions national. © Aurélien Culat

Votre idée et vos travaux ont un écho au plus haut niveau politique national ?

Aujourd’hui, il n’y a pas de vrai objectif de l’État pour sortir de l’aide alimentaire. Et même si l’on a eu des échanges très chouettes avec des membres du Sénat et de l’Assemblée, il n’y a pas eu de proposition de loi aboutie. Il faut une Assemblée Nationale ouverte à ces questions, et on sait que ce ne sera pas possible avant 2027, sauf élections anticipées. Il faut faire de l’éducation populaire et attendre qu’une transformation politique se mette en place.

La Sécu s’est montée au sortir de la guerre grâce au réseau de bénévoles de la CGT sur tout le territoire. Comment trouver autant de personnes pour remonter des caisses locales ?

C’est l’idée des groupes locaux que l’on monte partout en France. Il y a déjà des initiatives locales qui s’inspirent des principes de la Sécu sociale de l’alimentation, comme des AMAP avec un abonnement variable sous condition de ressources. Et puis il y a deux expérimentations qui sont menées à Montpellier et dans le Vaucluse, où des citoyens ont déjà constitué des caisses locales. Là on est vraiment dans de l’expérimentation, et ça suscite beaucoup d’intérêt et de participation dans la population.

Notre travail est maintenant de proposer une loi cadre qui permettrait l’expérimentation en bonne et due forme, avec des cotisations, dans certaines collectivités locales. On peut s’appuyer sur les personnes impliquées dans toutes les démarches de mobilisation citoyennes, de circuits courts, d’agriculture paysanne. Et il ne faut pas oublier que l’aide alimentaire, c’est 200 000 bénévoles qui se lèvent tous les matins pour que personne ne meure de faim. Le vivier de personnes intéressées par ces questions d’agriculture et d’alimentation, il existe déjà.

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  1. Une sécu alimentaire, pourquoi pas ? Le problème, c’est l’éducation au mieux manger et à la cuisine, car faire la cuisine maison coûte moins cher et est meilleure pour la santé.
    Ce qu’il faudrait surtout, c’est créer un service « agricole » obligatoire, comme on avait instauré le service militaire pour faire la guerre, on pourrait instaurer un service agricole après bac, qui enverrait tous les jeunes se connecter avec la terre et comprendre ce lien vital qui nous nourrit et nous unit à elle. Le lien entre la terre cultivée et l’assiette est encore loin d’être concret pour une grande partie de la population.
    Voilà pour le partage de ma pensée.
    Pas de planète B !! Unissons-nous à la terre qui nous nourrit et chérissons-la.
    Bien à vous tous et merci pour la diffusion des idées et actions concrètes.

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