Permaculture, agriculture raisonnée, agroforesterie… Dans l’agriculture, les concepts fleurissent chaque année avec le printemps. Parmi les petits derniers, l’agroécologie. Voici idées et principes à retenir pour faire le tour d’un mouvement qui pourrait un jour dépasser la bio.
C’est quoi l’agroécologie ?
C’est à la fois une discipline scientifique, un mouvement social et un ensemble de pratiques agricoles. C’est l’écologie adaptée à l’agriculture. En fait, c’est carrément l’agriculture de demain, comme l’a officiellement reconnu l’ONU il y a un an.
L’agroécologie s’appuie tout simplement sur les outils que nous procure la nature (comme les pollinisateurs qui se chargent de transformer des fleurs en fruits) pour cultiver, produire, élever, tout en préservant l’environnement. Voire même en l’enrichissant car, sur le long terme, il s’agit de sauvegarder ses capacités de renouvellement, sa résilience, lorsqu’il est malmené face aux catastrophes climatiques. Catastrophes en partie déclenchées par… l’agriculture telle qu’elle est pratiquée massivement depuis soixante-dix ans.
C’est pour faire du bio en fait ?
En France, le terme d’agroécologie reste encore effectivement dans l’ombre de celui d’agriculture biologique. Les deux notions sont liées mais pas synonymes. D’abord, attention : l’agroécologie n’est pas un label ! Elle ne repose pas non plus sur des cahiers des charges mais sur des principes, ce qui est plus flou et laisse cours aux interprétations. Ainsi, pour beaucoup de spécialistes, l’agroécologie ne proscrit pas totalement les produits chimiques, elle vise à réduire leur recours voire à s’en passer totalement. Mais pour d’autres, les phytos chimiques sont bannis.
Concrètement, une ferme agroécologique modèle, ça ressemble à quoi ?
C’est une ferme avec plein de vers de terre, meilleur indicateur d’une terre riche ! Il y a plusieurs points clés. L’un d’entre eux, c’est la biodiversité, à travers par exemple la réintroduction du bocage (qui forme un merveilleux habitat pour certaines espèces souvent auxiliaires de culture), l’élevage de quelques bovins, la diversification des semences (synonyme de robustesse et de qualité nutritive dans l’assiette).
Deuxième impératif : le respect des sols. Fertilisation verte, préservation de l’humidité, produits phytosanitaires réduits voire supprimés au profit de méthodes alternatives (des plantes de service par exemple), etc. Le minimum en agroécologie, c’est la couverture des sols, insiste Lionel Ranjard, directeur de recherche à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) et spécialiste du sujet. Un sol nu déclinera forcément, il sera soumis à toutes les agressions climatiques, dépourvu de l’apport organique des plantes. La terre labourée ne conserve plus la vie microbienne souterraine et libère le carbone qu’elle est censée stocker pour s’enrichir et stopper le réchauffement. À ce titre, le mariage entre une agriculture dite de conservation des sols et l’agriculture bio, en réalité très agressive pour les sols qui sont souvent trop labourés, peut être intéressant.
Bien d’autres aspects fleurissent du cadre bucolique de l’agroécologie : diversification des cultures, retour de la polyculture-élevage, du fourrage et de la production de protéines pour nourrir le bétail plutôt que d’importer. L’agroécologie favorise également les interactions entre les organismes des écosystèmes, grâce à l’agroforesterie, par exemple. Les arbres apportent une quantité de choses : ils font barrage au soleil trop intense (ou apportent simplement de l’ombrage au bétail et plantes inférieures), au vent, ils captent mieux les précipitations à travers leurs racines, celles-ci nourrissent et retiennent les sols, leurs branches accueillent les rapaces qui régulent les attaques d’insectes, et leurs feuilles fournissent de la biomasse en tombant au sol, comme leurs racines qui se décomposent sous terre. Bref, ils développent tout un écosystème essentiel, argumente l’agroécologiste Linda Bedouet, auteure de Les Néo-Paysannes et de Créer sa micro-ferme : Permaculture et Agroécologie (éditions Rustica).
Il y en a combien d’agriculteurs en agroécologie en France ?
C’est impossible de donner un chiffre précis étant donné que n’importe quelle ferme peut revêtir des aspects agroécologiques et que les définitions font débat. L’agroécologie se pratique à l’heure actuelle sur des surfaces limitées, type micro-fermes ou structures légèrement plus grandes. Car l’idée, in fine, c’est l’autonomie vivrière du paysan avec en toile de fond l’objectif de souveraineté alimentaire d’un territoire. Cependant, estime Lionel Ranjard, l’agroécologie ne s’entend pas seulement à l’échelle locale ! Techniquement, elle peut assurer une production sur de grands domaines, pour approvisionner un large réseau de distribution.
Mais humainement souhaitable ? Quelle est la place des hommes et les femmes dans ce projet ?
L’agroécologie comprend une forte dimension humaine, répond Linda Bedouet. À partir de quelle taille considère-t-on qu’une exploitation, devenue entreprise, reste humaine ? Si l’agriculteur redevient un conducteur d’engins, où sont la cohérence et la durabilité ? Les puristes se posent ces questions. D’autant que les exploitations tendent à s’agrandir quand les professionnels de l’agriculture sont moins nombreux et toujours plus éloignés de leurs champs. Un phénomène qui favorise l’utilisation de ressources non naturelles pour faciliter le travail des cultures. Avec l’agroécologie, les agriculteurs redeviennent autonomes. Ils en ont marre d’être sous perfusion, ils veulent réfléchir et retrouver du sens à leur métier, remarque Lionel Ranjard.
L’agroécologie, c’est comme la permaculture ?
Leur point commun, c’est l’approche systémique, globale. La permaculture est plus large et s’applique à d’autres domaines du quotidien : la santé, les monnaies, l’éducation, la construction d’habitats, etc. L’agroécologie reste circonscrite à l’agriculture et à l’alimentation.
Qui en est à l’origine ?
Ses racines, latino-américaines, sont socio-politiques et nées du mouvement paysan Via Campesina. L’agroécologie s’érige contre le système de production actuel, hérité de la révolution verte, qui arrive à bout de course et n’arrive plus à alimenter l’insatiable marché de consommation. En 1995, Miguel Altieri puis Stephen Gliessman ont conçu les premières définitions de l’agroécologie. Altieri avait posé cinq principes, le mouvement des Colibris de Pierre Rabhi, incarnation de l’agroécologie française, en reconnaît douze. Si l’acception d’agroécologie est ouverte et caution à débat, ces principes constituent un socle commun.
Du coup, l’agroécologie, c’est un retour en arrière ou bien une innovation ?
L’agroécologie souhaite repartir sur des bases d’antan mais dans le but de mieux répondre aux demandes du monde d’aujourd’hui. Elle a besoin de la recherche pour penser le modèle. D’autant que l’agroécologie, c’est un ensemble de principes et de pratiques à adapter à chaque parcelle qui présente un écosystème unique (géologie, ressources hydrauliques, faunes…). Il faut équiper les agriculteurs en outils de mesure simples pour évaluer leurs actions, préconise Lionel Ranjard.
L’agroécologie peut-elle, demain, nourrir une planète de 9 milliards d’humains ?
Oui, affirme sans ambages Philippe Pointereau, même s’il pointe que cette méthode agricole ne donne pas autant de rendements que la conventionnelle, du moins en Europe. Le directeur du pôle agroenvironnement de Solagro a coécrit l’un des seuls rapports prospectifs sur le sujet et suivant un scénario tendanciel ; intitulé Afterres 2050, il est consulté dans les instances publiques concernées. Il part d’une condition pour réussir : la réduction de notre consommation de protéines animales. Moins de viande rouge (500 g/semaine max), deux produits laitiers par jour au lieu de trois, comme le recommande l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, ndlr). Dans ce même rapport, un économiste établit que le scénario pourrait permettre le maintien de 57 000 emplois dans l’agriculture à horizon 2030 (alors que l’agroalimentaire en perdrait 60 000).
La transition écologique est un virage à prendre, pas une rupture, conclut le scientifique Lionel Ranjard. Pour cela, il faut fixer des objectifs de résultats environnementaux et économiques et que tout le monde s’y mette. Il faut remplacer la vente de produits chimiques par la vente de conseils techniques – les agriculteurs sont demandeurs ! – puis développer des filières et diffuser les connaissances.
Très intéressant j’aime bien merci de voir qu’il y a ceux qui aime la nature comme moi
Merci pour cet article très bien écrit !
Il rejoint la vision de l’agroécologie portée par le dictionnaire d’agroécologie http://www.dicoagroecologie.fr : une ressource web qui vise à définir les termes et concepts de l’agroécologie. Les définitions proposées ont été débattues et validées entre scientifiques de plusieurs disciplines, elles sont complétées par des vidéos illustrant le concept et impliquant des acteurs de terrain.
Et comme le rappelle l’article : « l’acception d’agroécologie est ouverte et caution à débat », le dictionnaire d’agroécologie est évolutif et participatif : un espace commentaire permet d’apporter des éléments, des visions, d’ouvrir le débat, et chaque définition peut évoluer en fonction de ces échanges.
N’hésitez pas à aller y faire un tour et à nous contacter pour échanger sur le sujet !
Merci pour votre exposé très clair.
C’est un avenir meilleur pour la culture et que nous espérons et encourageons.
Jean Noel
Merci monsieur.