Oui, la bière est bien une affaire de blondes, de rousses ou de brunes. Bref, de femmes. La pratique remonte à un paquet de siècles, à l’époque où l’on ne sait plus si on cultivait le blé pour fabriquer de la bière ou bien du pain. Retour sur ce savoir-faire féminin qui ne s’est jamais trop fait mousser.
Depuis quelques années, les découvertes scientifiques se multiplient concernant les origines de la fabrication de la bière. Grâce notamment à l’analyse archéologique d’anciens textes et récipients, on en apprend plus sur les pionniers de la brasserie, notamment à Sumer, dans l’ancienne Mésopotamie.
Cette région est l’un des berceaux de l’écriture, de l’agriculture, de notre civilisation néolithique et, plus important encore, l’un des berceaux de la bière. Le médecin, biologiste et belle voix de radio Jean-Claude Ameisen a consacré fin 2018 une série d’émissions aux origines de la bière et à la bière de Sumer.
Pain ou bière ?
Il nous apprend par exemple que les premières bières, non filtrées, se buvaient à la paille. Il y interroge également les origines de la culture des céréales par nos premiers ancêtres sédentaires. Avec notamment des questions étonnantes : les premiers humains qui ont cultivé du blé l’ont-ils fait pour fabriquer du pain ou pour produire de la bière ?
Enfin, contrairement à une vieille idée reçue, il rappelle que la bière a dès ses débuts été une affaire de femmes. Ainsi, les plus anciens textes de loi retrouvés dans les différentes cités de Sumer mentionnent tous les règles qui encadrent l’activité des femmes brasseuses et tavernières. Par ailleurs, la divinité de la bière était la déesse Ninkasi, celle qui remplit la bouche. Et L’hymne à la déesse Ninkasi – une chanson gravée sur des tablettes d’argile et qui datent d’au moins 3800 ans – chante non seulement les louanges de la déesse mais sert aussi d’aide-mémoire pour retenir les différentes étapes de la fabrication de la bière. La recette démarre avec la fabrication d’un pain de farine d’orge qui est cuit deux fois, trempé dans l’eau, fermenté et mélangé avec des herbes aromatiques.
Chaudron et balai
Dans la longue histoire de la fabrication de la bière qui a suivi, les femmes ont continué à jouer un rôle central dans le développement des méthodes et savoir-faire. C’est l’un des sujets d’un livre publié en 2018 aux États-Unis, Brew Beer Like a Yeti (« Brasse comme un Yéti », Chelsea Green Publishing). Son auteur, Jereme Zimmerman, tente sur son blog et dans ses ouvrages de redécouvrir et réhabiliter les différentes méthodes ancestrales de fabrication de la bière. Il détaille dans son livre : En Europe, au Moyen Âge, la brasserie, la production de céréales et le maltage étaient des tâches domestiques, de même que la préparation des aliments et l’entretien des cultures. La plupart du temps, les femmes dirigeaient ces opérations. Les femmes au foyer étaient souvent aussi les herboristes de leur communauté. Comme beaucoup de leurs bières étaient faites avec des combinaisons à base de plantes ayant des qualités médicinales spécifiques, les citadins s’adressaient aussi à ces femmes pour les aider à résoudre leurs problèmes de santé.
Ces femmes correspondaient beaucoup à l’image des sorcières avec leur chaudron, leurs plantes et même le balai, explique Jereme Zimmerman. Le balai placé devant la porte était en effet censé indiquer quand la bière était prête ! Cette tradition s’est ensuite perdue entre la fin du Moyen Âge et la fin du siècle dernier à mesure que la brasserie est passée d’une tâche « ménagère » à une entreprise commerciale rentable.
Fort heureusement, cette histoire connaît ces dernières années un nouveau rebondissement. La brasserie artisanale connaît un énorme essor dans de nombreux pays, dont la France, grâce notamment aux microbrasseries et au brassage à la maison. À ce titre, la spécialiste de la bière Elisabeth Pierre contait dans une interview au Figaro : Depuis quelques années, avec la mode du retour aux sources et du do it yourself, on observe un phénomène totalement sidérant : les brasseries artisanales réapparaissent par centaines. (…) Parmi ces créations, une bonne centaine ont été créées par des femmes qui ont cette passion de la bière. La figure de la sorcière est également réhabilitée, notamment par le courant écoféministe (on vous conseille notamment cette passionnante conférence à ce sujet organisée par la revue Billebaude).
La prochaine fois que vous buvez une bière, remerciez votre brasseuse, pensez à toutes les femmes qui ont contribué, génération après génération, à ce délicieux breuvage. Santé !
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