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Gardiens de la biodiversité alimentaire

Gwen et Vincent, apôtres de la vache bretonne

Avec ses vaches Pie Noir, ses sabots et sa messe en breton, c’est tout un patrimoine que la famille Le Roux fait revivre dans le pays de Lorient. Des paysans à l’ancienne qui ont l’avenir devant eux.

Au marché bio de Lorient, on vous parle en français comme en breton de la fameuse vache Pie Noir. ©Thomas Louapre

Sur le marché bio de Lorient, on repère facilement le stand des Le Roux : toute la famille est là. La maman Gwenn, son bébé dans les bras, discute avec les clients ; l’aînée, Loeiza, met les œufs dans les boîtes, sa petite sœur Bleuenn joue à l’arrière de la camionnette. Vincent, béret vissé sur la tête, emballe la tomme et les yaourts pour les clients. Au-dessus de sa tête s’affiche, en breton, le slogan de la ferme de la Trinité. Traduction pour les francophones : « Vache du pays, lait du pays ». Et la vache du pays de Lorient, c’est la Pie Noir. Avec sa robe noire et blanche, sa tâche en étoile sur le front et ses cornes en forme de lyre, c’est la plus petite de France, 1 m 20 au garrot. Une sorte de vache de poche qui revient de loin grâce à des éleveurs comme Gwen et Vincent.

Illusion est particulièrement curieuse. ©Thomas Louapre

Précurseurs et tradis

« Jusque dans les années 1960, la Pie Noir était une des principales races françaises. Chaque famille avait la sienne. On exportait partout, dans les Antilles, en Afrique du Nord, même dans le Limousin, dans les pays qui n’avaient pas de tradition laitière », assure Vincent. Mais la disparition du mode de vie paysan et la diffusion de la race hollandaise Holstein, bien meilleure laitière, a rapidement eu raison de la polyvalente bretonne. Sur les 100 000 Pie Noir que comptait le pays en 1960, il n’en restait que 311 en 1976, lorsqu’a été lancé le premier programme français de sauvegarde d’une race bovine en péril. Aujourd’hui, le Groupement de la Bretonne Pie Noir soutient toujours l’installation des éleveurs et centralise les croisements pour assurer la diversité génétique des troupeaux. On compte plus de 1 200 têtes. « Ce n’est plus une vache en péril, c’est une vache en relance », s’enthousiasme Vincent.

Gaellig et son veau, né il y a trois heures en plein champ. ©Thomas Louapre

Pour les Le Roux, installés depuis moins de deux ans à Quéven, il était hors de question d’élever d’autres vaches. Tout juste acceptent-ils une Froment du Léon, originaire de Bretagne nord et menacée d’extinction, pour aider à la conservation de la race. « On a une race qui existe depuis plus de 1 500 ans, et chacune est adaptée à son territoire. Nous nous sentons vraiment du pays de Lorient, nous sommes ancrés dans un territoire, nous ne sommes pas des citoyens du monde interchangeables », explique Vincent, qui a mis les petites à l’école bretonne. À la messe qui a lieu tous les mois dans l’église du hameau, on peut l’entendre chanter breton, accompagné par Gwenn à l’orgue. A l’entrée de la maison, il y a une paire de sabots pour chaque membre de la famille.

« Pour nous, être « gardien de la biodiversité », cela s’ancre dans le local aussi bien dans l’espace que dans le temps, assure Gwenn. D’où notre grand intérêt pour les traditions d’ici : les vaches, mais aussi la langue, la musique et une certaine forme de ruralité. » Les deux ont appris le breton sur le tard : « Il y a eu un hiatus, une coupure à la génération de nos parents. Et la Pie Noir y est passée en même temps. Nous faisons des choses qui allaient de soi il n’y a pas si longtemps, mais nous sommes des précurseurs. »

Les œufs de 150 poules pondeuses, nourries au petit-lait, fournissent un complément de revenu aux produits laitiers. ©Thomas Louapre

Huit vaches et des coûts fins

En guise de troupeau, la famille se contente de 8 vaches. Et l’objectif est fixé à une douzaine de bêtes, pas plus. Comment dit-on « small is beautiful » en breton ?! « Elles donnent trois fois moins de lait qu’une Holstein mais on peut mieux le valoriser en transformation et en vente directe, jusqu’à 5 euros le litre », explique Gwenn. Les rustiques Pie Noir demandent aussi un minimum de soin et d’investissements : elles passent l’hiver dehors, mangent ce qu’elles trouvent, ne tombent jamais malades. Les œufs des 150 poules fournissent un complément de revenus aux produits laitiers. « Il ne faut pas trop en vouloir, assure l’éleveuse. C’est un choix : il y en a qui préfèrent avoir plus d’emprunt et un équipement opérationnel tout de suite. Nous, nous avons très peu de remboursements, on se sent moins pris à la gorge. »

Non, le bébé n’est encore jamais tombé dans le caillé. ©Thomas Louapre

Dans la fromagerie, Gwenn retrouve les recettes traditionnelles, comme le gwell, mi-yaourt, mi-fromage frais, le produit phare de la Pie Noir. Son bébé sous le bras, sur un air de clavecin, elle prend le temps, celui nécessaire pour que s’opère la magie du lait. « On pourrait aussi se dégager 2 heures de plus par jour en se levant plus tôt, en mettant les petites à la garderie, en ne faisant pas d’apéro en amoureux. Mais la meilleure chose à faire, c’est d’avoir une famille qui roule avec des enfants heureux. C’est ça notre militantisme. » Agrégée de lettres classiques, Gwenn était encore l’an dernier responsable d’une bibliothèque. « Je ne retournerais pas à mon ancien travail, glisse-t-elle avec douceur. Je suis trop heureuse ici, avec mes fromages et mon bébé. »

Pour découvrir la plus petite race de France et faire un tour à la ferme, feuilletez l’album photos de Thomas Louapre.

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