fbpx

Calendrier sur un plateau

Fromages de saison, fromages de raison

Il n’y a pas que les tomates qui ont leur saison, les fromages aussi. Exiger les mêmes frometons toute l’année incite ceux qui les produisent à aller à l’encontre de pratiques naturelles et artisanales pour répondre à nos attentes. Mise au point sur la mise à l’herbe et les cycles de lactation pour faire entrer le calendrier fromager dans votre cuisine.

Fromage et pâturage

Comprendre les saisons du fromage, c’est d’abord saisir les saisons tout court. Certaines appellations exigent que le lait provienne d’animaux qui ont gambadé dans les prés. Or, l’hiver ça caille et les bêtes sont souvent rentrées dans l’étable. En revanche, au printemps, les prairies verdissent, les animaux sortent et pâturent. Le lait des vaches, dont les molécules de gras fixent le carotène, ne ment pas : il jaunit dès qu’elles “sont à l’herbe”. Celui des brebis et des chèvres, s’il ne se colore pas, s’enrichit de la même manière : toute la diversité de la flore naturelle, notamment en alpage, se transmet alors au lait et donc aux fromages, donnant une palette aromatique plus complexe.

D’un point de vue purement gustatif, on doit admettre que la maîtrise actuelle des paramètres de production – notamment l’ajout de ferments exogènes et de calcium – a largement gommé les différences de textures et d’arômes liées aux saisons pour la plupart des fromages. Rappelons également que ce n’est pas parce qu’une chèvre parcourt dans la garrigue que le fromage développe un goût de thym : ce dernier s’explique le plus souvent par l’ajout d’une huile essentielle. Il est par contre incontestable que le pâturage fasse carton plein du point de vue du bilan carbone et du bien-être animal. En effet, une prairie sur laquelle pâturent vaches, chèvres et brebis stocke de grande quantité de CO2 : d’après l’Institut national de recherche agronomique (INRA), ce stockage de carbone compense plus de 75 % du méthane lié à la digestion de l’herbe par les ruminants. Et quoi de plus plaisant que de voir les animaux brouter tranquillement le nez au vent ?

Ainsi, certaines AOP restreignent les périodes de production à ces moments privilégiés de l’année : le salers ne peut être fabriqué qu’entre le 15 avril et le 15 novembre, l’étivaz du 10 mai au 10 octobre et le beaufort chalet d’alpage de juin à octobre au-dessus de 1500 mètres. La plupart des cahiers des charges des appellations imposent également un nombre de jours de pâturage et fixent en hectare la surface agricole minimale consacrée à chaque animal.

La saison des amours

Pour fabriquer un fromage, il n’a échappé à personne qu’il fallait du lait. Et que pour qu’il y ait du lait, un petit devait naître. Or, à l’inverse des vaches, les chèvres et brebis ont des périodes de lactation bien précises dans leurs conditions naturelles : ce sont des animaux “saisonnés” dont le cycle des chaleurs détermine les mois de production.

Les brebis ont une période de lactation annuelle allant de cinq à sept mois. Sa période de reproduction s’étale de mai à octobre selon les régions et les pratiques : pour mieux répartir la production annuelle, les éleveurs peuvent donc échelonner les luttes et les inséminations. La saisonnalité de cet animal a peu de conséquences sur nos rayons fromagers puisque nous raffolons surtout de leurs tommes (notamment l’ossau-iraty) et de leurs pâtes persillées (le fameux roquefort) : deux familles de fromage au potentiel d’affinage long de plusieurs mois, ce qui permet de les retrouver toute l’année. Jeunes et doux de janvier à avril, bien plus corsés à partir d’octobre. Il ne vous reste plus qu’à vous renseigner auprès de votre crémier-fromager selon vos goûts.

La chèvre s’avère être un dossier bien plus complexe puisque nous raffolons de ses fromages frais et crémeux. Or, elle ne se laisse conter fleurette par un bouc qu’à l’automne, quand les jours diminuent et qu’elle dort davantage, sécrétant ainsi de la mélatonine qui lui donne terriblement envie de se reproduire. Et c’est ainsi qu’au mois d’octobre, les chèvreries se transforment en d’incroyables lieux de débauche. Les petits chevreaux naîtront en février et seront sevrés au retour du printemps et donc de l’herbe. Logique. En résumé, les chèvres donnent leur lait seulement de début mars à début décembre, avec un pic de lactation au printemps.

Novembre toute l’année

Comment se fait-il alors que nous trouvions sur nos étals hivernaux de beaux fromages de chèvre ? Eh bien, les éleveurs désaisonnent les troupeaux. Pour cela, il existe trois méthodes : la lumière, la lactation longue et les hormones. La première, basée sur le photopériodisme, consiste simplement à reproduire la diminution de la durée des journées via l’éclairage à l’intérieur de la chèvrerie : se croyant en automne, la partie du troupeau “traitée” décalera sa période de reproduction. Cette technique n’exclue pas la mise à l’herbe et se révèle plutôt respectueuse.

Dans la seconde méthode, on poursuit la traite des chèvres sans les tarir pendant plusieurs années en prenant soin d’adapter leur alimentation afin qu’elles restent en lait sans avoir à mettre bas chaque année. Les meilleures laitières peuvent poursuivre leur lactation sur quatre ans voire davantage et produisent ainsi un lait hivernal tout en évitant les complications et la fatigue liées à la naissance d’un nouveau chevreau.

La dernière méthode, hormonale, pose autrement plus problème : il s’agit d’injecter de l’ECG (Equine Chorionic Gonadotropin) pour déclencher les chaleurs. Le mode de production de cette hormone, prélevée sur des juments enceintes, porte incontestablement atteinte au bien-être animal : les femelles sont engrossées, saignées durant les trois premiers mois de leur gestation puis avortées dans ces “fermes à sang” où les contrôles vétérinaires sont plus que sporadiques, notamment en Amérique du Sud. Si vous souhaitez acheter des fromages de chèvre en vous assurant qu’elles n’ont pas été traitées aux hormones, tournez-vous vers l’agriculture biologique qui interdit cette pratique ou achetez en circuit court, vous pourrez ainsi discuter avec votre éleveur préféré en direct.

Antisèche estivale

Vous préférez respecter les périodes naturelles de reproduction caprine mais vous n’êtes pas sûr de tenir l’hiver ? Mon astuce : goinfrez-vous de chèvres frais au printemps et en été. Le reste de l’année, faites des stocks de crottins bien secs dont les arômes raviront vos papilles sur fond de délicieux picotements, et tournez-vous vers les tommes de chèvre au potentiel d’affinage plus long.

En conclusion, pour nos amis les bêtes comme pour la planète, privilégiez chèvres et brebis frais au printemps, à l’été ruez-vous sur les fromages à pâte filée comme la mozzarella, et réhabilitez le reblochon ; à l’automne, succombez aux belles tommes de vaches ou de brebis, et en hiver, fondez pour les pâtes pressées cuites comme le comté et le beaufort en faisant varier les durées d’affinage. Comme tous bons consommateurs avisés, n’oubliez pas de vous renseigner sur les conditions d’élevage et de fabrication. Et de la même façon que vous retrouvez vos tomates adorées au retour des beaux jours, prenez plaisir à vivre les saisons au rythme des fromages.

5 commentaires

Close

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  1. Il est toujours un peu délicat de se renseigner sur les conditions d’élevage des animaux. Ca nest pas si courant, on nous regarde bizzarement et les commerçants nous répondent ce qu’ils veulent. C’est pourtant essentiel cette question du bien-être animal.

  2. Merci d’avoir raffraichi nos mémoires pour ces saisons fromagères. J’en avais bien besoin! Je ferais d’avantages attention à mon choix au niveau des fromages.

  3. Je suis carrément d’accord avec Annalisa !! Ne pourriez vous pas nous pondre un petit pdf à ce sujet ? Ça serait du plus bel effet à côté de la liste de courses ! Et merci pour votre travail qui nous en apprend tous les jours un peu plus !

  4. ce serait génial avoir un calendrier de fromages et leur bonne saison comme parfois on en trouve pour les légumes.

    Celui des légumes est collé au frigo depuis longtemps et m’a permis d’expliquer aux enfants pourquoi les tomates (et autres choses) ne sont pas bonnes en hiver et donc qu’il ne faut pas les acheter.

Recevoir le magazine

1 newsletter par quinzaine.
No pubs, Pas de partage de donnée personnelle

Oui ?

Recevoir le magazine

1 newsletter par quinzaine.
No pubs, Pas de partage de donnée personnelle