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Pause canopée

À Nantes, une jungle née en pot sur les toits d’immeubles

Un artiste a colonisé les toits des immeubles voisins de son appartement nantais avec des plantes en pot. Loin de la jungle urbaine, celle-ci invite au calme intérieur au cœur de la ville, dans un poumon verdoyant.

Evor a récupéré des centaines de pots et contenants, quasiment invisibles à l'œil nu tant la végétation est luxuriante. © Evor

C’est une jungle à découvrir au détour d’un petit passage urbain, non loin de la place du Bouffay, en plein centre-ville de Nantes. On la contemple après avoir grimpé un escalier de bois. Alors, entre les immeubles, apparaît une canopée. Et le regard s’égare entre les nuances de vert. L’expérience est déconcertante et impose à la plupart des passants un ralentissement bienvenu. Les essences se distinguent peu à peu : des saules, des agaves, des papyrus et des bananiers. Et puis des magnolias, des arbousiers, des petits sedums mais aussi du lierre et des fougères. Difficile à croire quand on les a sous les yeux : toutes ces plantes s’épanouissent sans aucun accès au sol. Elles ont été plantées en pot sur le toit par un locataire voisin.

Au détour d'un passage, les passants sont invités à faire une pause pour admirer une improbable jungle intérieure. © Evor

Cet artiste plasticien et passionné de plantes, surnommé Evor, a commencé sa colonisation verte il y a quatorze ans. Au départ, il a simplement placé quelques pots dans la petite cour de son immeuble. Depuis, sa passion et son emprise végétale n’ont cessé de s’étendre sur les toits des bâtiments adjacents : J’ai commencé à grimper sur les toits à l’aide d’échelles et à y placer des plantes. Personne ne m’a arrêté, alors j’ai continué. J’ai eu la chance de bénéficier d’une grande tolérance dans la copropriété, qui a été très cool pendant toutes ces années.

La surface du toit avant... et après. En quelques saisons, Evor a fait de ces toits tristes une véritable canopée. © Evor

Du nez pour du pot

Pour réaliser cette prouesse, il a donc d’abord fallu des contenants. Plusieurs milliers de pots, du petit godet pour semis à l’énorme jardinière capable d’accueillir un arbre. Une bonne partie a été trouvée grâce au système D, dans les rues, dans les poubelles ou en récupérant les pots laissés par des professionnels du coin. De même pour les plantes : l’artiste récolte par centaines les graines et les boutures dans les rues, les jardins publics et dans les parcs. Il sait être à l’affût en permanence : Je sème énormément de graines, j’adopte les plantes abandonnées, je récupère les tailles à la période des élagages et j’en fais des boutures.

Son goût pour la cueillette et la collecte semble être un mode de vie, une habitude qui l’accompagne lors de chacun de ses déplacements. C’est en tout cas un héritage de son enfance : Quand j’étais petit, j’étais tout le temps dans la nature. Ma chambre était devenue un vrai cabinet de curiosités. Je récoltais des chenilles à l’état de chrysalide et je les observais se transformer. Je dévorais des livres pour mieux comprendre les plantes et les insectes. J’adorais ça.

Pour l'artiste, ce travail est à la fois une quête esthétique et un engagement citoyen. © Evor

Aujourd’hui, poussé par la même passion, il prend soin plusieurs heures par jour de ce qu’il appelle tout simplement son jardin — un mot noble. À travers son travail, il poursuit aussi une quête esthétique alliée à un engagement citoyen : Je suis extrêmement attentif à la composition, au déploiement des plantes dans l’espace, dans une logique proche de la sculpture. Et ce jardin apporte une possibilité de se reconnecter aux éléments, aux saisons, ainsi qu’une possibilité de ne rien faire d’autre que de contempler. Il montre aussi que pour jardiner on n’a pas forcément besoin de labourer, pas besoin d’arracher les mauvaises herbes et pas besoin d’utiliser des traitements. Ces valeurs et cette esthétique ont séduit le quartier : les voisins se réunissent pour des apéros au milieu des plantes et un mariage y a même été célébré par des habitants de l’immeuble.

Plusieurs heures par jour sont consacrées au jardin. © Evor

Du temps et de l’argent

Pour parvenir à ce résultat exceptionnel, Evor a longtemps consacré à son jardin la majorité de son temps libre (pour multiplier les plantes et les arroser), et de ses économies (pour acheter chez des pépiniéristes des plantes rares, originales ou difficiles à multiplier soi-même). Depuis 2018, il est rémunéré par sa copropriété et par l’organisme touristique nantais Le voyage à Nantes pour entretenir ce jardin, qui porte depuis le nom de « La Jungle intérieure ».

Il reçoit aussi l’appui du personnel du service des espaces verts de la ville, qui lui fournit des plantes, et de certains voisins, qui donnent leurs déchets à composter pour nourrir ce tapis verdoyant. Parmi les satisfactions qu’il en tire, celle de jouer parfois à se cacher derrière ses plantes pour écouter les visiteurs de passage. L’artiste se souvient de sa grande émotion en entendant un jeune adolescent découvrant l’œuvre dire à son père : Tu vois, Papa, on dirait que c’est le bazar. Mais moi je suis sûr que tout a été organisé.

Pour entretenir le jardin, il est rémunéré par sa copropriété et par l'organisme touristique nantais Le voyage à Nantes.© Evor

Petit à petit, son nid

Et si tous les toits, terrasses ou parkings se remplissaient ainsi de couvert végétal ? Comment l’imiter ? Evor n’est pas du genre à donner une recette toute faite. Il se contente d’assurer que la démarche est plutôt simple : Il faut se lancer. On plante quelques vivaces et une grimpante dans un pot, on se renseigne sur leurs besoins en eau et en lumière, et on s’en occupe. On peut choisir un pot en plastique, ça retient mieux l’eau. Pour démarrer il y a des plantes très faciles à entretenir, comme le lierre, que j’adore. C’est tout ? On insiste un peu plus. Evor lâche : Il faut démarrer petit. Et puis ensuite, quand on est à l’aise, il faut multiplier toujours plus les végétaux, même sans savoir ce qu’on pourra en faire. On trouvera toujours.

Parmi les belles idées à imiter de ce botaniste expansif, on citera notamment son inspirante faculté à transformer les difficultés en avantages. Impossible de cultiver en pleine terre ? C’est plus facile de déplacer une plante en pot en fonction de ses besoins. En ville, difficile de posséder son propre jardin ? C’est parce que je suis dans ce contexte que j’ai reçu autant de visites, de rencontres et d’énergie. Tout ça n’aurait pas pu arriver si j’avais voulu quitter la ville pour avoir mon terrain. Evor finit par accepter de donner un dernier conseil : Je crois qu’il faut faire attention aux plantes, comme il faut faire attention aux gens.

5 commentaires

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  1. Magnifique ! J’ adore ! Vous avez tout compris ! Si tout le monde faisait comme vous ! Bravo ! Bonne continuation !??

  2. Bonjour,

    C’est tout simplement magnifique ! Je me lance dans une plantation en petite copropriété ou il n’y a pas de robinet au rez-de-chaussée. Une astuce pour l’arrosage ? Merci

    1. En installant des oyats, j’ai vu sur internet qu’on pouvait même en fabriquer soi-même (pour alléger un peu la facture) et en récupérant l’eau de pluie si vous pouvez installer un récupérateur.

  3. Magnifique ! Nous allons admirer le jardin d’Evor chaque fois que nous venons à Nantes voir notre fils. Un bel exemple à suivre que cette verdure en plein centre-ville… Bravo !

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