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Têtards, y en a pas marre

Quoi ma trogne, qu’est ce qu’elle a ma trogne ?

Yves Gabory est un amoureux des arbres trognes. Il s’émerveille devant leur capacité à se régénérer au fil du temps. Pour comprendre leur fonctionnement, il nous emmène au plus profond du bocage des vallées de la Loire.

Autrefois, après avoir retrogné, c’est-à-dire coupé une haie et ses arbres têtards, les jeunes branches restantes étaient courbées pour recréer une barrière naturelle. C’est le replessage. © Thomas Louapre

Au cœur des pâturages des bords de Loire, dans la région des Mauges, s’élèvent des rangées de formes tordues, grimaçantes, presque humaines. Ce sont les gardiens de la vallée, souffle Yves Gabory, de l’association Mission Bocage. Tolkien lui-même n’aurait pas trouvé mieux pour décrire ces étranges pasteurs des champs dans leurs longues immobilités.

Ces êtres typiques des paysages bocagers sont les arbres trognes, appelés aussi têtards (ou par d’autres qualificatifs d’argot selon la région que vous traversez). Leur mission depuis plusieurs siècles est notamment de garder les troupeaux. Ils sont formés ainsi par une pratique paysanne historique qui a donné une identité à nos paysages de bocage. Ce sont les alignements de ces arbres qui forment les haies bocagères, explique-t-il en fin connaisseur des sujets tordus.

Pas d’affolement si vous voyez des arbres ratiboisés dans les pâtures. Il s’agit d’une méthode ancestrale d’entretien du paysage. © Thomas Louapre

Bien que l’utilisation de cette ressource végétale ait été oubliée depuis deux générations dans la vallée de la Loire, elle a longtemps servi de bois de chauffage, d’alimentation pour les animaux en été et de clôture naturelle dans les prairies. Tout arbre dans l’axe appartenait aux propriétaires des terrains, mais le branchage des arbres dont la tête était cassée revenait aux fermiers qui travaillaient la terre, raconte Yves Gabory. Et comme ils étaient loin d’être bêtes, ces derniers ont un peu aidé la nature pour récupérer plus de bois, créant ainsi les arbres têtards.

Un passage régulier chez le coiffeur

Pour bien comprendre le fonctionnement de ces arbres à l’allure mystérieuse, il faut savoir que les trognes se constituent de deux parties. D’une part le tronc bien implanté dans le sol et auquel l’agriculteur ne touche pas et d’autre part le branchage. Tous les quinze ans environ, les branches sont coupées à ras du tronc et les trognes se retrouvent avec la boule à zéro. Ce sont les arbres les plus productifs qui existent, s’émerveille Yves Gabory.

Yves Gabory en met sa main à couper, ce frêne fraîchement coupé arrivera à hauteur d’épaule avant la fin de l’année. © Thomas Louapre

Tel un vieux sage des bois qui aurait discuté psychologie avec les végétaux, il explique que la prairie est un milieu hostile dans lequel s’affrontent de nombreux concurrents. Les trognes doivent donc mettre toute leur énergie à pousser pour arriver à un stade où ils peuvent enfin se reproduire. Si vous les coupez à ce moment-là, ils reprennent leur cycle au début. Cette croissance régulière génère souvent des troncs assez volumineux alors que l’arbre n’est pas si âgé. Les trognes sont souvent creux, alors les gens les coupent car ils pensent qu’ils sont malades. Mais ça n’a rien avoir. C’est la partie extérieure du tronc qui est importante pour qu’il continue à se développer et les boursouflures indiquent que la cicatrisation s’est bien faite, insiste-t-il.

Du lierre pousse à l’intérieur de cet arbre trogne creux. « Ce n’est pas gênant, le lierre pousse aussi sur les pylônes en béton. Ça montre qu’il n’a pas besoin de parasiter l’arbre pour se développer », relève Yves Gabory. © Thomas Louapre

Un arbre têtard peut vivre plusieurs centaines d’années tant qu’il est coupé régulièrement. Si l’entretien n’est plus fait alors il meurt, commente le directeur de Mission Bocage. Malheureusement aujourd’hui, ce patrimoine disparaît. Ceux que nous voyons dans nos paysages sont l’héritage d’une autre époque. Trop peu de haies sont replantées et lorsque c’est le cas, elles ne sont pas forcément taillées en têtards, soupire tristement cet amoureux des trognes.

Les chiffres ne font que confirmer ses inquiétudes. Une étude de Solagro comptabilise une perte de 11 200 km de haies bocagères en France chaque année. Bien sûr, certains agriculteurs prennent conscience de l’importance de replanter ces infrastructures végétales, que ce soit pour ombrager les bêtes, éviter l’érosion du sol, stocker le carbone ou encourager la biodiversité. Mais les crédits du plan de relance annoncé par le gouvernement pour replanter 7 000 km de haies sur trois ans font bien pâle figure face aux plus de 30 000 km de linéaires qui pourraient être arrachés sur la même période. Cela dit, Yves Gabory sent un changement de mentalité chez les jeunes agriculteurs qui s’installent.

La part d’aubier plus sombre à l’extérieur est plus importante sur les branches des arbres trognes coupés régulièrement. © Thomas Louapre

Un arbre à la jeunesse éternelle

Ce qui passionne Yves Gabory dans les trognes, c’est leur capacité à se régénérer. Quand les branches sont coupées, cela réveille des bourgeons dormant dans le tronc d’où vont repartir des nouvelles branches. C’est un peu comme si nous pouvions nous faire repousser des jambes ou des mains, s’amuse-t-il.

Pour comprendre ce mécanisme, il faut entrer à l’intérieur des branches. Elles se composent de deux parties : le bois mort au centre, aussi appelé duramen, et l’aubier à l’extérieur où passe la sève. C’est dans cette partie vivante externe que se forment les bourgeons dormants qui vont permettre à l’arbre de se régénérer. Or un arbre coupé régulièrement avec de jeunes branches possède plus d’aubier qu’un arbre forestier. Il est donc plus à même de générer de nouveaux bourgeons dormants.

Un proverbe ancien dit que le bon diamètre de taille des branches se situe entre le verre et le litre. Ce qui m’inquiète aujourd’hui c’est que les pelleteuses à tête d’abattage ont tendance à couper des branches de plus en plus grosses. L’arbre a alors moins d’aubier et il aura plus de mal à générer des bourgeons dormants, poursuit-il.

Les bourgeons dormants apparaissent au printemps sur le tronc. C’est un peu comme si l’arbre faisait pousser un nouveau membre. © Thomas Louapre

C’est justement le rôle de Mission Bocage, l’association créée par Yves Gabory, d’accompagner les agriculteurs sur les méthodes de plantation et d’entretien des haies bocagères. Le plus dur à leur expliquer, c’est que parfois il ne faut rien faire. S’ils arrêtent simplement d’entretenir une zone, une haie va spontanément se développer, explique l’ami des trognes. Dans d’autres cas, par exemple au milieu d’une pâture, il est nécessaire de replanter des jeunes plants.

Ici, dans l’humidité de la vallée de la Loire, les saules et les frênes trouvent tout ce dont ils ont besoin pour se développer. Mais s’il y en a un qui prend une place particulière dans le cœur d’Yves, c’est le peuplier noir : Quand j’en vois un, ça me met de bonne humeur. Je me dis que la journée va être bonne.

3 commentaires

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  1. Amoureuse passionnée de la nature et ayant grandi dans une région bocageuse, je suis, malgré tout le bien que cet article peut décrire de cette méthode, sidérée, quand je vois des agriculteurs, massacrer des arbres pour en faire des sujets faméliques avec à leur sommet, ce qu’ils appellent un tire-sève. Quand je les vois raser, de surcroît, tout ce qui, selon eux, ne sert à rien: fusain d’Europe, noisetier, roncier, érable champêtre etc et le plus souvent, brûler sur place, dans le champs, toutes les branches des arbres qu’ils viennent de décapiter, je me dis que cette pratique du passé, si elle n’a plus de nécessité à perdurer aujourd’hui (utilisation des fagots etc) ferait bien de disparaître. À cause de cet attachement désespéré à cette pratique archaïque, les campagnes de L’Ille et Vilaine offre le visage désolant d’alignement de chênes chétifs, éloignés les uns des autres comme des condamnés à mort qui attendent leur heure. C’est un bien triste spectacle. N’habitant plus dans cette région aujourd’hui, je ressens un bonheur immense à revoir des bocages vivants et des arbres non mutilés.

  2. Très intéressant les techniques de plessage et de recepage necessaires pour certains sujets. En milieu urbain par exemple les citadins ne comprennent pas pourquoi on coupe les saules en tetard et s en offusquent. Il est important de réhabiliter les explications comme le fait cet article !

  3. Hé oui, ayant vu mon grand père exercer cet art, j’ai repris sa suite en héritant de ses terrains, et non seulement mes trognes me chauffent, mais elles accueillent aussi dans leurs troncs nombre de bestioles utiles à la nature et à mes jardins, du cloporte aux oiseaux nicheurs dans leurs creux accueillants. j’aime aussi entretenir mes tilleuls en têtards, autre forme de taille qui consiste à former un arbre en branches longues horizontales parasol très utile dans le jardin pour les déjeuners estivaux et à en tailler tous les ans les rejets verticaux en hiver, pour une nouvelle repousse l’année suivante. Qui aime la nature la choie !

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