Elles sont femmes et ne viennent pas de la terre. Elles sont libres, innovantes, sincères, passionnées. Touchantes. Dans le recueil Néopaysannes, dix d’entre elles, Amandine, Cristel, Hélène, Lauriane… confient les joies et les peines d’un monde agricole conjugué au féminin.
Quand elle monte sur la scène du Ted-X cannois, Linda est pieds nus pour mieux s’arrimer à cette terre qu’elle n’a jamais vraiment délaissée. Elle vient rendre hommage à la Pachamama, la déesse inca de la Terre-mère qui l’a attirée dans son sillon.
Il y a quelques années, la jeune femmes aux racines péruviennes a lâché sa vie commerciale et parisienne pour se reconvertir à la permaculture. Quand j’étais petite je rêvais d’avoir une ferme avec des animaux. Mais je n’avais pas vraiment idée sur ce que cela pourrait être, peut-on lire dans le 10e chapitre de l’ouvrage Néopaysannes qu’elle a récemment coordonné. La vie, les rencontres, un tour du monde préparent le terrain jusqu’à ce qu’une histoire d’amour conduise Linda à faire pousser ses idées. Elle fonde avec son compagnon de l’époque la ferme des Rufaux.
Je suis tout simplement tombée amoureuse d’un vigneron, confie également Delphine Vinet, aujourd’hui agricultrice au naturel. C’est grâce à la rencontre il y a déjà 14 ans avec celui qui est devenu mon mari, Charles, que je suis devenue néopaysanne poursuit Lauriane, éleveuse et transformatrice. Pour Hélène, elle doit sa vie de maraîchère à Frédéric et Stéphanie qui sont comme des seconds parents pour moi. Il y a parfois des événements qui vous morcellent, ils m’ont aidée à me reconstruire. Quant à Stéphanie, éleveuse de brebis, c’est seule et enceinte qu’elle s’est lancée.
Se faire accepter
Au cours des 128 pages, les témoignages de ces dix femmes se suivent et ne se ressemblent pas. Celles à qui l’on demande parfois en ricanant si elles n’ont pas peur de se casser un ongle se présentent sans fard. J’avais à cœur de donner la voix aux néo-paysannes que je croise en cette période de me-too et de renouveau urgent et nécessaire, explique Linda.
À parcourir les 10 témoignages, le chemin semble encore long pour faire accepter la gent féminine dans ce monde où les 3/4 des chefs d’exploitation sont des hommes. Le problème commence quand on est une femme seule qui se lance seule, confie Christel, éleveuse d’alpagas et productrice de laine. Ma présence dérange, explique Stéphanie. Je reçois des lettres d’amour qui se transforment en menaces, des intimidations, des avertissements. On a même raconté que j’étais une actrice X dans le passé.
Pendant longtemps, on n’a pas beaucoup appris aux femmes à devenir autonomes, déplore Amandine, récolteuse de plantes sauvages et transformatrice. C’est le principal frein lorsque l’on veut se lancer seule dans un monde de vie atypique et indépendant. Les dix passionnées confient avoir trouvé des parades pour les taches les plus physiques et développé une sensibilité pour tout le reste. Le fait que nous portions la vie en nous, par analogie avec ces métiers de la terre nous donnent une grande force, explique Nathanaëlle, semencière. Les plantes et les femmes c’est une histoire d’amour depuis la nuit des temps, renchérit Gaëlle, productrice de plantes médicinales. En tant que femme et maman, je sens que j’ai un grand avantage, un instinct presque magique qui me facilite la vie.
Le sens de la vie
Dans l’ouvrage, la passion prend rapidement le dessus sur les difficultés. J’ai le sentiment de participer à un combat exaltant et nécessaire pour l’avenir, explique Stéphanie. Ce qui me fait aller de l’avant, c’est ce sentiment d’avoir trouvé une équilibre, une raison de vivre, d’être à ma place… rappelle Christel. J’ai gagné une vie où je n’ai pas l’impression d’aller au travail, une grande liberté et une sérénité dans mon quotidien. J’ai parfois l’impression de jouer, conclut Gaëlle.
Ces témoignages se boivent comme une conversation de filles où chacune se raconte sans faire de sa vie un tableau Instagram. Au fil des pages, la connivence de celles qui, un jour, pourraient aussi passer par là s’installe. Les lectrices se retrouvent assises à la table de celles qu’on appelle Nima (non issues du monde agricole), saisissent leurs difficultés, leurs doutes, notent leurs conseils et leurs mises en garde. Quant à moi, le jour où je larguerai les amarres pour prendre la terre, c’est sûr, je saurai qui appeler.
Pour approfondir
Références
Cachées dans l’ombre d’un monde encore très masculin, des femmes agissent sur tous les territoires et sont de plus en plus nombreuses à se lancer seules dans l’aventure de l’agriculture : un tiers des installations sont en effet réalisées par des femmes. C’est ce qu’a voulu démontrer Linda Bedouet en partant à la rencontre de 10 femmes au parcours singulier et très inspirant.
Inspirant réconfortant encourageant bravo les femmes : soeurs filles mères grand-mères ne sommes tout à la fois Vive la sororité ?