Dans une nouvelle enquête palpitante, l’inspecteur Patrick Lombric nous fait découvrir le monde étonnant des greffes chez nos amies les plantes.
Commissariat des affaires souterraines – Quai des Orfèvres, 56e sous-sol – 7h54
C’est toujours sur moi que tombent les embrouilles les plus invraisemblables ! Pour mes collègues, le boulot se résume la plupart du temps à des banales affaires de violences conjugales entre mantes religieuses ou de petits larcins genre vol de miel dans les ruches, mais moi, quand j’ouvre mon courrier, je tombe là dessus :
M.Edmond Grillon 36,vieille souche du petit bois, 28250 Senonches
« Cher Patrick,
J’assiste depuis quelque temps à des phénomènes inquiétants et contre-nature dans le voisinage, j’ai vu des arbres tranchés reprendre vie sous d’autres formes, des plants d’aubépine se transformer en poiriers, j’ai vu des hêtres donner des châtaignes et des ormes porter des glands. J’ai vu proliférer des clones et des hybrides insensés, des mutants végétaux terrifiants… Bref, Inspecteur, il se passe quelque chose qui ne sent pas bon. Evidemment, les autorités locales me prennent pour un fou, toi seul peut nous aider. »
Ça fout la frousse ce genre de lettre non ? Et puis, pas moyen de déléguer cette mission vu qu’Edmond, c’est une vieille connaissance, un copain d’enfance. Il est devenu musicien j’crois bien…
Je connais un tunnel qui nous amène jusque chez lui rapidos. Vous v’nez avec moi lui rendre une petite visite ?
Des plantes mutantes – Senonches – 11h12
Edmond, c’est pas un discret, on l’entend jouer des ailettes à des kilomètres à la ronde. Inutile de frapper à la porte, il n’entendrait rien.
– « Salut l’ami ! Paraîtrait qu’on a besoin d’un inspecteur par chez toi ?
– Salut vieux Lombric ! Je savais que tu serais sensible à ma missive ! Comme tu as pu l’entendre, je répète mon opéra prévu pour cet été, la fameuse Grillonate au clair de lune.
– Je s’rais ravi de venir t’écouter cet été mais là, on a du pain sur la planche. J’ai besoin que tu m’emmènes voir les plantes suspectes dont tu m’as parlé.
– À tes ordres Inspecteur ! Commençons par une visite du verger d’en face. Au début, j’ai cru que je devenais dingue, car j’en suis sûr, au printemps dernier, cet arbuste était un cognassier, mais cette année, j’y ai vu se former des jeunes poires ! Ça m’ennuie parce que j’avais l’habitude de me faire des confitures de coing pour le petit déj et … tu m’écoutes Patrick ?
– Regarde Edmond, tu vois ces petites incisions sur cette branche ? Et là ce mirabellier, on voit une cicatrice entre le tronc et les rameaux. Tes histoires surnaturelles de plantes mutantes, c’est du pipeau. Y’a bien un gus derrière tout ça qui s’amuse à couper des bouts d’arbres pour les coller sur d’autres bouts. Et s’il y’a un quelqu’un derrière ça, y’a plus qu’à le débusquer, lui faire cracher le morceau et comprendre quel genre de mobile peut justifier ces bizarreries maniaques. Alors suis-moi, ouvre l’œil … et retiens-toi de chanter cinq minutes bon sang ! »
Rencontre avec Erasme – 2h plus tard, dans la campagne environnante
– « Patrick, ça fait deux heures qu’on tourne en rond, j’ai froid aux pattes et je commence à avoir des fourmis dans les ailettes …
– La patience dans l’métier, c’est une valeur cardinale, alors non Edmond, c’est pas l’moment d’mollir. Mais pour l’instant t’as raison mon pote, y’a de quoi en décourager plus d’un : pas de trace, pas d’indice. On a affaire à un pro. Pas moyen de mettre la main cet urluberlu qui s’amuse à …
– Achtung M. le grillon, ffous me marchez dessus !
– Aahhh une branche qui parle allemand !
– Mais non Edmond, c’est un phasme !
– Parfaitement, ich bin Herr Professor Erasme Lephasme, généticien, chirurgien et chercheur.
– Le genre de chercheur qu’on aurait pu chercher longtemps, vu comme vous êtes planqué !
– C’est que mes recherches ne sont pas toujours bien vues par l’opinion publique… Ch’ai donc dû affoir recours à quelques subterfuges…
– Alors c’est vous l’allumé du bocal qui joue à Frankenstein avec la flore locale ?
– Ach, ja. Che confesse M.Lombric. Votre sagacité est bel et bien sans égale !
– Cessez vos flagorneries Lephasme et dites-moi ce qui justifie d’avoir mis la nature sens dessus dessous !
– Mais, l’amour de la science Inspecteur, et l’amour du progrès également ! Car foyez-fous, les greffes de plantes ont énormément d’avantages. D’ailleurs depuis des siècles, que dis-je, des millénaires, nos amis humains greffent les plantes pour obtenir des vergers ou des vignes plus résistantes aux maladies, mieux adaptés aux terroirs ou produisant de meilleurs fruits. Les greffes peuvent aussi servir pour développer telle ou telle variété difficile à bouturer ou à propager par les graines. »
Frankenstein, c’est de la littérature, mais avec faire des patchworks biologiques avec les plantes en revanche, c’est tout à fait possible! Foyez-fous, les plantes ont une plasticité génétique absolument stupéfiante ! Non seulement il est possible de greffer des plants de la même espèce, mais aussi des plants de familles biologiques tout à fait différentes, et l’opération chirurgicale reste à la portée d’un jardinier amateur…
Telle variété dispose d’un système racinaire adapté au terroir mais ne produit que des fruits rachitiques et amers ? Et bien greffez-y donc les parties aériennes d’une variété aux racines délicates mais aux fruits délicieux et le tour est choué ! Tel arbre devient fatigué et moche ? Et bien offrez-lui une petite greffe et l’arbre retrouvera sa jeunesse !
Mais, permettez-moi de vous faire visiter mes créations et mes techniques chirurgicales de pointe…
Sur ce Rhododendron, j’ai opté pour une greffe à cheval, tandis qu’ici, sur ce camélia, c’est la greffe à l’anglaise qui m’a paru la plus adaptée. Pour ces simples rosiers, une greffe en écusson suffit largement tandis que sur ces arbres à pépins, le greffage en couronne, plus complexe, s’impose néanmoins. Admirez le travail de soudure réalisé avec un mastic à cire d’abeille confectionné par mes soins.
Et pour finir, voici mon chef d’œuvre, un arbre sur lequel poussent 40 fruits différents ! Che l’ai réalisé d’après le travail d’un humain qui m’inspire beaucoup.
– Et ça marche avec tout votre sorcellerie ?
– Ach nein, il n’y a pas de recettes miracles, c’est pourquoi il faut expérimenter en permanence ! A frai dire, pour que la greffe prenne, il n’y a pas de règle absolue, seulement des bonnes pratiques. »
La première de ces pratiques est de greffer des plantes sœurs ou cousines du point de vue génétique. C’est ce que l’on fait couramment sur la vigne pour obtenir des pieds à la fois productifs et résistants aux maladies comme le phylloxéra.
La seconde est d’observer les similitudes dans les comportements des plantes que l’on souhaite réunir. Une plante annuelle sera difficilement greffable sur une plante vivace, de même qu’une plante au feuillage caduque aura du mal à être acceptée par celle au feuillage persistant.
Parfois, une greffe échoue simplement parce que l’opération chirurgicale ne s’est pas faite dans de bonnes conditions. La saison a son importance, de même que la qualité de l’opération ou du mastic choisi pour la cicatrisation. Parfois, c’est simplement une maladie qui explique l’échec… Donc, avant de décréter une incompatibilité, il convient de tester différents modes de greffe.
C’est tout un art en somme ! Un art plein d’exceptions et de découvertes. Certaines compatibilités ne fonctionnent que dans un sens, par exemple le système racinaire de l’une avec les parties raméales de l’autre.
S’il s’avère que deux plantes sont incompatibles entre elles, il est même possible d’effectuer une greffe intermédiaire avec une troisième plante compatible avec les deux variétés que l’on souhaite greffer ! N’est-ce pas fascinant ?
– C’est même stupéfiant professeur, mais cela ne nous dit pas si c’est légal pour autant …
– Jawolh, tout à fait légal Inspecteur ! Ch’ai les accréditations, ainsi que mon diplôme de l’unifersité d’Heidelberg…
– Mouais, Lephasme, je connais ce genre de sérénade. Moi mon boulot, c’est de trouver les types louches, la justice établit s’ils sont véreux ou s’ils sont réglos. Pour le moment, vous êtes dans la catégorie louche compris ? Allez, je vous embarque, et si vous n’avez rien à vous r’procher, ce s’ra pas la peine de vous faire passer pour un barreau de chaise quand on vous appellera à la barre du tribunal. »
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Texte de William van den Broek
Illustrations de Corentin Perrichot
Bonjour
Plus que cette belle histoire j’aurais prefere participer à un stage sur les greffes avec mise en application immediate
Bon : ce sera pour une prochaine fois
Merci
Mina
Minaroms@hotmail.fr
trés intéressent.
découvrir les différents types de greffes et les liberté qu’on peut prendre, de façon imagée comme cette histoire c’est très bien.
Claude
Et bien , comme le lecteur précédent moi j’ai apprécié cette histoire , ce format, et -ou mais – j’ai encore des questions – je suis un peu restée sur ma faim sur le sujet (comme l’autre lectrice )