À une trentaine de kilomètres de Nantes, Open Lande invite entrepreneurs, artistes, indépendants ou salariés en conversion à bâtir collectivement un nouveau monde. Rencontre.
À l’entrée du domaine de Land Rohan, à Vigneux-de-Bretagne, que l’on atteint par une petite route champêtre, un imposant B en acier nous indique que nous sommes arrivés. B, comme « bienvenue », « bien commun », « biodiversité », « bienveillance » ? Peut-être. C’est aussi la double initiale de Bernard Brémond, grand ponte de l’immobilier propriétaire de ces 72 hectares. Depuis septembre 2017, la sculpture abrite aussi une bonne dose de Bouvais (Walter de son prénom) qui, avec Nathalie De Cock et Sylvain Mauger, y a créé Open Lande, la fabrique de projets évolutionnaires.
Ce qui frappe quand on arrive dans ce nouvel ovni de la transition écologique, c’est d’abord le vert. Tendre, pur, exempt de produits chimiques depuis trente ans, il est partout. De la mousse ancrée dans le sol aux plus hautes feuilles des arbres centenaires en passant par ces herbes folles que le propriétaire chérit dans des carrés bien définis. Pour un peu, les bâtiments pourtant imposants se feraient presque oublier.
Puis le silence nous assaille, encore plus fortement en ce jour de retraite silencieuse pratiquée par l’un des groupes en séminaire. Enfin, un sentiment de plénitude nous traverse de la tête aux pieds. Nous voilà prêts à nous déconnecter pour mieux nous brancher sur ce qui anime Open Lande : développer collectivement des projets pour réparer la Terre.
Il faut que les gens qui ont le pouvoir ne décident plus avec leur tête mais avec leur cœur, explique Walter Bouvais qui, malgré un solide parcours universitaire et entrepreunarial, se laisse guider par ce qui le fait vibrer. Le jeune quadra cite volontiers Satish Kumar (le Pierre Rabhi indien), passé par ici en octobre 2018 pour étayer ses propos : Tout ce que l’on fait devrait être un art. On ne devrait avoir que ce qui est beau, utile et durable.
Rêver le changement
Après d’intenses années à faire tourner le magazine Terra Eco qu’il a créé, Walter écrit en 2017 la toute première version d’Open Lande pour inspirer, chercher, écouter et offrir une dimension émotionnelle à tout projet de transition. Nathalie De Cock et Sylvain Mauger, cofondateurs et associés, le font évoluer, pousser, grandir jusqu’à prendre place dans des locaux mis à disposition par le groupe Brémond, soutien du projet.
Le cadre est un activateur parce que ça t’ouvre. Et à partir du moment où tu es ouvert, sky is the limit, explique Walter. Il faut rendre l’intellect opérationnel, ajoute dans un autre style Bernard Brémond. Aussi, depuis avril 2018, date de l’ouverture officielle, le lieu se structure autour de plusieurs axes : l’accueil de séminaires de 10 à 190 personnes, la formation, dont le format capsule de trois jours est la première brique pour affiner son projet, la Fabrique – l’expérimentation grandeur nature d’une idée pendant dix semaines – ou le laboratoire d’innovations pour accompagner les organisations et les collectivités.
Enfin, Open Lande, c’est aussi un forum ouvert de coopérateursoù l’on peut échanger en ligne et en vrai autour de la permaculture, de l’énergie, du low-tech, de l’habitat et de tout ce que l’on veut d’ailleurs. Tout le monde peut y entrer, explique Walter, c’est pour ça qu’on s’appelle Open.
Fabrique à utopies concrètes
Aurore Stalin, fondatrice de Slow Danse, fait partie de la première promo de la Fabrique qui a reçu le soutien financier de la Fondation Le Damier. Je suis venue ici pour des portes ouvertes en mai 2018. Ça faisait longtemps que je réfléchissais à une façon d’injecter l’écologie dans le monde du spectacle. En revenant chez moi, c’était limpide, j’ai écrit mon projet. Quelques mois plus tard, lorsque Open Lande publie son appel à projets pour la première édition de la Fabrique, Aurore se lance.
Son idée est retenue comme cinq autres, dans des univers très différents. Pendant trois mois, elle participe à vingt jours inspirants de rencontres et de formation. On a beaucoup appris, sur l’open source, le business model, la prise de parole, la place de l’imaginaire dans les projets. J’ai travaillé avec des pairs, j’ai rencontré divers personnalités et j’ai pu être accompagnée par un mentor formidable qui est devenu le président de mon association.
La Fabrique, ça a été une véritable prise de conscience et de confiance.
Chaque fois qu’elle vient ici, Aurore mange et dort sur place à la ferme (le lieu compte 40 logements, tentes incluses) pour mieux s’immerger. Cette expérience a vraiment réouvert mes capacités créatives. J’étais dans des considérations techniques et logistiques. Je me suis rendue compte que je pouvais imaginer plein de choses. La Fabrique, ça a été une véritable prise de conscience et de confiance.
Cultiver la transition
Régis Piraut, lui, est de ceux qui occupent le terrain au quotidien. Commercial dans une première vie londonienne, il s’essaie ici à la permaculture avant de s’installer sur ses propres terres d’ici deux ans. Vingt sortes de légumes et dix de fruits sont cultivés en agriculture biologique sur 500 m2. Certains poussent sur la paille, d’autres sous des tunnels. Je suis sur un prototype, l’idée est de recréer des écosystèmes et de les régénérer. On va ouvrir l’espace à d’autres porteurs de projet en agriculture. Open Lande propose aussi des résidences agricoles à Land Rohan.
Dans cinq ans, Walter, Nathalie et Sylvain imaginent d’ailleurs accueillir dix projets agroécologiques mais aussi multiplier les séminaires, faire fructifier le réseau des coopérateurs et offrir une grande place aux artistes. On a besoin de tracer notre sillon calmement, de construire un monde qu’on ne verra sans doute pas, philosophe Walter. Il faut se tranquilliser avec cette idée. Son rêve ? Organiser un festival sans objet. Réunir des entrepreneurs et des créatifs et voir ce qui émerge. Juste laisser faire la nature… humaine.
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