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Idées en béton

Olivier Darné, artgriculteur en terres sensibles

À Saint-Denis, sur les dernières terres maraîchères de la ville, Olivier Darné, inventeur du Parti poétique et de la banque du miel a posé ses ruches et fait pousser ses idées. Rencontre dans sa ferme urbaine – Zone sensible – vaste champ d’expérimentations autour du triptyque nature/culture/nourriture. 

Olivier Darné, c'est lui. ©Emmanuel Ligner

La façon qu’ont eu les abeilles de me parler du monde, et de faire en sorte d’y prendre place, a été la révélation de ma vie. Plasticien de formation, et pionnier autodidacte de l’apiculture urbaine, Olivier Darné excelle dans l’art de la métaphore appliquée.

Les abeilles sont à la croisée de deux crises, écologique et économique, poursuit le Dionysien de 46 ans. Malades de l’homme, elles sont une lumière dans l’obscurité dans laquelle on s’enfonce. Elles éclairent les pages sombres de notre économie. Comme le non-partage du butin. Butin qui n’a d’autre vocation que de s’appuyer sur la peur du lendemain : les abeilles produisent du miel parce qu’elles craignent de ne pas arriver à passer d’une belle saison à une autre. Elles produisent de la chaleur quand, en hiver, il n’y a plus de fleurs à butiner. Le miel n’est rien d’autre que le stockage de l’énergie du soleil... L’insecte est à ses yeux un outil de lecture vieux de 80 millions d’années du monde des hommes. 

Miel béton, miel zéro pollution

Ces enseignements, Olivier Darné les tire d’expériences successives initiées en 1996 puis 2000, lorsqu’après avoir disposé des ruches sur le toit de la mairie de Saint-Denis, il obtient  une belle quantité de nectar jaune, qu’il baptise aussitôt Miel Béton. Comble de l’absurde, ce miel de ville, constitué de plus de 250 pollens différents récoltés dans les jardinières des balcons et les jardins publics, et analysé sans toxines, a été plusieurs fois récompensé pour sa qualité… dans des concours agricoles. Preuve que les abeilles sont bel et bien des révélatrices des richesses du territoire mais aussi de ses crises.

 

Pourquoi, on réussit à faire du miel en ville, un endroit a priori imbutinable, alors qu'il est devenu de plus en plus difficile d'en faire à la campagne ?

Alors très vite, pendant que le miel urbain fait des émules, l’intérêt d’Olivier Darné est ailleurs. Ce Miel Béton fut une expérience suffisamment intrigante pour que l’on continue à développer cette recherche entre art et environnement. C’est ainsi que naît, en 2004, le Parti poétique. Ce collectif d’artistes a pour objectif de poser des abeilles et des questions, dans l’espace public : pourquoi, paradoxalement, on réussit à faire du miel en ville, un endroit a priori imbutinable, alors qu’il est devenu de plus en plus difficile d’en faire à la campagne ? Sur les places publiques émergent des dispositifs plastico-apicoles qui sont des œuvres d’hospitalité pour les abeilles et les humains. Olivier Darné frappe fort quand il installe, en 2006, devant le Centre Pompidou, un pollinisateur urbain, conteneur-ruche où s’enferment adultes, couples ou enfants au milieu des hyménoptères.

Repas du collectif du gras dans les serres de Zone sensible. ©Anne-Claire Héraud

La première réponse à la question fut le lancement de la Banque du miel, en 2009, et son outil financier : le Compte épargne abeille. En confiant une petite somme d’argent réel, l’épargnant permet de financer des missions apicoles et d’épargner, au sens propre, les abeilles, et donc les hommes. Aujourd’hui, Zone sensible, QG du Parti poétique, abrite neuf millions d’abeilles, et forme le plus gros essaim urbain d’Europe. 

Le discours d’Olivier Darné évolue de manière fluide dans un univers dual décloisonné, que l’on pourrait qualifier d’artgriculture. Un concept qui serait imprégné à la fois du constat cruel et concret d’une humanité qui épuise ses ressources, de la nécessité urgente de passer à l’action, et d’inviter les producteurs d’art, de culture, de nourriture et de sens à participer au changement de modèle.

Zone sensible, Centre de production d’art et de nourriture

Le concept d’artgriculture prend tout son sens lorsque l’on s’intéresse à la folle aventure dans laquelle le Parti poétique a plongé il y a un an. En décembre 2016, l’équipe d’Olivier Darné gagne l’appel d’offres de la ville de Saint-Denis pour reprendre les 3,7 ha de terres agricoles de la dernière exploitation maraîchère du 19e siècle aux portes de Paris. Le champ du 112 avenue de Stalingrad est désormais partagé avec une association co-lauréate, la Ferme de Gally. En mars, les choses s’accélèrent : les clés de la ferme en main, les premières cultures simples sont plantées : oignons, pommes de terre, choux de Toscane… En tout, près de 140 variétés de fleurs et agrumes, parfois exotiques, ont poussé en 2017. Un panel qui fait écho aux 135 communautés qui coexistent en ville. Dès l’été, quelques artistes éclaireurs viennent camper pour prendre l’air et le son ambiant.

Les projets sont légion et prometteurs. Les attentes, elles, se manifestent déjà. Tous les jours, les gens du quartier passent le portail pour nous demander « alors, alors, c’est pour quand ? », se réjouit le passionné Franck Ponthier, maraîcher en chef. Un faucon crécerelle aperçu chassé par deux corneilles, et un couple de mésanges qui a fait son nid illustrent, s’enthousiasme-t-il, le retour de la biodiversité. Il balaie d’un regard fier le terrain du propriétaire, déjà bien aménagé. Les légumes, qui s’épanouissent dans les sillons encore azotés du vieux René Kersanté (le précédent maraîcher) – que l’on aperçoit en retraite active sur son tracteur – se retrouvent en vente directe, en Amap, ou dans les mets du Meurice et du Plaza Athénée. Le grand projet de l’Académie de cuisine, dont Alain Ducasse est la caution toquée, parachèvera Zone sensible comme un Centre de production d’art et de nourriture unique, où chefs étoilés et artistes en résidence se réuniraient autour de la table, à l’ombre de la future galerie d’art contemporain.

Le temps des diagnostics est passé. On est déjà dans le mur. Il faut toujours arriver au bout du modèle pour qu’on se rende compte que le modèle n’était pas bon, déplore Olivier Darné. Une angoisse sourde couve chez l’artiste comme chez l’écologiste, et elle le meut. Canalysée, elle est transformée en énergie positive. Celle-là même qu’il dit retrouver dans la jeunesse d’ une zone où l’on a rangé les problèmes et qui s’appelle la banlieue, qui souffre autant qu’elle recèle un potentiel constructif : Y’a des gamins qui ont une une énergie incroyable, dans la tchatche, dans l’imaginaire, dans la poésie. Une énergie qui, mise en commun, fera de Zone sensible un lieu de passage à l’acte.

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