« Je n’attends plus que le goudron et les plumes. Ou la bouse et les cornes, faudra voir». Dans son livre « Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture », Fabrice Nicolino, journaliste-essayiste à Charlie Hebdo* raconte à Raymond un siècle d’agriculture. Un siècle où la machine productiviste s’est emballée. Un siècle où l’histoire des campagnes aurait pu s’écrire autrement.
« Tu me permettras de te tutoyer, Raymond, car, sauf grave erreur, tu n’existes pas. Tu serais un petit vieux de 90 ans, et tu aurais été paysan. Où tu veux. […] L’essentiel aujourd’hui est que tu saches écouter. Tu es un veinard. Tu es aussi un pauvre couillon. » Au fil des 124 pages, Fabrice s’adresse à ce paysan qui a regardé passer le train de l’industrialisation de l’agriculture sans monter dedans ni tenter de l’aiguiller sur une autre voie ou carrément de le détourner comme le font les pirates. Selon les chapitres, on plaint ce pauvre Raymond. Ou on lui en veut d’être resté les mains dans les poches de sa combinaison bleu pétrole, cette huile qui au fil des années a elle aussi grippé la machine agricole.
Page 15, l’auteur repasse le film du DDT. Comment les chimistes ont inventé cette saloperie de dichloromachin, « qu’on n’appelle pas encore DDT, mais est terriblement efficace contre les doryphores, ces monstres qui ravagent les vitales cultures de pommes de terre de la vieille Europe. » Les pages se tournent, la science avance, les Prix Nobel pleuvent, le DDT jugule une épidémie de typhus à Naples tout juste sortie de la guerre. « Si je te raconte ça, tu penses bien, c’est que le DDT aura joué un rôle essentiel dans la construction d’une mythologie. Celle du progrès sans fin par la technique et la nouveauté. Tu y as cru, j’y aurais cru, nous aurions tous marché. […] On ne saurait que vingt ans plus tard que le DDT est un puissant cancérigène et un infernal reprotoxique, c’est-à-dire qui entrave la reproduction des êtres vivants. »
Sous la plume de Nicolino, on assiste impuissant à la montée de l’élevage industriel, aux discours sur la sélection génétique, on découvre l’alimentation scientifique et le Progeny testing « Cette méthode, encore balbutiante dans la vieille Europe, permet de contrôler la descendance des animaux par sélection génétique, et d’entrevoir les contours d’un monde plein de verrats couillus et prolifiques. »
On s’assoie alors avec Raymond sur la chaise en formica du salon pour regarder une émission de l’ORTF saisissante « Sauvez le boeuf ». Pendant une vingtaine de minutes, le futur directeur de l’INRA vante les mérites des manipulations génétiques. La conclusion est sans appel « pour améliorer le rendement des bovins, il faut abandonner les fourrages d’antan ». À cet instant décisif entre tous, la porte s’ouvre en grand pour les importations massives de soja transgénique, dont des millions de tonnes débarquent désormais – en 2015 – chaque année dans les ports de Lorient ou Brest. »
Fabrice Nicolino ravive également nos mémoires, secoue nos consciences et nous rappelle comment dans les années 50 « on rêve déjà à haute voix de faire du paysan un travailleur comme un autre, maillon d’une chaîne de production ininterrompue. Le bouvier d’antan marchant au pas de son gros animal, la fermière et ses poules picorant sur le tas de fumier sont fermement priés de se soumettre à des lois nouvelles, celles du marché. Déjà, on ne parle plus seulement de nourrir le pays, mais de conquérir des marchés extérieurs. »
Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur décrit l’ascension fulgurante des ingénieurs du génie rural, des eaux et des forêts, la gloire des économistes, des technocrates. Tout un petit monde de bureau, qui inexorablement, met la main sur un univers qu’il ne connait pas.
Heureusement dans l’histoire on croise aussi André Pochon, un brave type comme Raymond. « À 6 ans, Dédé garde les vaches. À 13, il laboure. À la sortie de la guerre, il est tout juste adolescent. La famille est pauvre, comme tout le monde ou presque. […] En 1954, Dédé s’installe à côté de son père et le convainc d’acheter un tracteur, synonyme de progrès. La JAC de Corlay, que Dédé anime, défend le point de vue qui a depuis triomphé : il faut agrandir les exploitations, mécaniser, produire toujours et encore plus.
Dédé est d’accord – tout le monde est alors d’accord –, mais, comme il accorde valeur à sa propre expérience, il réalise en quelques années qu’il existe une autre manière de gagner sa vie dans une ferme. La sienne est toute petite, même en son temps – huit hectares –, mais il parvient à produire autant que sur vingt et même vingt-cinq hectares, en conservant du temps pour sa famille et… les siestes. Je sais. Trop beau pour être vrai. Sauf que c’est vrai.
En 1957, les douze vaches de Dédé croissent et embellissent, produisant un lait abondant. La ferme Pochon, pourtant la plus petite de la commune, est aussi celle qui entretient le plus de porcs, nourris avec le lait écrémé du troupeau, un peu d’orge et des betteraves cultivées sur place. L’élevage aurait donc pu se développer autrement, grâce à une herbe perpétuellement renouvelée en quantité, sans le soja transgénique et le maïs d’aujourd’hui, et sans dégueulasser les sources.
En cette année 2014, Dédé boit toujours l’eau qui coule sous ses champs, désormais cultivés par son gendre et sa fille. Les nitrates, malédiction de la Bretagne intensive, en sont presque absents. Ce ne serait pas une preuve ? J’entends encore la grandiose formule de Dédé, mille fois répétée par lui, mais qui aurait dû l’être dix millions. Il la tenait, disait-il, du célèbre agronome René Dumont : « Regardez bien votre vache, c’est un animal extraordinaire ; elle a une barre de coupe à l’avant, et un épandeur à l’arrière. Si vous flanquez cet animal dans le milieu d’un pré, elle fait le travail toute seule. »
Nous sommes Dédé. Nous sommes Raymond. Merci Fabrice.
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* Ce livre, Nicolino l’avait écrit l’an passé. Il devait sortir en janvier 2015. « Et puis il s’est passé que mes amis sont morts, que d’autres ont été charcutés par les balles. J’ai pour ma part reçu trois balles, et je prends encore de la morphine. Le livre, bien que sorti de l’imprimerie, est resté en carafe jusqu’à aujourd’hui. »
Merci pour ce livre, mémoire d’un temps que les moins de cinquante ans ont peu connu mais avec le recul qu’elle était belle notre campagne encore sauvage remplie d’oiseaux, de papillons, de libellules de grenouilles…
à ce jour plus rien de tout celà, que laissons nous à nos petits enfants ?…
Pour ma part, je banni les grandes surfaces et privilégie les petits maraîchers bios sur les marchés de ma région yvelinoise. J’achète aussi farine, céréales diverses dans les magasins bio.
J’essaie de consommer en encourageant ceux qui respectent la nature …
Consommateurs et agriculteurs ne sont pas responsables du système qui les a conduit là! Les seuls responsables ce sont les les toxicomanes du Marché! Le libéralisme économique a tout tué pour faire de l’argent qui fait des petits dans les paradis fiscaux.
Changeons le système, refondons une agriculture écologique et paysanne, c’est la seule solution. Je voterai Mélenchon en 2017 au 1er et au 2ème tour!
Sans me faire l avocat du diable; si la nature a été transformées en poubelle de la chimie, détruite à ce point et laissée de côté, n ‘en sommes nos pas nous tous consommateur, responsables? NE demandons nous pas toujours plus pour moins?
L’agriculteur est victime d’un système, plus que coupable, s’il est coupable il l’est tout autant que ses clients.
L’agriculteur est pris dans une lessiveuse, ou l on lui dit quoi planter, comment le faire et on l ‘a rendu dépendant des Pacs, et autres primes au développement sans lesquelles il ne pourrait pas être viable au prix du marché international qui lui est proposé pour son travail.
Le vrai prix de notre alimentation s’est fait sur la destruction des terroirs, des paysages, de la qualité des eaux, les puits qui alimentaient les villes sont dans ma région toutes interdites, car polluées à mort; plus de hayes, plus d oiseaux, des parasites comme les tiques qui pullules,vecteurs de maladies que l on ne sait pas vraiment curer…
les insectes devenus résistant, chargés de tats de molécules, nous piquent et notre corps y réagis de manière anormale, nous sommes nous même chargés de tellement de chemicals que cela devient un cauchemars. TOUT est pollué, partout surl a terre, plus un cm carré n’est pas atteint par ce que la folie des hommes des gouvernements a mis en oeuvre en 50 ans sous l ‘égide d’un progrès.
Triste réalité.
Pourtant il a existé des solutions, cherchez « steak de pétrole » surl e net, cette histoire est édifiante. par ailleurs le système est devenu fou. toujours plus de tout, sans besoin réel, ou par des besoins crées inutilement. Un monde de paraître qui court à sa perte, ou nous pouvons juste être considérés comme des doryphores, qui ont saccagés la planète de manière irréversible.
Comment après cette lecture ne pas vouloir en savoir plus .
J’ai illico commandé ce livre ,cet essai est une interpellation du l’âme et de la raison.
Bel article que j’ai eu plaisir à relire. Bravo à Fabrice Nicolino, que j’embrasserais bien.
Je suis sidérée ! qu’est-ce-à-dire ? certains de ses amis ont été tués et lui-même grièvement blessé ? mais dans quel monde vivons-nous ? où peut-on acheter son livre ? Je souhaite rétablissement et courage à Fabrice Nicolino.
Vous n’avez peut-être pas fait attention mais l’auteur, Fabrice Nicolino, est journaliste-essayiste à Charlie Hebdo ; c’est du fait de l’attaque du journal qu’il a été blessé et ses amis tués.
Cela étant, comme vous, je vais me procurer ce livre au plus vite dont j’avais déjà entendu parler à la radio, je crois. Bravo à Fabrice Nicolino de remettre un peu d’ordre et de clarté dans nos esprits « formatés » !
bonjour que c’est beau de voir des gens qui aime la nature la vraie
pas celle qui est transformé en poubelle, merci à tous ces gens qui
respecte le monde. André