Thierry Thevenin, porte-parole du syndicat des simples et président de la fédération des paysans herboristes, distille les raisons pour lesquelles le métier d’herboriste joue en terrain illégal.
En France, pourquoi la profession d’herboriste n’est-elle pas reconnue ?
Thierry Thevenin : Il n’y a pas de diplôme en herboristerie reconnu par l’État, même s’il y a des formations spécifiques [il y a cinq écoles d’herboristerie en France]. Le métier n’est plus reconnu depuis le régime de Vichy. Le 11 septembre 1941, une loi de modernisation des professions de santé a supprimé, sans débat politique, le certificat d’herboriste.
À cette époque, le secteur de la santé s’industrialise avec le développement des laboratoires pharmaceutiques. La guerre du progrès touche tous les secteurs. Les pratiques plus artisanales, comme l’herboristerie, passent pour archaïques. Sans compter que les pharmaciens voyaient depuis longtemps les herboristes comme des concurrents illégitimes. C’est une histoire ancienne, le monopole de la vente de médicaments par les pharmaciens date de 1777.
Les herboristes formés avant 1941 ont donc eu le droit d’exercer jusqu’à la fin de leurs jours. La dernière personne diplômée en septembre 1941 est morte en 2019 : il n’y a donc plus aucun herboriste en droit de vendre des plantes médicinales en tant que telles aujourd’hui en France.
La vente des plantes médicinales est réservée aux pharmaciens, à l'exception de 148 plantes qui ont été libérées en 2008. Quand j'ai commencé, il n'y en avait que 34.
Depuis Vichy, les choses ont-elles évolué ?
En 1945, les lois de Vichy ont été abrogées… mais pas celle sur l’herboristerie. Depuis 1946, les herboristes essaient de se défendre, et des politiques reviennent régulièrement à la charge, mais en vain [en 2018, le sénateur écologiste Joël Labbé a mené une mission d’information parlementaire sur les plantes médicinales et l’herboristerie, et ambitionne d’écrire une proposition de loi sur le sujet]. Il y a une forte résistance conduite par le lobby pharmaceutique.
Mais le terrain évolue. Des médecins et pharmaciens qui s’intéressent aux plantes veulent échanger, créer des synergies, surtout chez les jeunes générations. Ce sont les institutions qui bloquent, au niveau du ministère de la Santé et de l’ordre des pharmaciens. D’ailleurs, cet ordre est aussi une émanation du régime de Vichy… En la matière, on est donc toujours dans un système mis en place sous l’occupation.
Malgré tout, l’herboristerie est bien vivante en France…
Il y a une disparition légale de l’herboristerie, mais elle survit dans un espace de résistance. Il y a de la vitalité, mais on est dans le maquis. Je vois des jeunes qui se sont formés arrêter à force de pressions pour ne pas vendre leurs plantes. Selon le code de la santé publique, la vente des plantes médicinales inscrites à la pharmacopée française est réservée aux pharmaciens, à l’exception de 148 plantes qui ont été libérées en 2008. Quand j’ai commencé, il n’y en avait que 34. Ce sont, en gros, les plantes pour lesquelles il n’existe pas de spécialité pharmaceutique sur le marché. C’est donc bien une question de concurrence. Malgré tout, le secteur attire, il y a des débouchés, et une forte envie de plantes dans la population.
Les pharmaciens ont-ils pris le relais des herboristes pour fournir des plantes médicinales ?
Les pharmaciens ont le droit de vendre ces plantes, mais ils ne sont pas formés pour. Les médecins n’ont aucune heure d’apprentissage sur les plantes médicinales dans leur cursus, et les pharmaciens, seulement quelques dizaines, en général optionnelles. Certains choisissent de se former de leur côté.
Mais globalement, ils n’exercent pas ce droit. Une étude de France Agrimer réalisée entre 2015 et 2017 a montré que, sur environ 23 000 pharmacies en France, la disponibilité de plantes comme le plantain ou le bleuet était de quelques grammes par an seulement. Ils ont le monopole sur ces plantes, mais ils ne les vendent pas, ou très peu, et proposent plutôt des compléments alimentaires.
Les plantes médicinales ont-elles démontré leur efficacité ?
Ce sont des pratiques qui ont des milliers d’années, et qui ont donc fait leur preuve de manière empirique. On a retrouvé des plantes médicinales consommées par des hommes de Néandertal*. La recherche scientifique est très compliquée dans le domaine, notamment car les plantes médicinales sont assez insaisissables, avec des dizaines de molécules en interaction… Pour être validée, il faut aussi des preuves cliniques, or ce sont des études très coûteuses. Comme une plante n’est pas brevetable, la recherche privée ne s’y intéresse pas…
Quant au danger des plantes médicinales, c’est un épouvantail. Les plantes toxiques ont été écartées de la pharmacopée populaire, et il n’y a quasiment aucun cas d’intoxication par des plantes prises avec une intention thérapeutique, alors qu’il y a au moins 18 000 personnes par an qui meurent en France à cause d’une prise de médicament. Les utilisateurs ont globalement conscience des risques, et notamment de la puissance des huiles essentielles. Mais l’automédication est mal acceptée en France. D’où l’intérêt aussi de reconnaître nos métiers, pour avoir des personnes relais qui puissent informer et conseiller correctement les gens sur l’usage de ces plantes.
Il serait bon que ce blocage, purement lobbyiste, cesse !
Les lois de Vichy, y compris celles créant l’ordre des Médecins et celui des Pharmaciens, doivent ENFIN être abrogées !
bonjour,
travaillant pour une chambre de métiers , nous avons fréquemment des porteurs de projets qui veulent se lancer sur la fabrication et la vente de tisanes sans parler de la fabrication et la vente de cosmétiques utilisant des plantes , j’ai coutume de leur rappeler qu’il y a toujours une réglementation en vigueur en particulier pour ce qui concerne les plantes médicinales
https://www.lequotidiendupharmacien.fr/formation/specialites-medicales/plantes-medicinales-et-huiles-essentielles-une-reglementation-complexe
ces activités sont souvent associées aux activités tournant autour des soins de beautés et des massage de confort à visée non thérapeutique ?
les porteurs de projets qui sont souvent originaire du continent africain au sens large du terme veulent souvent développer des techniques et utiliser des plantes qu’ils utilisent dans la pharmacopée traditionnelle de leur pays , un peu surpris de découvrir qu’il n’est pas possible de faire n’importe quoi en France et dans l’UE plus généralement puisque nus ne sommes pas les seuls sur ces législations , nos textes étant souvent des transpositions de directives européennes ?